Une sélection de livres rares et exigeants pour changer de vie.

Robert Greene : Le suicide l’a amené à devenir auteur

Transcription littérale de la vidéo :

Olivier Roland : Alors Robert, peux-tu s’il te plaît faire le clap le plus sexy que cette caméra n’ait jamais filmé?
Bonjour ! Bonjour mes rebelles intelligents ! Aujourd’hui je suis avec un invité très spécial en la personne de Robert Greene. Bonjour Robert !

Robert Greene : Bonjour

Olivier Roland : Comment ça va?

Robert Greene : Très bien! Très bien et toi?

Olivier Roland : Très bien! Nous sommes ici chez toi à Los Angeles

Robert Greene : Bienvenue chez moi

Olivier Roland : Merci ! Robert parle français, mais ce n’est pas sa langue natale donc on va embrayer en anglais pour qu’il puisse aller plus loin, plus profondément dans ce qu’il va partager. Donc si vous ne parlez pas anglais, assurez-vous d’activer les sous-titres dans YouTube.
Tu es le fameux auteur à qui l’on doit «Les 48 Lois du Pouvoir», «L’Art de la Séduction», «Atteindre l’excellence», «Les lois de la nature humaine»

Robert Greene : Ainsi que deux autres livres

Olivier Roland : Deux autres livres à savoir ?

Robert Greene : «Les 33 lois de la guerre»

Olivier Roland : exactement!

Robert Greene : Et la «50e loi» qui j’ai co-écrit avec 50 Cent le rappeur

Olivier Roland : C’est génial! Aujourd’hui, nous allons discuter de beaucoup de choses. Ton dernier livre est sorti en français il y a quelques mois et nous allons parler de ce qui s’est passé autour. Parce que quand j’ai commencé à lire le livre, j’ai été très impressionné par la variété des sujets abordés, des influences et des références que tu as partagées et non seulement tout cela est très varié, mais c’est aussi très profond. Par exemple, dans le chapitre 2 de ce livre, tu donnes quelques exemples pour parler des personnes narcissiques et tu as commencé par Joseph Staline. Effectivement ! Ensuite, tu as parlé d’une nonne du 17e siècle en France, et puis tu as mentionné Tolstoï et son épouse, de même que l’explorateur Shackleton. Ton livre est plein de références à différents pays, différents siècles et différents sujets. Tout cela m’amène à me demander comment tu as fait pour avoir une si grande culture. Il va sans dire que tu lis beaucoup, n’est-ce pas?

Robert Greene : Eh bien, quand je commence à écrire un livre, mon but c’est de parvenir à ressortir ce que je considère comme étant la réalité, le cœur d’une chose. Ainsi, si tu considères qu’écrire un livre revient à creuser dans une boule de ciment géante, mon but est de tout faire pour atteindre le centre de cette boule, toucher la réalité, ce qui se passe vraiment et non de rester uniquement à la surface comme on le constate dans beaucoup de livres. Donc je creuse, je creuse, juste dans l’effort d’atteindre le cœur du sujet.

Ainsi, si j’écris un livre sur la nature humaine, je veux que tout prenne vie dans l’esprit du lecteur. Je veux qu’ils se disent : «Robert connaît vraiment ce sujet; il traite non seulement des hommes blancs au 20e siècle, mais aussi de la culture chinoise, de l’histoire des femmes et des minorités; il couvre tout l’éventail de la civilisation depuis cinq ou six mille ans et même jusqu’à la préhistoire». Donc, le livre jouit de cette profondeur et amène le lecteur à se dire : «je lis quelque chose de complet». Et pour cela, pour atteindre cette finalité et amener le lecteur à se dire : «Waouh, c’est vrai, c’est mon expérience», je dois faire un immense travail de recherche. Par exemple pour ce livre, j’ai lu plus de 300 de livres à des fins de recherche et j’ai pu organiser le tout.

En fait, il y a des manuels que je n’ai pas eu la possibilité de lire parce que je faisais les recherches tout seul et que je n’avais personne pour m’aider. Je suis donc très motivé quand je commence à écrire un livre et c’est amusant quand je lis des livres sur la neuroscience, sur l’anthropologie, sur la vie de nos ancêtres il y a des millions d’années, des livres sur la psychologie, l’histoire, je trouve cela très divertissant et je me dis que je dois rendre mon livre aussi complet que possible, sans quoi les lecteurs penseront : «ce livre n’est pas authentique, il est superficiel, il ne reflète pas ce que je pense de la nature humaine».

Olivier Roland : Alors, comment choisis-tu les livres que tu vas lire ?

Robert Greene : Eh bien, je fais cela depuis 22 ans et avant cela j’ai travaillé comme chercheur, j’étais certes écrivain mais j’ai aussi fait des recherches pour des films Hollywoodiens, donc j’ai beaucoup d’expérience en la matière.

Olivier Roland : Tu as pratiqué beaucoup de métiers auparavant

Robert Greene : Oui ! Absolument ! J’ai eu entre 60 et 70 emplois différents.

Olivier Roland : Waouh! C’est beaucoup!

Robert Greene : Tu l’as dit! Donc, j’ai beaucoup d’expérience dans la recherche et pour choisir un livre j’allais à la bibliothèque. Mais je n’y vais plus, désormais je fais tout sur Internet via Amazon et d’autres sites Web. En général, je recherche des livres qui traitent de nouveaux sujets passionnants et qui se rapportent aussi au drame donc, si j’écris une histoire dans laquelle je mentionne Staline ou d’autres personnages, mon récit doit présenter les faits d’une manière dramatique parce que ma philosophie c’est que j’essaie d’illustrer toutes mes idées par des histoires, afin de divertir le lecteur, de lui donner l’impression qu’il est vraiment là, qu’il apprend à connaître Joseph Staline, qui il était et comment il était. Je dois donc lire des livres qui couvrent ces sujets dans ce style et qui redonnent vie au personnage.

Napoléon Bonaparte était le personnage principal de l’un des livres que j’ai écrits sur la guerre. Et, pour cela, j’ai lu cinq biographies de lui, pour un total d’environ 3000 pages parce que je voulais savoir qui était Napoléon, et ce qui faisait de lui un génie en matière de stratégie, car tous les livres que j’avais lus ne ressortaient pas cela à mon sens. J’ai donc le flair pour dénicher les livres qui offrent le genre de contenu que je recherche et je peux le dire dès que j’ouvre un livre. Je commande les livres sur Amazon, donc je ne sais pas avec certitude s’ils sont intéressants. Mais, dès les premières pages, je peux dire si le livre en vaut la peine ou pas et je ne perds donc plus mon temps à le lire.

J’essaie aussi de trouver des livres qui couvrent l’histoire sous un angle différent, donc j’évite généralement les livres qui sont… J’aime trouver des livres dont personne n’a entendu parler, des livres qui ont été publiés en 1930, qui sont complètement retirés de la vente mais qui sont incroyablement profonds parce qu’alors je sais que personne d’autre n’a couvert ce sujet avant. Je suis le premier, enfin le premier à redonner vie au sujet.

Olivier Roland : C’est intéressant parce que quand je suis arrivé, il y avait deux livres sur ta table, ton livre en français et celui-ci «Le voile d’Isis» qui même d’après la couverture n’est pas un livre super populaire. C’est en fait un livre très profond sur la philosophie qui parle d’Héraclite qui était un philosophe présocratique. C’est donc le genre de livre que tu lis pour tes recherches ?

Robert Greene : Oui !

Olivier Roland : C’est assez impressionnant! Ce livre est en français et même pour les Français, il peut être difficile à lire.

Robert Greene : Oui, c’est un peu difficile ! Alors ce qui se produit quand je lis un livre et que je le trouve assez intéressant, c’est que ce livre me redirige vers un autre livre, puis je fais des recherches sur ce nouveau livre et je regarde ce que les gens en disent ; c’est ainsi que j’ajoute ce livre à ma bibliothèque. Ainsi, dans ce jeu où je lis un livre qui fait référence à trois ou quatre autres livres qui me mènent ensuite à trois ou quatre autres nouveaux livres je dois faire attention parce que les choses prennent des propensions incroyables et je risque de me retrouver avec 8000 livres chez moi.

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Olivier Roland : Alors, quand sais-tu que tu dois t’arrêter? Le ressens-tu?

Robert Greene : Eh bien, je fais beaucoup attention ! Je regarde d’aussi près que possible pour voir si les livres seront intéressants; parfois ils le sont, parfois ils ne le sont pas. Je ne sais pas à l’avance, je fais un pari, mais je pense que je ressens les choses dans ce domaine. Ce livre, en particulier, décrit l’origine de notre relation avec la nature, d’où cela est parti et pourquoi nous avons différentes manières de voir la nature : l’une est scientifique et objective et justifie que nous exploitions la nature pour fabriquer des choses pour nous-mêmes, sans prendre en compte le fait que nous la détruisons et l’autre est quelque peu poétique et romantique et amène à faire un avec la nature, à écrire sur elle et à créer de l’art en s’inspirant d’elle et il en retrace l’origine jusqu’à la Grèce antique.

