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Géopolitique de l’intelligence artificielle

Couverture de Géopolitique de l'intelligence artificielle de Pascal Boniface.

Résumé de « Géopolitique de l’intelligence artificielle » de Pascal Boniface : un essai tout ce qu’il y a de plus sérieux pour vous aider à comprendre les grands enjeux sociaux et politiques de l’intelligence artificielle au niveau mondial.

Par Pascal Boniface, 2021, 207 pages.

Chronique et résumé de « Géopolitique de l’intelligence artificielle » de Pascal Boniface

Introduction « Géopolitique de l’intelligence artificielle »

Chapitre 1 — Intelligence artificielle, histoire et définition

La machine de décodage enigma : les débuts de l'intelligence artificielle.

L’IA, une histoire récente

▶️ Turing et les prémisses de l’intelligence artificielle

Alan Turing est considéré comme l’un des grands-pères fondateurs de l’intelligence artificielle (IA). C’est en particulier son article intitulé « Computing Machinery and Intelligence », publié en 1951, qui fait du bruit et qui institue ce qui deviendra le célèbre « test de Turing » (ou jeu de l’imitation).

Le test de Turing est simple : un juge doit poser des questions à un humain et à une machine, sans savoir qui est qui. Si la machine fait aussi bien que l’humain, alors nous pouvons dire que la machine est intelligente.

Vous connaissez certainement le film Imitation Game qui porte en particulier sur le décodage de la machine allemande Enigma pendant la guerre. Ce sont les prémisses de ses recherches sur l’IA !

👨🏻‍🎓 Si vous aimez les biographies de scientifiques célèbres, lisez la chronique d’Un homme d’exception qui a inspiré le célèbre film sur John Nash.

▶️ La conférence de Darmouth : un tournant pour l’IA

Le mot « intelligence artificielle » apparaît lors de cette conférence de Darmouth, en 1956. S’y retrouvent tous les grands esprits intéressés à l’informatique de l’époque. Un programme informatique est même présenté pour la première fois : le General Problem Solver (GPS).

Ce sera le « premier âge d’or » de l’IA. Dans les années 50 et 60, les États-Unis débloquent beaucoup d’argent pour faciliter l’innovation dans ce domaine, notamment en réaction au « moment Spoutnik », c’est-à-dire à la prise de conscience de l’avancée russe en matière de conquête spatiale.

La DARPA (defense advanced research projects agency) est créée pour renverser la vapeur. Au fil des années, cette agence sans commune mesure avec ce qui existe en Europe va développer de nombreuses technologies militaires et civiles. Notons d’ailleurs que celle-ci existe toujours !

Cependant, les années 70 et 80 ne tiennent pas vraiment leurs promesses en matière d’IA. C’est ce qui est appelé « le premier hiver de l’IA« .

▶️ Révolution technologique et IA moderne

Quelques dates méritent d’être citées pour rappeler ce qui s’est passé ensuite :

  • Dans les années 1980-1990 se développe peu à peu l’ordinateur personnel ;
  • En 1996, c’est la naissance d’Internet ;
  • En 1997, Deep Blue bat Gary Kasparov aux échecs, provoquant un « nouvel âge d’or de l’IA« ).
  • Dans les années 2000, c’est le deep learning qui change la donne (approche connexionniste : pour plus d’informations à ce sujet, voir la chronique de L’IA pour les Nuls) et les premières grandes réflexions sur le sujet.
  • Les années 2010 voient les grands géants d’Internet (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, les GAFAM) investir massivement dans l’IA. L’IA intègre peu à peu le débat public.

Une définition complexe

Pour Yann Le Cun, spécialiste français de l’IA mondialement reconnu, 3 événements ont modifié le jeu dès le début des années 2010 :

  1. Diminution forte des coûts d’un composé essentiel de l’IA, les graphical processing units.
  2. Découvertes faites par Google, Facebook et IBM au sujet de la reconnaissance vocale.
  3. Records en reconnaissance d’image réalisés par des réseaux de neurones.

Le deep learning (apprentissage profond) est un pas supplémentaire dans l’IA et dans ce qui était déjà appelé le machine learning (apprentissage machine).