J’ai trouvé cela fascinant et même quand le contenu d’un livre n’est pas tout à fait pertinent pour mon nouveau projet je le lirai quand même parce que je le trouve vraiment intéressant.

Olivier Roland : Ainsi, quand tu écris un livre, tu dois être enthousiaste en tant qu’écrivain ?

Robert Greene : Absolument ! Et si ce n’est pas le cas, cela transparaît dans le livre et le lecteur peut perdre tout intérêt je dois donc jouer un jeu avec moi-même, je dois raviver mon intérêt et pour cela je lis parfois des livres parce que je les trouve amusants et plus tard je cherche comment les exploiter pour mon livre.

Olivier Roland : Il est évident que tu es naturellement curieux, tu aimes apprendre et peut-être même que tu aimes le processus d’apprentissage en lui-même et tu sens que tu dois apprendre quelque chose de nouveau chaque fois, n’est-ce pas?

Robert Greene : C’est vrai !

Olivier Roland : Je suis comme toi, je peux donc comprendre cela! C’est vraiment un atout de savoir combiner tout ce que l’on apprend. Maintenant dis-moi, une fois que tu lis beaucoup de livres sur un sujet, est-ce que tu prends des notes au fur et à mesure que tu lis ou est-ce que tu gardes tout dans ta tête?

Robert Greene : Non ! Rien n’est dans ma tête, je ne peux pas garder en tête tout ce que je lis, ça fait beaucoup d’informations!

Olivier Roland : Effectivement !

Robert Greene : Alors, lorsque je lis un livre, je fais de petites notes sur le côté pour mettre en évidence ce que je trouve intéressant; parfois il m’arrive d’écrire.

Olivier Roland : Sérieusement ? Tu n’utilises pas des post-it?

Robert Greene : Non! Non! J’écris au fur et à mesure Et s’il m’arrive de ne pas aimer ce que je lis, je fais simplement… et je dis : «merde» à cette partie.

Olivier Roland : Vraiment ?

Robert Greene : Je peux même te montrer si tu veux! Donc, j’aime écrire dans les livres que je lis et ensuite peut-être deux mois plus tard, j’y reviens et je note sur des cartes les choses qui m’ont marqué. Si j’ai donc affaire à un bon livre, je peux avoir 10 ou 20 cartes avec différents sujets.

Olivier Roland : Et tu vois tout de suite ce que tu as marqué, n’est-ce pas? Toutes tes notes se démarquent. Ainsi, tu peux voir très rapidement ?

Robert Greene : Absolument! Je peux voir ce qui était intéressant dans le livre et je peux plus tard organiser tous les points donc s’il y a un livre dans lequel il y a environ 50 petits conseils intéressants, c’est suffisant pour un livre. Une fois que j’ai toutes mes notes sur ces cartes, je peux les mettre ensemble c’est un peu comme si tu avais une sauce pour un repas et que tu la fais véritablement bouillir jusqu’à ce qu’elle devienne vraiment délicieuse. De même, je résume un long livre en petites pépites de vérités vraiment intéressantes toutes organisées sur mes cartes et cela rend l’écriture du livre vraiment facile. Donc quand je m’assois pour écrire un chapitre, j’ai environ 60 cartes que je peux consulter et je dis : «C’est sur ce sujet que je vais écrire» parce que tout est déjà organisé.

Olivier Roland : D’accord ! J’ai pensé à un auteur quand j’ai lu les exemples que tu as donnés à propos de Staline et d’autres personnages et j’avais l’impression que tu parlais d’un ami comme si tu connaissais en personne Staline et cela m’a rappelé l’auteur des «Rois maudits»; une série de livres qui a fortement inspiré Georges Martin pour écrire «Game of Thrones». La série de livres de Maurice Druon est très célèbre en France et Georges Martin a été tellement influencé par ses livres qu’il a demandé à son éditeur de republier en anglais une traduction de ces ouvrages qui n’étaient plus disponibles depuis environ deux décennies.

Et c’est de cette façon que j’ai découvert cet auteur. Parce que Georges Martin a dit le concernant : «cet homme m’a vraiment inspiré». Et quand tu lis «Les Rois maudits», tu réalises que «Game of thrones» est en quelque sorte un mélange de «Les Rois maudits» et de «Le Seigneur des anneaux», cela renseigne beaucoup sur le processus créatif de Georges Martin.
Tout cela pour dire que ce type sait vraiment comment ramener les morts à la vie

Robert Greene : C’est en quelque sorte ce que j’essaie de faire. Et cela m’intéresse beaucoup, je vais donc me pencher dessus pour mon prochain livre.

Olivier Roland : Alors, je suis curieux de savoir comment tu as commencé tout cela ? Présentement, tu as ce processus bien huilé dans lequel tu as beaucoup d’expérience et tu as dit que tu étais chercheur avant, mais ton premier livre était un sacré pari, n’est-ce pas?
C’est un très gros livre et tu ne savais pas s’il allait être bien accueilli sur le marché, alors qu’est-ce qui t’a poussé à embarquer pour cette aventure? Était-ce la prochaine étape logique pour toi?

Robert Greene : Eh bien, je pense que ce qui m’a lancé dans cette aventure, c’est le suicide. J’étais très déprimé au milieu de la trentaine, je voulais être écrivain, j’ai écrit toute ma vie, mais je n’ai jamais eu de succès. J’ai essayé le journalisme, j’ai essayé le théâtre, j’ai travaillé à Hollywood et j’ai vraiment détesté cela.

Olivier Roland : Pourquoi?

Robert Greene : Tu n’as aucun contrôle. J’aime avoir le contrôle, mais quand tu écris quelque chose et que huit autres personnes s’impliquent, en fin de compte, cela ne reflète plus ton idée de base. Ton idée est totalement diluée, transformée en une chose sans intérêt.

Je détestais ce processus; j’ai une vision et je veux la réaliser. C’est comme si tu avais une vision pour ton entreprise et que huit ou dix autres personnes te disaient : «non, tu dois faire ceci ou cela ou encore cela» en fin de compte, ce n’est plus ton entreprise. Je veux donc pouvoir donner libre cours à mon esprit d’entreprise.

J’étais donc très motivé pour sortir de ce piège dans lequel je me trouvais, de cette forme de dépression qui me donnait l’impression de ne pas savoir où j’allais dans la vie. Et même mes parents commençaient à s’inquiéter pour moi parce que j’avais déjà 36 ans. Et puis j’ai rencontré un homme qui faisait du packaging éditorial, juste par coïncidence. J’étais en Italie à ce moment-là et il m’a demandé si j’avais une idée pour écrire un livre. Il y a ces genres de moments où tu ne sais pas d’où viennent les choses, c’est presque comme si une voix à l’intérieur de moi que je ne connaissais même pas m’a soudainement communiqué cette idée pour les «Les 48 Lois du Pouvoir» sur la base de toutes mes expériences.

J’ai eu 60 à 70 emplois différents avant cela, avec tous ces mauvais employeurs, des gens vraiment méchants et manipulateurs, pas tous, mais la plupart d’entre eux. J’ai donc expérimenté beaucoup de jeu de pouvoir et beaucoup de manipulation. Et j’étais en colère parce que personne ne décrivait ce qui se passe vraiment dans le monde et j’ai lu beaucoup d’histoires, j’ai lu «Les Borgia», j’étais obsédé par Machiavel, j’ai lu des écrits sur la Grèce antique, la Rome antique et je me suis dit que rien n’a vraiment changé.

Je suis assis là, travaillant pour ce réalisateur de films à Hollywood et il se comporte exactement comme Cesare Borgia. Certes les gens ne se font pas poignarder et tuer, mais il excelle dans l’art de manipulation. Je crois donc que rien n’a vraiment changé; la violence n’est pas aussi extrême, mais la manipulation, les jeux, les jeux de pouvoir sont toujours d’actualité. J’ai donc partagé cela avec ce type un jour où nous marchions dans les rues de Venise, en Italie, et ses yeux se sont illuminés. Il a dit avec son accent hollandais : «Robert, je vais te payer pour écrire ce livre quand tu rentreras chez toi à Los Angeles».

J’ai donc emprunté de l’argent à mes parents, désolé pour ma mauvaise imitation… J’ai emprunté de l’argent à mes parents, parce que j’étais fauché et j’ai écrit une ébauche qui n’était pas supposée laisser place aux «48 Lois du Pouvoir» mais au fond, j’étais très motivé, très désireux de changer de vie; je voulais tellement devenir écrivain, réussir. Je voulais tellement partager toutes mes expériences de vie, ces choses que j’ai vues en 20 ans de travail que je n’avais plus qu’à écrire ce livre.

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Et quand il m’a donné cette chance, je me suis dit : «deviens riche ou meurs en essayant». Soit je devenais écrivain à succès, soit je mourais. J’étais incroyablement motivé et en quelques années, ce livre est sorti. C’est ainsi que j’ai commencé. Et parfois on ne sait pas pourquoi ou comment l’on est parvenu à se lancer, les circonstances de la vie peuvent te pousser dans une direction et tu te dis : «J’aime cette direction, je vais la suivre».

Si je n’avais pas rencontré cet homme, je ne sais pas ce qui se serait passé pour moi. J’aurais pu trouver une autre voie; j’aurais pu me frayer un chemin dans le milieu du cinéma ou écrire un autre genre de livre, mais il m’a donné cette chance, je l’ai saisie et je suis allé le plus loin possible. C’est ainsi que j’ai commencé.

Olivier Roland : Et tu es allé assez loin!

Robert Greene : Tu l’as dit ! Je me considère comme étant très chanceux parce que si j’essayais d’écrire «Les 48 Lois du Pouvoir» aujourd’hui, le livre ne se vendrait pas.

Olivier Roland : Pourquoi ?

Robert Greene : Parce que je suis un jeune écrivain et les gens sont très conservateurs de nos jours, ils regarderont ce long livre de 400 pages et ne le liront pas parce que personne ne connaît l’auteur. Et même quand j’ai écrit le livre, les gens étaient très confus, car ils ne savaient pas comment l’aborder, parce que quand on y regarde de plus près, ce livre est très étrange : on y trouve des notes sur les marges, en gros c’est un livre visuellement très étrange. Si tu n’as jamais vu un livre qui se présente ainsi, tu peux le détester, d’ailleurs on ne voit jamais un livre qui se présente dans ce style. C’était donc un risque énorme pour moi et pour ceux qui me finançaient; personne ne prendrait un tel risque aujourd’hui; j’ai donc eu beaucoup de chance!

Olivier Roland : As-tu eu du mal à convaincre ton éditeur?

Robert Greene : Non ! Il y avait des gens qui nous proposaient leur soutien, nous donnaient de l’argent et même des éditeurs qui voulaient publier le livre. Finalement, nous l’avons vendu à Penguin Books et l’éditeur est revenu me voir pour dire : «Robert, nous aimons beaucoup ton livre, mais nous voulons que tu le modifies un peu, il est un peu bizarre à notre goût, nous voulons que tu te débarrasses de ces sections. Nous voulons que tu consacres un chapitre à un élément et si tu insistes pour garder ta présentation, nous annulerons notre accord et nous irons voir ailleurs».

Olivier Roland : Tu avais ta vision et tu voulais la mettre en œuvre

Robert Greene : Je ne voulais pas que mon livre soit conventionnel et ennuyeux; je voulais qu’il soit comme je l’ai pensé; c’est-à-dire un ouvrage très intéressant pour le lecteur. Parce que quand on l’ouvre, il raconte une histoire et, sur les marges, il y a des fables et des citations, puis il y a une section où l’histoire est interprétée, puis il y a des images avec des mots et plus de citations et de sections. On ne voit jamais de livre dans ce style et je voulais que le lecteur ressente ce choc. J’étais certain que c’est ce qui nous permettrait de vendre et mon partenaire m’a soutenu dans cette voie… et tout s’est très bien passé !

Olivier Roland : Est-ce ton livre le plus vendu jusqu’à présent?

Robert Greene : De loin! Nous avons vendu…

Olivier Roland : Plus de deux millions, n’est-ce pas?

Robert Greene : Rien qu’aux États-Unis !

Olivier Roland : Et puis il y a le reste du monde. Je sais qu’en France, il tourne autour de 100000 copies vendues…

Robert Greene : Vraiment?

Olivier Roland : Oui, je crois! Enfin, au moins 60 000 ou 70000 copies, ce qui est génial.

Robert Greene : Oui!

Olivier Roland : Pourquoi n’as-tu pas reproduit ce format avec ton dernier livre qui semble plus traditionnel dans sa présentation?

Robert Greene : Je voulais le faire, mais on ne m’a pas laissé le temps parce que j’étais en retard sur la date limite. J’allais mettre les notes sur les marges quand on m’a dit «Robert, nous n’avons pas le temps, cela va revenir trop cher». J’étais très contrarié, mais j’ai dû lâcher prise ensuite on n’a convenu que je pourrai le faire dans mon prochain livre sur lequel je travaille en ce moment. Pour ce qui est donc de la présentation, je voulais la conserver, mais je ne pouvais pas.

Olivier Roland : Il est intéressant de constater que même un écrivain célèbre qui n’a plus rien à prouver à personne peut toujours faire face à des difficultés.

Robert Greene : Je suis pratiquement en mesure d’écrire sans aucune pression aujourd’hui. Tu sais, j’étais très en retard sur la date de livraison de ce livre et pourtant les éditeurs ne m’ont pas du tout pénalisé pour cela, ils m’ont même laissé le choix. Ils ont dit : «Robert, tu peux essayer de mettre les notes sur les marges, mais cela va revenir plus cher, donc tu vas probablement vendre moins, ensuite tu ne pourras pas publier le livre cette année, tu devras attendre une année de plus»
J’ai répondu : «Pas question, je travaille dessus depuis 5 ans, je veux que le livre soit publié». J’aurais donc pu procéder de cette façon, mais j’ai compris que cela avait d’autres implications, je suis une personne pratique et je voulais que ce livre soit publié afin de passer à autre chose.

Olivier Roland : Nous avons parlé un peu hors caméra de ton prochain livre ; as-tu prévu de faire une 2e édition de ton livre dans ce format que tu préfères ?

Robert Greene : C’est une excellente idée, peut-être un jour, pourquoi pas ? J’ai tout le contenu dont j’ai besoin pour les marges, c’est une bonne idée, peut-être que je vais te demander de m’aider pour cela.

Olivier Roland : Oui, pourquoi pas, cela pourrait être intéressant. Pour la 2e édition de mon livre, j’ai fait pas mal de changements, c’est donc toujours une opportunité. Nous avons l’habitude de voir un livre comme une chose gravée dans le marbre, mais nous pouvons changer cela.

Robert Greene : Effectivement! C’est une bonne idée!

Olivier Roland : Une chose qui me marque quand je lis tes livres, c’est que beaucoup d’auteurs sont piégés dans un certain conformisme politique, et certains te décrivent d’ailleurs comme étant le Machiavel des temps modernes. Il semble que tu sois né pour aller bien au-delà de ce que la plupart des auteurs oseraient écrire. C’est effrayant pour la plupart des gens d’aller au-delà du politiquement correct parce qu’ils ont peur d’être critiqués ou de subir un « bad buzz » ; ils ont peur d’être bannis de la tribu. Alors, comment fais-tu pour surmonter cette peur ? La ressens-tu?

bad buzz peur oser écrire et dire

Robert Greene : Non, je ne la ressens pas.
Certains de mes amis ont coupé les ponts avec moi parce qu’ils étaient très contrariés par «Les 48 Lois du Pouvoir» et «L’Art de la séduction», ils ont dit : «Robert, je constate que je me suis trompé sur ta personne, je pensais que tu étais un bon type et te voilà en train d’écrire ces livres maléfiques et amoraux». Mais je ne considère pas ces livres comme étant maléfiques ou amoraux.

En fait, étant donné qu’il y a tant de conformisme politique dans le monde, c’est une excellente occasion de faire le contraire car je sens que les gens sont secrètement opprimés par toute ce conformisme, par toutes ces conventions, par tous ces gens qui disent «vous devez dire ceci, vous ne pouvez pas dire cela, vous ne pouvez pas offenser ces gens, vous ne pouvez pas faire cela».

Et nous sommes tous secrètement opprimés par tout cela, nous voulons nous libérer, nous voulons penser librement, nous voulons avoir affaire à des gens qui nous disent la vérité et qui n’édulcorent pas les faits. Et donc, j’ai toujours pensé, quand j’ai écrit «Les 48 Lois du Pouvoir», que les millions de livres d’auto-assistance qui existent et qui sont écrits tout le temps n’ont aucun lien avec la réalité.