« Dans le deep learning, l’intervention humaine n’est plus nécessaire à chaque étape et la machine gagne, au fur et à mesure, en indépendance. C’est ce qui peut provoquer le vertige d’une vision d’un monde contrôlé par les machines, où l’humain deviendrait l’objet. Le processus est automatisé, la machine perfectionne d’elle-même son programme, l’homme se contentant de fournir les données. »

(Géopolitique de l’intelligence artificielle, Chapitre 1)

En réalité, il importe surtout de retenir que l’expression « intelligence artificielle » recouvre une réalité diffuse et complexe. C’est à la fois une technique et une discipline de recherche, mais aussi une série d’outils déjà entrés dans les usages. Il importe de garder ce caractère mobile de l’expression « IA » à l’esprit.

Données et intelligence artificielle

« Les données sont le « nerf de la guerre » de l’intelligence artificielle », dit Pascal Boniface. Et en effet, c’est grâce à elles que nous pouvons faire tourner l’IA et que celle-ci peut apprendre toujours plus.

La prolifération des dispositifs connectés (smartphones et autres) vise en partie à extraire ces données de nos vies de tous les jours afin de les utiliser pour entraîner des algorithmes. Ces données sont conservées dans des data centers et les clouds.

Pascal Boniface cite l’ouvrage de Kai-Fu Lee, IA, La plus grande mutation de l’Histoire, pour montrer que l’IA est l’un des grands enjeux du XXIe siècle. Les États, mais aussi les grandes entreprises entrent dans une compétition aux fins incertaine pour récolter et traiter les données. C’est l’ère du Big Data.

Chapitre 2 — Corne d’abondance ou machine à exclure ?

Le progrès technique et l'IA : crainte ou espoir ?

Le progrès, source d’enthousiasme et d’inquiétude

Le progrès technique génère constamment des enthousiastes et des réfractaires. Souvent, une partie de la population craint pour sa survie économique. C’était déjà le cas au XIXe siècle et c’est encore le cas aujourd’hui.

Voyons de plus près ce qu’il en est.

L’IA, une menace ?

▶️ Deux scénarios extrêmes

Il est certain que l’IA génère de grandes inquiétudes concernant l’avenir des travailleurs. Comme toute innovation de rupture, elle permet de réaliser le travail humain plus vite et à moindre coût.

Le scénario « optimiste » est le suivant : l’IA, comme les autres techniques, permettra de poursuivre la marche vers le progrès. Il y aura certes des ajustements importants à réaliser, mais si nous nous y prenons à temps, il sera possible de « recaser » de nombreux travailleurs. Finalement, c’est une société d’abondance, sans travail, qui pourrait bien voir le jour.

Le scénario « pessimiste » pose que l’IA pourrait déboucher sur une société très inégalitaire où quelques ultra-riches profiteront des avancées techniques quand d’autres trimeront toujours autant, voire seront relégués comme citoyens et travailleurs de seconde classe. Au vu des richesses accumulées par les géants du numérique, Pascal Boniface craint que ce soit ce deuxième scénario qui l’emporte si nous ne faisons rien.

▶️ Vers une crise mondiale ?

Malgré certains discours rassurants, les études sérieuses s’accumulent. Celles-ci montrent que de grands pans de l’économie pourraient être touchés par l’IA. Selon le cabinet de conseil Mc Kinsey, « entre 400 et 800 millions de personnes pourraient être remplacées dans leur travail d’ici 2030 et devraient se reconvertir pour trouver un nouvel emploi ».

À noter pour aller plus loin : Pascal Boniface cite également les ouvrages de Yuval Noah Harari :

En résumé, pour l’historien israélien, les grands changements techniques sont effectivement porteurs de grands bouleversements économiques au niveau mondial.

▶️ Des pauvres inutiles

Dans le cas de l’IA, la richesse produite pourrait bien aller, comme nous l’avons dit, dans les mains de quelques multi-milliardaires. Les moins chanceux, sans travail, pourraient bien se retrouver pauvres, mais aussi sans dignité personnelle.

Plus concrètement, il est très difficile de faire face à l’IA en tant que travailleurs, car c’est une concurrence qui a tous les avantages : l’IA ne se plaint pas, ne fait pas grève, etc. Mais quels sont exactement les métiers menacés ?