Je pense que le monde du travail peut être très rude, très compétitif, les gens sont très égoïstes, ils pensent uniquement à leur agenda. Je ne porte pas de jugement, mais c’est la réalité. Quand tu travailles dans un bureau, tout n’est pas rose, les gens peuvent être très rudes. Il y a tellement de personnalités différentes dans ce monde, et personne n’écrit sur ces choses parce que les gens ont peur. Les universitaires ne veulent pas écrire sur ce sujet et les auteurs de livres d’auto-assistance ne le font pas parce qu’ils veulent conserver ce conte de fées qui veut que tous les humains soient en quelque sorte des anges. Et donc, moi je dis : «Non ! Je vais vous présenter la réalité, je vais vous la présenter telle qu’elle est» ! Et, certaines personnes m’ont diabolisé pour cela, mais je pense que les gens se retrouvent dans mes écrits et disent « enfin »…

Je me souviens qu’après avoir écrit «Les 48 Lois du pouvoir», je faisais une tournée promotionnelle et je suis allé à Washington DC, c’était mon premier livre donc tout cela était nouveau et passionnant pour moi. J’étais donc à Washington DC dans un immeuble du gouvernement et une femme vient me voir avec le livre dans les mains. Elle chuchota : «Robert, merci pour ce livre, c’est exactement ce qui se passe ici, personne ne veut en parler de cette façon…». Je me souviens qu’elle faisait de son mieux pour que les gens ne constatent pas qu’elle lisait le livre, mais elle se retrouvait dans ces écrits.

Tu sais, les gens aiment traiter le lecteur comme s’il était un enfant, ils le prennent de haut, ils lui disent : «tu ne vas pas comprendre ce concept; tu es trop stupide pour comprendre la philosophie ou la psychologie, je vais rendre tout cela accessible pour toi». Je n’aime pas prendre le lecteur de haut, j’aime supposer qu’il est adulte et qu’il comprend ce qu’il lit. Si j’écris un chapitre intitulé «En finir définitivement avec votre ennemi», il est évident que le titre est un peu ironique et que je ne demande pas aux gens de commettre littéralement des meurtres. Je parle d’une pratique courante dans le monde des affaires et je révèle une stratégie que les gens utilisent. Je pars du principe que les gens sont des adultes et qu’ils peuvent comprendre le sens de mes écrits.

Oui, je comprends que des gens soient en colère à cause de mes écrits, mais j’ai remarqué que mes livres sont très appréciés des Afro-Américains parce qu’ils ont été de l’autre côté du pouvoir; ils ont vu le côté sombre, vil et manipulateur du pouvoir et quand ils lisent ce livre, il leur semble très véridique et ils le trouvent très intéressant et utile, mais ce même livre éveille une certaine culpabilité chez d’autres gens.
J’ai constaté que les personnes qui sont le plus souvent gênées par les «48 Lois» sont très manipulatrices; elles pratiquent la plupart de ces lois, mais n’aiment pas qu’on les fasse connaître.

Olivier Roland : Oui, je peux sentir quand tu en parles que tu es vraiment remonté ; tu es un peu révolté et c’est comme une mission pour toi de dire «merde», les choses ne fonctionnent pas ainsi.

Robert Greene : Oui, surtout à Hollywood où tout le monde prétend être si progressiste, si éveillé, toujours en faveur des causes libérales ; regarde ce qui se passe avec l’affaire Harvey Weinstein ! Il a toujours été pour les causes les plus libérales, il soutenait tous les démocrates, je suis aussi démocrate donc je n’ai rien contre cela, mais regarde ce qu’il faisait dans les coulisses. J’ai vu cela très souvent à Hollywood; des gens qui se montraient progressistes en public mais qui hurlaient après leur assistant, jouaient toutes sortes de jeux malsains dans les coulisses. Et toute cette hypocrisie me mettait en colère.

Olivier Roland : Et tu voulais y remédier à ta façon, changer les choses dans la mesure du possible. Cela t’a donné beaucoup d’énergie et aussi le courage de faire des sacrifices et même d’accepter de perdre des amis…

Robert Greene : Finalement, je n’ai pas perdu beaucoup d’amis, certains ont même aimé le livre, mais j’en ai effectivement perdu quelques-uns.

Olivier Roland : J’aime beaucoup quand tu dis que c’est une façon de sortir du lot et que ce que tu écris résonne en beaucoup de gens.

Robert Greene : Dans plusieurs de mes livres, je recommande aux écrivains ou entrepreneurs de ne pas craindre la colère. La colère est une émotion incroyablement importante, c’est elle qui unit, c’est elle qui crée une cause. Utilise donc la colère que tu ressens, sers-t’en dans ton travail, et utilise-la comme un moyen d’attirer le public parce que les gens sont secrètement opprimés par tous ces sourires, cette fausse politesse ainsi que les choses qu’ils doivent vivre au jour le jour. Ils sont en fait très excités de lire un livre qui parle de la vie sous un angle différent.

L’autre chose, c’est que j’ai toujours été fasciné par les cours aristocratiques comme celle de Louis XIV. L’écosystème de cette cour et la façon dont chacun y est si politique, si attentif à ce qu’il dit, me fascine, et j’ai pensé que cela décrit parfaitement le monde actuel. Dès que tu vois une figure de pouvoir, une entreprise ou un homme politique, un petit tribunal se forme autour. C’est exactement la même dynamique autour de ma communication en ce moment : un petit tribunal s’est formé et tout le monde fait attention à ce qu’il dit, les gens font des courbettes et se comportent bien.

Olivier Roland : C’est une très bonne analogie ! Dans «Les lois de la nature humaine», tu mentionnes également que Louis XV était très doué pour surprendre les gens et avait la capacité de très vite décrypter leur langage corporel pour déterminer s’ils l’aimaient ou non. Il a donc toujours existé des personnes qui veulent voir, à travers le masque, la vérité pour ce qu’elle est.

communication non verbale expression du visage

Robert Greene : Oui, je m’intéresse beaucoup à la communication non verbale.
J’ai écrit dans tous mes livres, «L’art de la séduction» y compris, que nous les humains, parlons une 2e langue et que cette 2e langue est non verbale. Elle s’entend dans le ton que nous employons, dans notre regard, dans notre posture et beaucoup de choses sont révélées via le langage corporel; notamment les insécurités ou l’assurance, etc. On peut vraiment lire les gens à travers leur langage corporel, et je l’ai toujours dit dans mes livres.

Olivier Roland : Oui, tu en parles comme étant d’une fenêtre ouverte sur l’âme, d’une chose qui peut vraiment percer le masque pour voir ce qu’il y a derrière, et c’est fascinant.

Robert Greene : Oui ! Tu sais, c’est une autre idée qui n’obéit pas au conformisme politique : les gens prétendent être ce qu’ils ne sont pas, alors dans ce livre, j’invite à regarder l’envers du décor. Ainsi, quand quelqu’un se montre trop saint, progressiste et éveillé, il cache souvent une facette plus sombre, il dissimule simplement sa vraie personnalité. Les gens ont tendance à projeter une image opposée à ce qu’ils sont vraiment.

Olivier Roland : J’aime dire que l’une des meilleures façons d’apprendre, c’est d’enseigner parce que lorsque tu enseignes, tu es tenu d’avoir une réelle clarté quant à ce que tu connais et tu peux avoir plusieurs façons de connaitre quelque chose : tu peux avoir une connaissance floue ou tu peux bien maitriser un sujet. Et, je pense que l’écriture est aussi une façon de clarifier tes propres connaissances parce que tu dois connaitre afin de partager avec les gens. Es-tu de cet avis?

Robert Greene : Tout à fait !

Olivier Roland : Dis-moi, y a-t-il une chose qui a transformé ta vie dans tout ce que tu as appris en écrivant ces livres? Parce qu’il est évident que tu as appris beaucoup de choses au cours de la dernière décennie en écrivant tous tes livres. Y a-t-il une astuce que tu appliques dans ta vie qui a complètement changé ta façon de voir le monde?

Robert Greene : À quel niveau? Dans les livres que je lis ou pendant que je suis en train d’écrire?

Olivier Roland : Aux deux niveaux ou à un seul si tu veux.

Robert Greene : Je ne sais pas, je dois y réfléchir. Une chose que j’ai apprise, c’est que je ne dois jamais me montrer trop arrogant dans ma façon de penser, mais que je dois toujours me remettre dans la peau d’un enfant et me dire que je ne connais rien. Alors quand j’ai écrit «Les 48 Lois du Pouvoir», j’ai été tenté comme beaucoup d’écrivains de faire une partie 2 et de surfer sur ce succès, ce qui reviendrait en quelque sorte à répéter les mêmes idées, mais j’ai appris à faire le contraire et à aller vers quelque chose de nouveau, à recommencer et à me dire que je ne sais rien sur le sujet; cela amène à avoir beaucoup d’humilité. Je sais que ma façon de parler du conformisme politique fait penser que je suis arrogant, mais en fait quand il s’agit de ce sujet, je suis extrêmement humble.

Quand j’ai commencé à écrire «Les lois de la nature humaine», j’étais totalement ouvert et je ne savais pas sur quoi j’allais écrire en général, j’ai quelques idées préconçues, mais j’essaie de les abandonner. Donc, je me dis que ce livre pourrait être un échec, que ce sera probablement un échec, que les gens vont détester mon prochain livre. Je ne connais pas du tout le sujet, j’ai beaucoup de travail devant moi
je dois partir de zéro, commencer avec l’impression que c’est mon premier livre et faire beaucoup d’efforts pour écrire quelque chose de vraiment génial et les choses se passent de manière à ce que je n’aie jamais le temps de me relâcher.