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Des métiers menacés

Pascal Boniface s’inquiète des risques pour l’emploi, qui concernent aussi bien les métiers qualifiés, voire très qualifiés, que les métiers peu qualifiés. En effet, même les traducteurs ou les médecins sont aujourd’hui en ligne de mires, et non seulement les ouvriers ou les conducteurs de taxi.

En France, l’école a pour but de jouer le rôle d’ascenseur social. Mais celui-ci semble bloqué depuis plusieurs années. L’IA pourrait bien encore accroître ce phénomène.

Et l’humain dans tout ça ?

L’auteur insiste sur deux points. Premièrement, il insiste sur le rôle de l’empathie et des métiers sociaux, qui prendront encore plus d’importance à l’avenir. Mais ces métiers seront-ils bien rémunérés ? Ou se verront-ils relégués au second rang, passant derrière les métiers alliant management et créativité ?

Pour créer un avenir commun, il faudra, selon Pascal Boniface, qui reprend ici encore un argument de Kai-Fu Lee, parvenir à « associer la capacité de l’intelligence artificielle [et] la capacité des humains à aimer ». Mais est-ce un projet suffisant et réaliste ?

La défaite des États ?

Le chercheur en géopolitique rapporte ici une expérience relatée par le magazine Challenge en 2018. Quelques milliardaires envisageaient de créer un espace totalement protégé, hors-État, dans les eaux internationales.

Et si les patrons des grandes entreprises aux mains des intelligences artificielles se construisaient… des îles artificielles ? Cela signerait-il la fin des États au sens classique du terme ?

IA et santé

Autre risque induit par l’IA et étudié par Pascal Boniface : la santé. Il évoque ici le danger d’une santé à deux vitesses, séparant les riches en bonne santé et les pauvres incapables de s’offrir des soins de qualité.

Bien sûr, ce n’est pas ce que promettent les plus optimistes, qui estiment que les découvertes en matière d’IA et de santé bénéficieront, in fine, à tous.

La question du transhumanisme est également importante, car les plus fervents adeptes de l’IA sont, le plus souvent, des défenseurs des thèses transhumanistes. Pour rappel, le transhumanisme est :

« [U]n mouvement philosophique et scientifique qui veut utiliser tous les moyens mis à la disposition de l’homme par la technologie pour améliorer l’espèce humaine, augmenter ses capacités de perception, de cognition, de réflexion, de performance, et finalement faire naître le posthumanisme [à savoir des êtres qualitativement différents des humains, plus forts et plus intelligents]. »

(Béatrice Jousset-Couturier citée par Pascal Boniface, Chapitre 2)

Science-fiction ? Certains adeptes de cette philosophie font tout pour que ça n’en soit pas.

Quid alors de l’éthique ? Il n’est pas impossible qu’une sorte de GIEC de la bioéthique et de l’IA voit le jour. C’est en tout cas une proposition qui avait été faite dès 2019. Les citoyens doivent avoir leur mot à dire dans ces évolutions.

Politiques vs milliardaires

Pour l’auteur, il est urgent d’entamer un véritable dialogue social et politique sur ces questions. Il préconise notamment de reprendre les discussions autour du revenu minimum de base (également discuté dans un autre livre de Kai-Fu Lee, IA 2042).

Il faudra avoir le courage d’aller chercher l’argent là où il se trouve : chez les plus riches, qui s’enrichissent toujours plus (la crise de la Covid-19 a été pour eux une aubaine, de ce point de vue).

« Les dirigeants des GAFAM et leurs équivalents étrangers n’ont aucun intérêt à lancer le débat. Ils sont lancés aveuglément dans une course sans fin à l’accroissement de leur richesse. Le signe extérieur n’en est désormais plus la voiture de luxe, l’avion privé ou le yacht aux dimensions toujours plus démesurées, mais la navette spatiale privée. »

(Géopolitique de l’intelligence artificielle, Chapitre 2)

La société civile doit se montrer active si elle ne veut pas se faire confisquer le débat autour de l’IA. Bien sûr, les conditions pour le faire ne sont pas faciles, car le rapport de force est aujourd’hui largement en faveur des géants de l’IA que sont les GAFAM.