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Je vais probablement avoir un AVC si je continue ainsi, mais c’est uniquement quand j’ai l’impression d’être ignorant que je suis enthousiaste. Ainsi dès que je me dis : «oh! je sais de quoi traitera ce livre», j’ai toutes mes idées. Je tue ma propre curiosité. Et donc, je commence à lire des livres avec des idées préconçues, je lis des livres qui, je pense, vont confirmer ce que je sais déjà mais j’aime aussi les livres qui m’apprennent des choses auxquelles je n’ai jamais pensé j’ai donc appris à revenir à la case départ chaque fois que je lance un projet c’est une bonne et saine habitude que j’apprécie.

J’aime cette sensation rafraichissante que je ressens quand je me mets dans la peau d’un enfant de six ans qui est sur le point d’apprendre les mathématiques ou la géologie, un enfant pour qui le monde peut être plein de surprises je dois donc découvrir ce qu’il en est, c’est une chose que j’ai apprise au cours du processus.

Olivier Roland : Oui, c’est très intéressant et tu as raison, si tu as des idées préconçues sur un sujet, cela tue ta curiosité d’une certaine manière ou tu ne cherches que des faits qui valident ton point de vue et en fin de compte tu te retrouves à côté de la plaque.

Robert Greene : Absolument !

Olivier Roland : Est-ce donc une chose que tu as appris en écrivant ou avais-tu naturellement cette faculté ?

Robert Greene : Non, cela fait sans doute partie de ma personnalité parce que, comme je l’ai dit, j’aime toucher du doigt la réalité des choses Je n’aime pas les livres qui m’amènent à penser : «ce n’est pas vraiment ce que j’expérimente, quelque chose ne va pas». Cela me motive donc probablement à approfondir mes recherches sur le sujet qui m’intéresse.

Mais, j’ai vraiment été tenté de réécrire les mêmes livres et les gens m’ont critiqué en disant : «Robert, tu aurais pu gagner tellement plus d’argent si tu avais écrit un 2e volet des 48 Lois du Pouvoir; si tu te contentais de réécrire ce même contenu». À cela j’ai répondu : «Je ne fonctionne pas de cette façon; je dois être excité à propos de ce que j’écris». Et pour avoir fait cela pendant 22 ans, j’ai appris à être constamment excité par tout nouveau projet dans lequel je me lance.

Olivier Roland : Alors, choisis-tu le sujet de tes prochains livres uniquement par curiosité ? Ou tu as une autre façon de faire ?

Robert Greene : Bien sûr! Par exemple, personne n’a jamais écrit un livre sur «Les 48 Lois du Pouvoir», je le sais parce que j’ai fait mes recherches et je me suis dit que j’allais le faire. Personne n’a jamais écrit un livre sur l’art de la séduction tel que je le conçois et crois-moi, je sais de quoi je parle, parce que quand j’ai commencé à écrire le livre, j’ai parcouru les bibliothèques, je suis allé partout et il n’y avait rien. On pouvait compter sur les doigts les livres disponibles sur ce sujet. Ces livres sont rares, et je me suis dit que j’allais être le premier à aborder la question sous cet angle particulier. En ce qui concerne le livre sur la guerre, beaucoup de gens écrivent des livres sur la guerre comme «L’Art de la guerre» mais personne n’a encore écrit un livre qui relie la guerre à la vie quotidienne et aux affaires; et qui présente la guerre de manière très pratique. e me suis donc dit que j’allais le faire. Personne n’a jamais écrit un livre sur lequel un rappeur afro-américain et un homme blanc venant d’horizons différents collaborent et présentent une philosophie commune. Peux-tu me trouver un livre qui répond à ces critères?

Olivier Roland : Bien sûr que non !

Robert Greene : Je me dis donc que je vais le faire et j’applique cette méthode encore et encore. Je veux lire un livre sur la nature humaine parce que le sujet m’intéresse, mais rien n’est disponible. C’est ce qui me motive en quelque sorte à dire « je vais le faire » ; c’est très excitant de procéder ainsi et j’en ai parlé dans mon livre «Atteindre l’excellence». Si tu crées une entreprise ou si tu as en idée de te lancer dans un projet, tu dois chercher cette petite niche que personne d’autre n’a trouvée. C’est ainsi que les animaux survivent, ils trouvent une niche qu’aucun autre animal n’a trouvé, et c’est ainsi qu’il faut voir le monde des affaires.

trouver une niche rare un sujet exotique

Quelle est cette niche que personne d’autre n’occupe, ce nouvel espace que personne n’a exploré ? Nous sommes tellement conformistes que tout le monde fait ce que les autres font. Les gens disent : «nous allons créer un Facebook 2 ou nous allons créer un Amazon 2», ils sont habitués à imiter les autres, alors que le pouvoir réside dans le fait d’aller là où personne n’est allé avant, dans le fait de trouver cette niche et de faire quelque chose d’utile. Bien sûr, la niche ne doit pas être trop étrange et doit malgré tout intéresser les gens, mais il faut chercher quelque chose d’exotique, que personne d’autre ne couvre. C’est ainsi que j’ai toujours procédé !

Olivier Roland : As-tu entendu parler du concept japonais de l’Ikigaï ?

Robert Greene : Bien sûr !

Olivier Roland : L’Ikigaï est en quelque sorte un mélange de quatre éléments que sont : le potentiel économique, la passion, les compétences et la mission. Quand tu réunis ces 4 éléments, cela signifie que tu as trouvé ta «raison d’être». C’est comme si tu venais de trouver ta mission. À t’entendre, on a l’impression que tu as trouvé ton Ikigaï, n’est-ce pas?

Robert Greene : Absolument !

Olivier Roland : Tu essaies vraiment de réunir ces 4 éléments à la fois !

Robert Greene : C’est un peu le sujet abordé dans mon livre «Atteindre l’excellence». J’y explique qu’il faut d’abord découvrir ce qu’est ta mission dans la vie, ta raison d’être. Qu’est-ce qui te distingue, qu’est-ce qui te rend unique? Tu le découvres à travers tes luttes et, je ne sais pas quel âge tu as ?

Olivier Roland : J’ai 39 ans…

Robert Greene : 39 ans?

Olivier Roland : Oui !

Robert Greene : Oh, tu m’as l’air plus jeune.

Olivier Roland : Merci !

Robert Greene : À travers les différents emplois que tu as eus, les entreprises que tu as créées, et tout ce qui s’est produit jusqu’à l’écriture de ton livre, tu as en quelque sorte découvert ta petite niche, ce que tu es censé faire. Mais, c’est un processus, c’est pourquoi j’ai parlé dans le livre du besoin de trouver cette niche. Et une fois que tu l’as trouvée, tu dois développer de réelles compétences pour pouvoir créer quelque chose de différent.

Tu dois te baser sur une connaissance réelle des autres (…) tu dois passer par la phase d’apprentissage, et puis lentement, tu pourras faire ressortir ton unicité, ce qui te rend différent, à travers ton travail et ainsi devenir créatif. Mais, il faut passer par ce processus qui ressemble beaucoup à celui de l’Ikigaï et découvrir ce qui te rend différent, ce qui te distingue, de manière à faire ressortir ton propre style dans le monde.

Tu sais, on ne gagne rien à imiter ce que les autres font sur YouTube ou Instagram. Le pouvoir réside dans le fait de découvrir ce qui te rend différent, ce qui te rend unique, ce qui te rend particulier et de faire ressortir cela dans un style inédit C’est là que réside le vrai pouvoir.

Olivier Roland : Tu as donc beaucoup étudié la nature humaine, non seulement pour ton dernier livre, mais aussi pour tes autres livres. Peux-tu nous dire comment utiliser la nature humaine pour nous améliorer? Plutôt que d’en être esclave.

Robert Greene : Eh bien, c’est en quelque sorte le but de ce livre qui fait plus de 500 pages.

Olivier Roland : Exactement !

Robert Greene : Mais l’idée, c’est que toi qui nous suis à travers cette vidéo, tu ne te connais pas, tu es un étranger pour toi-même. Il y a des choses qui motivent tes actes et dont tu n’as aucune connaissance. Te rends-tu compte que plus de 95% de tes actes, de ce que tu fais, tu le fais inconsciemment ? Tu ne sais même pas pourquoi tu achètes certaines choses, pourquoi tu aimes ce genre de film, pourquoi tu es attiré par telle femme ou tel homme. Tu n’as aucune idée de ce qui se passe vraiment; une grande partie de tes actes sont dictés par ton subconscient et ce n’est pas une affirmation gratuite, la science confirme cela. Et donc tu es un étranger pour toi-même, tu ne sais pas pourquoi tu agis ainsi dans ta vie quotidienne ni ce qui motive tes actes.