Chapitre 3 — Les GAFAM vont-ils tuer l’État ?

Le drapeau des USA : l'IA va-t-elle modifier la structure des États ?

Une fin annoncée ?

L’expert en géopolitique rappelle que les États ne sont plus les seuls acteurs sur la scène internationale. Les ONG (organisations non gouvernementales) et les grandes entreprises jouent un rôle chaque jour plus important.

À nouveau, les GAFAM changent la donne et pourraient bien accélérer le processus de perte d’influence des États.

États sans territoire

Pascal Boniface donne quelques chiffres qu’il n’est pas inutile de rappeler.

Selon la revue Bloomberg, en 2020, la fortune de :

  • Jeff Bezos pesait 183 milliards de dollars, soit l’équivalent (à 5 milliards près) du PIB du Qatar ;
  • Bill Gates pesait 128 milliards de dollars, soit le PIB du Koweït ;
  • Elon Musk valait 121 milliards de dollars, soit le PIB du Maroc ;
  • Mark Zuckerberg valait 102 milliards de dollars, soit le PIB de Cuba ;
  • Larry Page (81, 6 milliards de dollars) et Sergei Brin (79) représentaient le PIB du Sri Lanka et d’Oman.

Cela fait dire à Eric Schmidt et Jared Cohen, dans le livre À nous d’écrire l’avenir, que des États virtuels pourraient être créés prochainement. Les Kurdes ou les Tchétchènes pourraient ainsi, selon les mêmes auteurs, créer un État dans le monde numérique et revendiquer une sécession bien réelle ensuite.

Au-delà de ces exemples, ils laissent également imaginer ce que pourrait être un monde où Google, par exemple, jouerait le rôle d’un État.

D’ailleurs, les grands patrons cités plus haut utilisent déjà leur fortune pour s’immiscer dans les questions politiques et accaparer certains domaines d’intervention autrefois réservés aux États (comme la conquête spatiale ou la création de monnaie).

Bouleversement géopolitique

Les milliardaires du numérique sont très jeunes. Leurs entreprises n’existaient pas, pour la plupart, voilà 30 ans. Ils ont accumulé une richesse considérable en très peu de temps. Ils bénéficient également d’un système fiscal avantageux, qu’ils savent manier avec beaucoup de finesse et de ruse.

Mais les citoyens et les contribuables n’y perdent-ils pas ? Pascal Boniface étudie plus en détail un cas intéressant : Google. Il montre comment cette entreprise, en se répartissant sur plusieurs pays en même temps, optimise ses gains en payant moins d’impôts.

L’Union européenne et les tentatives de régulation des GAFAM

L’Union européenne (UE) tente de limiter les abus en matière fiscale, notamment en s’en prenant aux pays trop généreux vis-à-vis des entreprises, comme l’Irlande ou le Luxembourg. L’Europe et certains États membres ont également porté des coups plus directement aux GAFAM, en leur interdisant la récolte de certaines données.

Il y a donc deux camps : les pays pratiquant le dumping fiscal et les GAFAM d’un côté, et les autres pays de l’UE ainsi que l’UE elle-même, de l’autre. De temps en temps, les États-Unis pèsent également dans la balance, le plus souvent à l’avantage des fleurons du numérique qui viennent tous de ce pays.

Des milliardaires fastueux et grigous

Pascal Boniface revient dans cette section sur les politiques antisyndicales menées par des entreprises comme Tesla ou Amazon. Il s’intéresse en particulier à l’exemple français pour montrer, une fois encore, le pouvoir de pression de ces multinationales.

Les États-Unis face aux GAFAM

Au sein même du pays de naissance des GAFAM, des actions voient le jour pour limiter leur pouvoir, notamment au nom de la lutte antitrust (concentration du pouvoir marchand entre les mains d’un petit nombre d’entreprises).

Mais, dans l’ensemble, les procédures se sont montrées peu efficaces, voire signalent l’abandon de l’État américain face à ses propres géants commerciaux.

Il est possible de se demander si les élus — présidents des États-Unis en tête — font vraiment tout ce qu’ils peuvent pour rétablir l’équilibre. Il faut dire que les GAFAM ont un argument de choix : « Ne nous coupez pas les ailes, car ce sont les Chinois qui vont alors gagner » !