Olivier Roland : C’est un peu comme une forme de programmation de l’ADN.

Robert Greene : Oui !

Olivier Roland : Les gens ne savent même pas pourquoi ils agissent d’une certaine façon.

Robert Greene : Oui, mais cela peut être génétique et/ou être dû aux expériences passées. Ainsi ta mère, ton père et tes frères et sœurs; tous ces gens ont un gros impact sur la manière dont tu te comportes avec tes employeurs, sur comment tu choisis tes partenaires intimes, etc. et on n’y pense même pas.
J’ai lu dans un livre l’histoire d’un jeune homme, c’était une sorte d’étude de cas en psychologie… Ce jeune homme avait une mère très égoïste qui ne s’occupait pas de lui, elle attendait toujours qu’il prenne soin d’elle et il a vécu cela étant enfant; il se sentait en quelque sorte abandonné ce qui l’a rendu faible et vulnérable.

Plus tard quand il a grandi, il avait des relations avec les femmes, mais au bout d’un an, il rompait; et il rompait parce qu’il ne pouvait pas supporter l’idée qu’elles l’abandonnent ; il devait être celui qui les quitte en premier. Il n’a jamais constaté qu’il a vécu ainsi toute sa vie et il se justifiait toujours : «oh! ce n’était pas la bonne femme, oh! elle n’était pas honnête, bla-bla-bla» et il a vécu ainsi 30 ans sans jamais réaliser qu’il était la victime de cette peur énorme qu’il a développé depuis l’âge de 4 ans, à savoir que les femmes allaient l’abandonner en premier, qu’il devrait être celui qui a le contrôle de la situation en les quittant le premier.

Cela arrive donc à tout le monde; tous les jours cela se produit dans ta vie et tu ne t’en rends même pas compte. Ce n’est peut-être pas aussi dramatique, mais cela affecte tes relations personnelles, cela affecte la manière dont tu te comportes face aux figures d’autorité, encore et encore. Donc, les gens vivent comme s’ils étaient endormis, ils ne savent pas pourquoi ils font certaines choses. Et j’appelle ces modèles de comportements qui sont ancrés en nous et dont nous ne sommes même pas conscients : «la nature humaine».

Mais il y a des actes que nous posons à cause de la façon dont notre cerveau est réglé, dont nous nous comportons en société, dont nous concevons la culture, qui sont à l’origine de certains modèles de comportements et qui opèrent en nous sans que nous en ayons conscience et je compare cela à un marionnettiste ; la nature humaine est un marionnettiste qui nous dirige sans que nous en soyons conscients, donc, pour te changer toi-même, pour avoir la possibilité de sortir de ces modèles, tu dois savoir qui tu es, quels sont ces modèles inconscients que tu entretiens et quelles sont ces lois de la nature humaine.

Tu sais, j’ai lu une citation d’Antoine Tchekhov qui dit :
«L’homme ne peut jamais se changer lui-même tant qu’il ne comprend pas qui il est», c’est la plus vieille loi du monde.

Tu sais, à Delphes l’inscription figurant à l’entrée du temple c’était «connais-toi toi-même», c’est le début de toute connaissance. Donc, je dis dans ce livre qu’il faut se comprendre soi-même avant de pouvoir débuter le changement et qu’il faut comprendre les autres même si tu ne comprendras jamais complètement les gens. Je ne pourrai jamais entrer en toi, Olivier, et pour voir ce qui se passe dans ton cerveau, je comprends qu’il y a une barrière, mais je peux me rapprocher. Et plus je me rapproche de la compréhension de moi-même et de ta personnalité, plus j’ai le pouvoir de t’influencer, de te faire accepter certaines de mes idées.

Olivier Roland : Oui, absolument! Et tu es plus susceptible de me manipuler…

Robert Greene : Oui, si tu ne le sais pas, oui.

Olivier Roland : Bien sûr ! Parce que dans ce cas, le concerné ne sait pas que l’autre sait ce qui l’influence.

Robert Greene : Absolument!

Olivier Roland : Il s’agit donc de comprendre quelles sont les choses qui nous influencent inconsciemment pour les ramener à la conscience. De manière à pouvoir choisir nos réactions aux différents stimulus.

Robert Greene : Il y a dans le livre un chapitre sur le conformisme dans lequel j’explique que nos idées, ne sont pas vraiment les nôtres. Tu penses peut-être que tes pensées sont les tiennes, mais ce n’est pas le cas. Elles viennent de tes professeurs, de tes parents, de ta communauté, de ta tribu en ligne ou d’ailleurs. Tu es profondément influencé par les opinions des autres, beaucoup de choses autour de toi t’incitent à faire comme les autres. C’est la partie animale en nous, un peu comme le loup et la meute. C’est une attitude de primate. Tu sais nous sommes des animaux sociaux.
Je veux donc que le lecteur comprenne que ses pensées viennent probablement des autres et je veux le pousser à commencer à penser par lui-même, à avoir un peu de recul et à réaliser qu’il y a peut-être une autre façon de voir le monde.

Olivier Roland : Alors, crois-tu au libre arbitre?

Robert Greene : Eh bien, beaucoup de gens en parlent, les physiciens, les scientifiques, les psychologues, c’est un débat très ouvert. Mon opinion, c’est qu’il y a un degré de libre arbitre dont nous, les humains, bénéficions. Parce qu’il y a tellement de choses que nous ne contrôlons pas.
Je n’ai pas choisi mes parents, je n’ai pas décidé de comment mon cerveau est structuré, je n’ai pas choisi mon genre, je n’ai pas choisi le pays dans lequel je suis né, ou encore mes professeurs. Ils ont tous eu un impact incroyable sur ma personne, ils ont formé la personne que je suis. Je ne peux pas changer cela, mais j’ai cette petite marge de manœuvre. Et si je suis en mesure de comprendre qui je suis et de faire preuve de volonté, cela peut faire toute la différence. C’est la différence entre une personne qui est inconsciente de qui elle est et une autre qui a un certain degré de conscience.
Je suis donc conscient de mes propres modèles, je suis conscient de la manière dont mon inconscient me guide et ainsi, je peux changer un peu les choses. Et, ce petit changement est suffisant pour apporter une certaine liberté.

Olivier Roland : Tu peux donc être aux commandes.

Robert Greene : Oui, absolument !

Olivier Roland : Penses-tu que nous pouvons booster ce libre arbitre en amenant au niveau de la conscience ce qui relève de l’inconscient?

Robert Greene : Tout à fait, j’ai partagé une histoire dans le livre à propos de Tchekhov, l’un de mes écrivains et personnages préférés, Antoine Tchekhov. Sa vie illustre parfaitement cela parce qu’il a eu une enfance vraiment terrible; son père le battait presque tous les jours, sans aucune raison, il n’a jamais expliqué pourquoi, Tchekhov n’a jamais rien fait de mal, mais son père le battait tout de même et il en faisait de même avec ses 5 autres frères et sœurs.

Tchekhov a confessé : «mon père me battait et affirmait que cela ferait de moi une meilleure personne». Pire, son père était alcoolique, il a grandi dans une ville misérable, très pauvre et il avait toutes les raisons de devenir une très mauvaise personne. Ses frères et sœurs sont également devenus alcooliques et étaient tous partis pour s’autodétruire, la famille était dans un sale état et à un moment, il a été abandonné à 16 ans dans cette ville.

Toute sa famille a déménagé à Moscou et quand il s’est retrouvé seul, il s’est dit : «Mes parents étaient esclaves, mon grand-père était esclave et cette mentalité d’esclave est toujours en nous, mon grand-père a racheté sa liberté, mais nous sommes toujours esclaves, nous ne sommes jamais devenus libres, nous sommes restés piégés dans le passé, nous avons été piégés par ces modèles de pensée, cette habitude de se plier aux ordres, de battre les enfants, de boire, etc.

Je vais être le premier à briser cette roue et pour ce faire, je vais trouver un moyen d’embrasser une carrière. Je vais travailler très dur et devenir médecin parce que c’était sa première profession, je vais pardonner et aimer mes parents».

Sa devise dans la vie était donc «travailler et aimer», «consacres toi à ton travail, pardonnes aux autres et aime-les, ne te laisses pas emporter par l’amertume». Et soudain, cette petite marge qu’est le libre arbitre est devenue plus importante et lui a permis de devenir un homme libre.

Il pouvait choisir, au lieu de devenir un alcoolique, de comprendre ses origines, de faire des études, devenir médecin et grand écrivain. Et puis il s’est installé à Moscou pour aider les siens et est parvenu à changer beaucoup de choses. Il ne pensait pas seulement à lui. Un de ses frères a fini par mourir du fait de l’alcoolisme, mais il s’est assuré que les autres enfants étudient et travaillent dur, et il est même parvenu à changer son père dans une certaine mesure. Mais pour cela, il fallait beaucoup d’efforts et un homme d’exception comme lui. La plupart d’entre nous avons donc une marge de manœuvre ; et un individu exceptionnel, conscient de qui il est, peut agrandir cette marge.