Comme nous allons le voir, cet enjeu est en effet fondamental. Les États-Unis ont peur de perdre la course technologique à l’IA s’ils ne laissent pas les mains libres à leurs champions numériques nationaux.

Des États dans l’État

Tout ce que nous venons de dire sur la richesse des GAFAM n’est donc pas déconnecté de l’IA. Au contraire ! Nous utilisons chaque jour des services d’Amazon ou de Google boostés à l’IA (pour certains d’entre eux au moins).

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Ce faisant, ils utilisent nos données. Mais ils nous rendent aussi des services qui sont parfois meilleurs que ceux de nos propres administrations nationales. Grâce à l’intelligence artificielle, ils pourront proposer aux États d’intervenir directement dans les services habituellement gérés par ceux-ci.

Des bienfaiteurs de l’humanité ?

Pascal Boniface aborde la question des activités philanthropiques des grands patrons. Il étudie successivement :

  • Bill Gates et sa fondation Bill & Mélinda Gates (pour plus d’informations à ce sujet, voir notamment la chronique de Comment éviter la prochaine pandémie ?)
  • Jeff Bezos et le Bezos Earth Fund en guerre contre le changement climatique.
  • Elon Musk et ses randonnées spatiales au service, dit-il, de l’humanité.

Le risque de l’oligarchie

Le risque, nous le voyons par tous ces arguments, est qu’une très petite minorité décide du sort de tous. À la place d’avoir des États garantissant des droits et cherchant à répartir équitablement les ressources, nous pourrions bien nous retrouver face à une minorité d’entreprises gouvernant comme bon leur semble le monde et faisant preuve, quand ça leur chante, de charité à l’égard des plus pauvres.

Pour l’expert en géopolitique, le risque est bel et bien réel et nous devrions donc y prendre garde.

Chapitre 4 — Printemps des libertés ou hiver totalitaire ?

La démocracie à l'heure de l'IA : ouverture des libertés ou totalitarisme ?

Ici encore, deux grands scénarios s’affrontent :

  • Ou le numérique va ouvrir un âge de l’accès à l’information pour tous, solidifiant les principes démocratiques ;
  • Ou les plus puissants prendront le contrôle et surveilleront la population au mépris des règles de droit, convertissant peu à peu la démocratie en totalitarisme.

La démocratie en danger

L’auteur cite plusieurs références pour exposer les dangers qui pourraient exister (ou existent déjà) pour la démocratie.

Il évoque également l’affaire Cambridge Analytica, scandale révélé en juin 2016. Bien que la société Cambridge Analytica ait été blanchie par la suite, elle a été au cœur d’un scandale d’influence (sur le Brexit) et de captation des données à grande échelle.

De façon plus générale, Pascal Boniface s’inquiète des effets du numérique sur notre liberté :

Les algorithmes des IA ne pensent pas, mais elles sont capables, à partir des traces que nous laissons sur le web, de prédire nos comportements. Voudrions-nous les laisser nous diriger malgré nous ?

Réseaux sociaux et mobilisations populaires

Pour les optimistes, le numérique et l’IA qui lui est désormais irrémédiablement liée participent à faire souffler un vent de liberté. Grâce aux réseaux sociaux, de nombreuses personnes hier invisibles peuvent se faire entendre — et notamment revendiquer leurs droits.

Dans bien des pays, les médias numériques ont permis à des groupes de se mobiliser et de faire vaciller les pouvoirs autoritaires. Pascal Boniface cite le Printemps arabe (Tunisie, Égypte, Algérie, Syrie), mais aussi le cas du/de :

  • Liban ;
  • Chili ;
  • Cachemire ;
  • Honk Kong ;
  • Nigeria.

Dans toutes ces contrées, des communautés se sont emparées des outils numériques pour échapper à un pouvoir injuste. Dans les pays occidentaux, le mouvement #MeToo en est également l’exemple, ainsi que Black Live Matter aux États-Unis.

En revanche, l’envers de cette libération de la prise de parole est le déversement de haine sur Internet. Celui-ci touche particulièrement les plus jeunes et peut aussi faire le lit des pires extrémismes.

Réseaux sociaux via médias mainstream

Pour autant, Pascal Boniface ne défend pas coûte que coûte les médias mainstream, à savoir les chaînes de télévision bien implantées ou les grandes rédactions de journaux nationaux. Pourquoi ?

D’abord, car de plus en plus de médias de ce type sont accaparés par une toute petite élite, qui peut chercher plus facilement à manipuler par ce biais l’opinion publique.

Ensuite, car une forme d’endogamie (entre-soi des chroniqueurs, journalistes, etc.) et d’autocensure s’exerce, rendant l’expression moins libre qu’elle ne semble l’être.

Par ailleurs, l’auteur cherche à démontrer que les critiques réalisées à l’encontre des réseaux sociaux sont en grande partie injustifiées, car elles s’appliquent également aux médias traditionnels.

Le cas chinois

La Chine s’est modernisée, mais ne s’est pas occidentalisée pour autant. Pas de Facebook, d’Instagram ou de Google là-bas. Par contre, elle a ses propres champions digitaux, qui répondent directement aux intérêts du parti unique.

Le pouvoir en place a pris la décision de développer les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) dans le sens d’un plus grand contrôle social.

De façon intéressante, Pascal Boniface rapporte les « scores » que les « citoyens » chinois peuvent obtenir selon le système de crédit social mis en place grâce à une plateforme numérique gérée par l’État :

  • AAA (plus de 1 050 points) = citoyen exemplaire.
  • AA (1 030 – 1049) = citoyen exemplaire excellent.
  • A (960 – 1 029) = citoyen honnête.
  • B (850 – 959) = citoyen relativement honnête.
  • C (600 – 849) = niveau d’avertissement.
  • D (599 et moins) = citoyen malhonnête.

Les citoyens qui ne peuvent pas, selon le gouvernement chinois, être dignes de confiance, se voient notamment placés sur des listes noires et interdits de voyager.

Ouvrir le débat

Pour l’auteur, qui insiste sur ce point, mener un débat ouvert sur ces questions est central dans nos démocraties. Nous laissons chaque jour plus de caméras de contrôle et d’applications en apparence anodines pister notre quotidien.

Mais quel avenir voulons-nous ?

Chapitre 5 — Le duel Chine/États-Unis

La Chine contre les USA : qui sortira vainqueur et modèlera la géopolitique de l'intelligence artificielle ?

Désormais, le duel États-Unis URSS est derrière nous. Ce n’est plus l’arme atomique et la course à l’armement nucléaire qui sont à l’ordre du jour, mais l’IA dans toutes ses dimensions. Les deux acteurs clés ? Les USA et la Chine.

Vers une guerre froide technologique ?

La Chine, pays communiste, fait tout, depuis 30 ans, pour ne pas suivre l’URSS dans sa chute. Et ça lui a plutôt bien réussi.

Le pays a développé un modèle à la fois concurrent et différent de celui des États-Unis, en choisissant les terrains sur lesquels elle veut faire la compétition et ceux qu’elle laisse à son adversaire.

Or, à ce jeu du chat et de la souris, la technologie tient un rôle clé. Et tout particulièrement l’intelligence artificielle.

Le spécialiste de géopolitique évoque AlphaGo (lorsque l’IA a battu le champion du monde du jeu de Go) comme étant le « moment Spoutnik » (voir le chapitre 1 pour un rappel) des Chinois. Ceux-ci se sont rendu compte de l’avance du géant états-unien Google et font tout, désormais, pour ne plus se laisser distancer.

Une lutte globale pour la suprématie technologique

Pour Pascal Boniface, malgré un apparent avantage des États-Unis, la Chine n’est pas en reste et pourrait bien, à un moment donné, faire basculer les équilibres actuels.

Sa stratégie : n’être plus (et pas) seulement le lieu de fabrication (de tous nos produits de consommation, dont les dispositifs technologiques), mais aussi et avant tout un lieu d’innovation.