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Olivier Roland : Oui, c’est intéressant et c’est presque le processus que Descartes a utilisé dans son livre « Discours de la Méthode »

Il affirme qu’à un moment donné, il s’est dit : « on m’a appris toutes ces choses et maintenant mon devoir est de découvrir si c’est vrai ou pas ». C’est ainsi que je vais devenir ce que je suis et Tchekhov a aussi fait la même chose, même s’il était plus axé sur le côté émotionnel des choses contrairement à Descartes qui était intéressé par les idées. Tchekhov a pu de cette façon se décharger de tout son bagage émotionnel, ce qui est impressionnant.

Robert Greene : Ce qui est génial avec Descartes, c’est qu’il était un philosophe sceptique, il examinait toutes ses idées, les choses qu’il a apprises et les remettait en question. Il était un peu cartésien et pour lui c’était hors de question de simplement accepter les pensées que l’on a.

Olivier Roland : Tu les remets en question et tu vois ce que cela donne. C’est bien cela !

Robert Greene : Je soutiens que tu dois faire la même chose en ce qui te concerne, c’est une façon d’appliquer la méthode cartésienne et de se montrer sceptique à propos de son propre caractère.

Olivier Roland : Je pense que la chose peut s’étendre. Descartes était plus axé sur les idées, mais nous pouvons utiliser cette méthode pour tout ce qui se rapporte à l’inconscient.

Robert Greene : Oui bien sûr!

Olivier Roland : Comme je te l’ai dit, je suis entrepreneur depuis que je suis tout jeune et la majorité de ceux qui nous suivent sont aussi des entrepreneurs. Pourrais-tu partager avec nous une astuce sur comment utiliser les lois de la nature humaine booster nos entreprises, mieux communiquer avec les prospects ou les clients ou organiser notre marketing ?

Robert Greene : Le livre contient plusieurs chapitres qui seront très utiles pour les entrepreneurs. L’un des chapitres les plus importants porte sur l’esprit du temps, le « Zeitgeist » dans lequel nous vivons. Et il faut comprendre que rien n’est immuable, les choses changent constamment dans le processus de l’évolution. Si tu as donc tendance à être enraciné dans le passé, tes pensées seront un peu éloignées de la réalité et de l’évolution. Tu as actuellement 39 ans et il y a des jeunes de 19 ou 20 ans qui arrivent derrière toi, ils ne pensent pas comme toi, ils n’ont ni les mêmes valeurs, ni les mêmes goûts que toi. Si tu restes bloqué dans ton monde, tu ne pourras pas les attirer. Il te faut donc avoir l’état d’esprit de quelqu’un qui étudie les générations et l’évolution et il te faut être en mesure d’anticiper le prochain changement.

Je dis toujours que l’un des moments les plus marquants de notre histoire a été celui où Steve Jobs a compris vers l’an 2000 qu’à l’avenir des ordinateurs devraient être miniaturisés pour pouvoir tenir dans la main. Il a donc compris ce que voulaient les jeunes, il a compris qu’ils ne veulent pas du matériel encombrant d’antan. Il n’a pas seulement fait des recherches, c’était aussi une sorte d’intuition. Il a donc créé l’iPad qui a complètement révolutionné le monde et a mené à la création de l’iPhone et tout le reste. Tu dois donc pouvoir deviner ce qui viendra ensuite et ce n’est pas facile. J’ai expliqué en détail dans le livre comment on peut se défaire des blocages de notre propre génération.

Olivier Roland : Génial !

Robert Greene : J’appelle cela la myopie générationnelle, je ne sais pas si cela se dit en français ?

Olivier Roland : Oui, myopie de génération.

myopie des générations ouvrir les yeux

Robert Greene : Donc ta génération a tendance à créer une sorte de vision étroite, les gens pensent que les choses qu’ils ont connues dans leur enfance sont géniales. Tu sais, je suis en quelque sorte à mi-chemin entre la génération X et les baby-boomers, mais les baby-boomers sont exaspérants sur cette question, ils pensent que tout ce qu’ils ont connu dans les années 60 et 70 est ce qu’il y a de mieux et cela les confine donc dans une vision étroite qu’il faut agrandir. Et pour cela il faut étudier ce qui se passe dans le monde et ne jamais supposer que les choses sont immuables. J’ai siégé au conseil d’administration d’une société inscrite en bourse, American Apparel

Olivier Roland : Où tu travaillais tout le temps

Robert Greene : Oui, comme Ryan Holiday. Et le problème que nous avions dans le temps, c’est que le fondateur, Dov Charney qui était un grand entrepreneur et un homme brillant était enfermé dans les modèles qui ont fait son succès dans les années 2000. Il s’agissait essentiellement de concevoir des vêtements sexy des années 80 mais, il n’a pas compris qu’à partir de 2010-2011 une nouvelle génération était arrivée et elle n’était pas intéressé par ces vêtements sexy en latex qui étaient si populaires avant. Il a donc perdu le contact avec son public.

J’en ai parlé avec plusieurs rappeurs et dans le livre que j’ai écrit avec 50 Cent, j’ai beaucoup développé la question à savoir : comment être toujours en contact avec son public ? C’est l’une des principales leçons du chapitre 17. J’ai aussi parlé du leadership, de la manière de diriger un groupe de personnes et des difficultés actuelles qu’un leader peut rencontrer parce que les gens sont très méfiants, ils sont très cyniques vis-à-vis de l’autorité et n’aiment pas l’autorité.

Ce n’est pas comme mes parents, il y a 50 ou 60 ans, qui étaient beaucoup plus respectueux. Les gens ne respectent plus rien aujourd’hui. Être le président ou le PDG ou encore le fondateur ne veut plus rien dire de nos jours. Il faut donc en être conscient et savoir que diriger un groupe, c’est un art, c’est comme une danse. Il faut être très respectueux du groupe, tout en gardant un certain niveau d’autorité. Il faut avoir une vision claire de la destination de l’entreprise, de sorte que les autres ne t’écartent pas de ta voie, et il faut prendre les devants, ce qui signifie que tu gagnes le respect des gens en travaillant plus dur que n’importe qui. Tu prends tes responsabilités, tu traites les gens de manière équitable parce que plus personne ne veut être méprisé aujourd’hui.

On entend souvent : «il/elle est mieux traité que moi, il/elle a droit à tel privilège et pas moi». Les gens sont hypersensibles à propos des privilèges qu’on leur accorde, à propos de qui en bénéficie. Tu ne dois pas tomber dans ce piège. Tu dois constamment créer une atmosphère d’équité et un esprit d’équipe et je parle au chapitre 15 de comment créer une équipe dont les membres sont sur la même longueur d’onde, sont excités et c’est très difficile d’y arriver.

Pour finir, j’ai parlé dans le chapitre 8 de l’attitude qui est d’ailleurs le sujet de mon intervention dans les locaux de Kia. Un entrepreneur doit être ouvert, enthousiaste et prêt à s’étendre. Par exemple, tu dois considérer l’adversité et l’échec comme des bénédictions ; tu ne dois pas avoir peur d’échouer. Si tu as peur d’échouer, tu ne seras jamais un entrepreneur parce que la meilleure manière d’apprendre, c’est de tirer les leçons de tes erreurs.

Il est question de créer une entreprise qui échoue complètement, mais de continuer sans se décourager en disant : «j’ai appris en 3 mois, ce qui prendrait 5 ans de cours dans une école de commerce, parce que mes affaires se sont effondrées. J’ai compris pourquoi cette affaire n’a pas attiré les gens, j’ai compris ce que j’ai mal fait, j’ai compris pourquoi je n’ai pas gagné de l’argent plus vite, etc., etc.». Il faut donc être disposé à accepter l’adversité, l’échec et les défis ; il faut être ouvert aux nouvelles idées et se montrer enthousiaste. J’ai donc parlé de l’attitude de l’entrepreneur vis-à-vis de la vie. Tous les chapitres de ce livre seront utiles aux entrepreneurs, surtout ces trois que je viens de mettre en évidence.

Olivier Roland : C’est génial! Cela fait beaucoup de contenu à étudier pour les rebelles intelligents. Pour conclure cette incroyable interview, j’ai l’habitude, quand j’étudie l’œuvre de quelqu’un, de chercher à voir comment elle transforme la vie des gens. Alors, si tu devais nommer une seule personne dont la vie a changé après avoir lu ton livre ou qui a eu plus de succès qu’elle n’en aurait eu autrement, qui nommerais-tu?

Robert Greene : Tu veux parler d’une personne célèbre?