Les atouts de la puissance technologique chinoise

Xi Jinping, le leader chinois, a des avantages. En premier lieu, il peut compter sur la stabilité de son pouvoir pour mener des politiques à long terme. Ensuite, il peut contraindre les entreprises chinoises à faire ce qu’il souhaite, comme le dit ici l’auteur :

Que ce soit au niveau du nombre d’étudiants en sciences et techniques, de dépenses en recherche et développement ou encore de prise de brevets, la Chine bat aujourd’hui des records impressionnants. Elle a dépassé l’Europe et se rapproche de plus en plus près des États-Unis.

Les BATX au service de la puissance chinoise

Nous l’avons dit, les entreprises chinoises sont davantage inféodées au pouvoir en place qu’aux États-Unis. BATX, tel est l’acronyme pour désigne les super-géants chinois du numérique :

  • Baidu (moteur de recherche, équivalent de Google) ;
  • Alibaba (plateforme d’achats, équivalent d’Amazon) ;
  • Tencent (notamment gestionnaire de WeChat, « le » réseau social omnipotent chinois) ;
  • Xiaomi (production de téléphones portables, équivalent d’Apple).
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Le gouvernement assigne des tâches à ces entreprises. Par exemple, c’est Baidu qui doit s’occuper de la conception et de la construction des voitures autonomes, mais c’est Tencent qui se charge de l’imagerie médicale. Ce ne sont que quelques exemples.

L’IA est donc, en Chine, une véritable stratégie nationale et même patriotique. De nombreux citoyens y adhèrent spontanément, même si la propagande d’État joue aussi son rôle. Grâce à ce dynamisme fervent, l’indépendance technologique vis-à-vis des Occidentaux est chaque jour plus grande.

Trump part en croisade

Le président Donald Trump a fait du duel avec la Chine l’un des axes forts de son mandat. Cela nous permet de faire le point sur deux entreprises chinoises à grand succès dont nous n’avons pas encore parlé :

  • Huawey ;
  • TikTok.

L’administration Trump a cherché à faire interdire ces deux entreprises sur le sol des États-Unis ou à restreindre drastiquement leurs activités, sans toutefois y parvenir complètement.

Chapitre 6 — Quo vadis Europa ?

Drapeau européen : quel est l'avenir de l'Europe dans la course à l'IA ?

Pour définir une stratégie, l’Europe doit sortir à la fois de sa dépendance à l’égard des États-Unis et trouver une voie originale qui ne la mène pas tout droit dans la gueule de la Chine.

Exigences américaines

Les États-Unis ont tendance à vouloir diriger et à ne pas considérer l’Europe sur un pied d’égalité. Même quand les Démocrates sont en place, les relations ne sont jamais égalitaires.

Par exemple, les États-Unis ont demandé aux Européens d’interdire Huawey pour des raisons d’espionnage. Mais eux-mêmes n’ont pas hésité à espionner les Européens lorsqu’ils en avaient l’occasion !

La stratégie de l’Union européenne

L’Union européenne cherche un chemin. Elle se veut positive et voir « le verre à moitié plein », comme dit Pascal Boniface. Elle cherche un modèle original entre la verticalité de la Chine et le laisser-faire américain.

Particulièrement attentive aux droits des consommateurs (via, notamment, le RGPD) et au développement durable, elle veut développer une IA plus alignée sur ses valeurs. Mais pour ce faire, elle devra continuer à investir pour générer plus d’innovation et développer ses propres champions du numérique — ce qui est encore loin d’être le cas.

Atouts et faiblesses européennes

Cela dit, l’Europe a des atouts, notamment en termes de recherche scientifique. Elle dispose d’un nombre important de chercheurs en IA. Problème ? Ceux-ci partent souvent à l’étranger (et notamment dans la Silicon Valley, où ils sont 240 000 selon la Commission européenne).

Autre souci : elle devra développer des cursus plus complets en formation numérique et mettre plus d’argent dans le développement d’infrastructures permettant de récolter des données industrielles.

Contrairement aux données personnelles, les données industrielles (issues des grandes industries) peuvent aider l’Europe à décoller et à se faire une place dans la compétition pour l’IA.

Sortir de la naïveté

C’est un mantra qui revient souvent actuellement. Plutôt que tout miser sur le marché, l’Europe doit investir dans sa politique industrielle et avoir des objectifs clairs et de long terme. Nous ne pouvons pas rester, en tant qu’Européens, coincés entre le bon vouloir états-unien et l’appétit chinois.

Selon Pascal Boniface :

Mais pour ce faire, elle devra impérativement prendre avec succès le virage de l’IA. Heureusement, il semble que l’Union européenne aille dans ce sens…

Chapitre 7 — La France dépassée ?

La France à l'ère de l'IA : dépassée ?

Un enjeu de souveraineté

Les politiciens et hommes d’État français se rendent bien compte de l’enjeu de l’IA : si la France veut conserver sa souveraineté, elle doit jouer ce jeu. Sinon, elle sera dominée tôt ou tard par d’autres nations.

« L’objectif assumé de la France est d’être le leader européen en termes d’IA, et d’être dans le top 5 des pays experts en IA », rappelle à ce propos l’expert en géopolitique.

Développer une offre d’IA

Pour ce faire, la France a développé plusieurs stratégies :

  • Des partenariats privés-public et un grand plan d’investissement public ;
  • Un focus sur la formation, avec notamment la création de quatre instituts interdisciplinaires de l’intelligence artificielle ;
  • La construction de super-calculateurs et de nouvelles relations de confiance entre grands groupes et startups ;
  • Le développement, comme cela a déjà été dit, de données industrielles aptes à « nourrir » le développement de nouvelles IA, ainsi qu’un cloud national.

Politique et entreprises

Les entreprises et les politiques devront jouer ensemble pour aider la France à trouver sa place dans le numérique européen et mondial. Pour Cédric Villani, mathématicien et homme politique français, auteur d’un rapport remarqué sur l’IA, cela peut passer par une forte intégration de l’IA aux questions environnementales.

Le gouvernement, quant à lui, a lancé les « Challenges IA » pour chercher à convaincre les entreprises de s’investir dans la course et adapter leurs structures à l’intelligence artificielle.

Conclusion

Pascal Boniface termine sur une métaphore : comme les eaux du Nil qui étaient mortelles lorsqu’elles n’étaient pas contrôlées, mais porteuses de bienfaits dès lors qu’elles étaient maîtrisées, l’IA pourra nous aider à vivre mieux à condition que nous trouvions les moyens de la contrôler à la fois localement et d’un point de vue mondial.

Conclusion sur « Géopolitique de l’intelligence artificielle » de Pascal Boniface :

Ce qu’il faut retenir de « Géopolitique de l’intelligence artificielle » de Pascal Boniface :

Pascal Boniface n’en est pas à son premier essai. Avec plus de 60 ouvrages à son actif, il est l’un des experts en géopolitique les plus prolifiques et aussi les plus invités dans les médias mainstream.

Pour plus d’informations à son sujet et sur les thématiques qu’il aborde, vous pouvez d’ailleurs consulter son blog ou sa chaîne YouTube .

Après avoir traité de l’arme nucléaire et des relations entre sport et géopolitique — entre autres choses —, voici donc qu’il s’attaque à un nouveau sujet à la mode : la géopolitique de l’intelligence artificielle.

Ici, donc, le focus n’est pas sur l’aspect technique de l’IA — ni même sur l’aspect pratique de l’intelligence artificielle au sien des entreprises. L’auteur s’intéresse avant tout aux enjeux politiques internationaux.

Mais rassurez-vous, le livre se lit aisément et vous apprendrez plein de choses étonnantes, passionnantes — et parfois inquiétantes — sur le développement contemporain de l’IA. À retenir en particulier :

  • Si nous ne voulons pas que l’intelligence artificielle devienne le jouet d’une élite milliardaire, nous devons nous y intéresser de près et la faire entrer dans le débat public.
  • L’IA est un point décisif dans la lutte économique et industrielle entre la Chine et les États-Unis. Face à une telle situation, l’Europe et la France doivent trouver leur propre voie.

Points forts :

  • Une présentation claire pour les néophytes (pas besoin d’être expert en géopolitique pour comprendre) ;
  • Des références précises et utiles ;
  • Un panorama assez complet de la question au niveau mondial, européen et français.

Point faible :

  • L’auteur enfile par moments les citations les unes à la suite des autres sans prendre la peine de faire de grandes analyses. Cela dit, le livre demeure malgré tout très intéressant.

Ma note :

★★★★★

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