Olivier Roland : Oui, de préférence une personne qu’on peut retrouver sur YouTube ou sur internet et qui inspire les autres
Il ne s’agit pas nécessairement d’une personne très célèbre, mais au moins quelqu’un qu’on peut retrouver.

Robert Greene : Eh bien, je nommerais principalement des rappeurs comme 50 Cent. J’ai récemment eu un entretien avec Rick Ross et plusieurs rappeurs au fil des ans depuis la sortie de mon livre

Olivier Roland : Parce que comme tu l’as dit, les Afro-Américains sont plus sensibles à ce que tu écris étant donné qu’ils ont un aperçu plutôt clair de l’hypocrisie de la société et des jeux de pouvoir.

Robert Greene : Oui, 50 Cent m’a dit qu’il était un délinquant, qu’il vendait de la drogue à l’âge de 13 ans dans les rues du Queens et menait une vie très dangereuse. Il a perdu sa mère à 6 ou 7 ans et a été élevé par ses grands-parents, et il savait qu’un jour il deviendrait un homme d’affaires parce que c’était pour lui une sorte d’ambition. Et puis il s’est lancé dans le rap par hasard et il a rencontré Jam Master Jay de Run-DMC, ce qui l’a en quelque sorte changé et mis sur la voie de la musique. Il a commencé à écrire sa propre musique qui était très appréciée du public et à 19 ans, il était sur le point de signer son premier album quand il s’est fait tirer dessus par un dealer avec lequel il avait des antécédents. Il a reçu neuf balles presque tirées à bout portant.

Olivier Roland : Neuf balles?

Robert Greene : Neuf balles qui ont traversé la vitre d’une voiture, il en a reçu dans la mâchoire, etc. et est passé à deux doigts de mourir après sa sortie de l’hôpital, son contrat de disque a été annulé et il s’est retrouvé sans rien. Et c’est à ce moment qu’il a en quelque sorte découvert «Les 48 Lois du pouvoir» à la fin des années 1998-1999. Il a alors compris que l’industrie du disque était un univers machiavélique
l’objectif des promoteurs était d’exploiter les rappeurs (parce qu’ils ne connaissent rien aux affaires), de signer tous leurs droits futurs et de faire du commerce sur leur dos. En gros, c’était presque une forme d’esclavage.

Et 50 Cent qui n’avait jamais fait les affaires ou quoi que ce soit dans le genre a trouvé le livre extrêmement utile, il a ouvert les yeux sur toutes les personnes qu’il avait déjà rencontrées dans ce milieu. Il était vraiment en colère qu’ils aient annulé son contrat pour cette raison, parce qu’ils ont estimé qu’il était devenu un personnage trop controversé.

Il a donc lu le livre et a compris qu’en fait, son expérience était la meilleure chose qui lui soit arrivée. Parce que maintenant il pouvait se présenter au monde comme étant un rappeur authentique : «regardez, on m’a tiré dessus, ces autres rappeurs sont des imposteurs ; moi je sais de quoi je parle». Et j’ai parlé dans le livre de la nécessité de créer une certaine présence en agissant avec audace. Il a trouvé cela très utile pour organiser des spectacles, mais aussi pour traiter avec les grands noms du monde des affaires. Il m’a par exemple appris certaines choses sur comment démarrer une négociation.

Il m’a dit : « quand tu commences des négociations, ne parle pas beaucoup, laisse les autres parler, garde en tête le montant que tu veux et sur lequel tu ne veux pas transiger, laissent-les voir ta position de loin. Et puis au moment où les choses commencent à s’enflammer et que les gens ne veulent pas lâcher prise, tu te lèves et tu pars. Tu dois avoir la possibilité de te retirer de la table des négociations, et tu verras que même en colère les gens reviendront vers toi ». Ce sont des principes qui étaient dans «Les 48 Lois du Pouvoir» : Obliger les autres à venir vers toi, interagir avec audace.

Olivier Roland : Tu veux donc dire qu’il a suivi les règles à la lettre?

Robert Greene : Ces règles l’ont vraiment aidé.

Olivier Roland : Quand t’a-t-il contacté pour écrire le livre?

Robert Greene : Il m’a contacté en 2005 pour me rencontrer.

Olivier Roland : Et te remercier, je suppose.

Robert Greene : Oui, mais il voulait me rencontrer et il était en plein échange avec un autre rappeur. Je ne sais pas de quoi ils parlaient, mais je pense qu’ils envisageaient la possibilité que nous écrivions un livre ensemble mais il ne me l’a pas présenté de cette manière, il a été très intelligent dans son approche. Il a aussi lu mon livre «l’Art de la séduction» et c’est un très bon séducteur, pas seulement avec les femmes, mais dans toute situation sociale. Il est même parvenu à séduire ma mère qui n’aimait pas le rap…

Olivier Roland : Vraiment?

Robert Greene : Ma mère de 93 ans. Il a littéralement avoué que le livre l’avait sauvé de ce moment horrible où sa carrière était au plus bas, où la maison de disques l’a laissé tomber et où il n’avait nulle part où aller. Alors, il a réalisé que nous pouvons prendre nos expériences négatives et les transformer en quelque chose de très positif. Et oui, cela a changé sa vie. Mais, je reçois des courriels de personnes qui ne sont pas du tout célèbres, qui commencent à peine leur carrière, qui me disent que ce livre les a beaucoup aidés. Il y a aussi des gens dont je ne peux pas mentionner le nom, et même des célébrités qui souhaitent garder l’anonymat.

Olivier Roland : Les personnalités publiques qui avouent apprécier ton livre sont sans doute des rappeurs étant donné qu’ils n’ont pas peur de violer le politiquement correct. Par contre, les politiciens auraient un peu plus de mal à avouer qu’ils aiment ce livre.

Robert Greene : Oui, mais il y a de jeunes gens qui m’écrivent, il y a par exemple ce type qui m’a écrit pour témoigner qu’il a remporté les élections dans le Tennessee en utilisant les principes partagés dans le livre. Qui sait jusqu’où il va aller, il est très jeune, il n’a pas peur d’avouer cela. Mais je reçois des lettres de gens ordinaires qui m’écrivent, je pourrais te les montrer, mais je ne vais pas t’ennuyer avec cela ; il faudrait déjà que je les retrouve toutes. Des gens me disent : «j’ai fait de la prison, ma vie était sens dessus dessous, j’ai lu le livre et il a complètement changé ma mentalité et maintenant, je fais telle chose ». «Atteindre l’excellence», et mes autres livres aussi, enregistrent de tels témoignages.

Olivier Roland : Génial! Tout cela fournit beaucoup de contenu aux rebelles intelligents qui veulent aller plus loin. Donc merci beaucoup, Robert d’avoir partagé tout cela.

Robert Greene : Je t’en prie!

Olivier Roland : «Les Lois de la nature humaine» est disponible dans toutes les bonnes librairies en France, en Belgique, en Suisse, au Québec partout ! Et puis bien sûr tous les autres livres dont on a parlé comme «Les 48 Lois du Pouvoir», «Atteindre l’excellence», «l’Art de la séduction», «la 50e loi» avec le rappeur 50 Cent et puis «Les 33 lois de la guerre».

Robert Greene : Je crois qu’en Français, «Mastery», c’est «Atteindre l’excellence» parce qu’on a un peu changé le titre

Olivier Roland : De toute façon, tapez Robert Greene sur Amazon ou allez dans une librairie, vous allez trouver, on vous a mis le lien aussi juste en dessous : Atteindre l’excellence. Et pour ceux qui veulent se connecter avec toi en ligne, tu as un compte Instragram ?

Robert Greene : Oui !

Olivier Roland : Est-ce que tu as une chaine YouTube?

Robert Greene : Non pas encore

Olivier Roland : Donc le meilleur moyen de suivre ce que tu partages sur internet c’est quoi, ton compte Instagram?

Robert Greene : Oui, mais je ne m’en occupe pas personnellement, quelqu’un qui le fait pour moi. Vous y trouverez des photos de moi avec des stars, des rappeurs, etc.; j’ai aussi des comptes Twitter et Facebook. J’ai aussi un site nommé Power/Seduction and War Pouvoir/Séduction et Guerre powerseductionandwar.com sur lequel vous pouvez tout trouver.

Olivier Roland : Super! On vous a mis les liens juste en dessous de la vidéo. Donc merci encore Robert! Je vous dis à très vite pour une prochaine vidéo, en attendant n’oubliez pas soyez rebelles, soyez intelligents faites partie des gens qui se bougent et puis faites partie des gens qui comme Robert savent trouver leur Ikigaï, marier la curiosité, la passion et aussi le fait de pouvoir vivre de tout cela et devenir une meilleure personne et puis inspirer les autres à devenir de meilleures personnes. Ciao!

Voici un résumé en image de l’interview, créée par mon élève Sophie Le Penher de En Résumé :

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