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Résumé de « Réparer le futur : du numérique à l’écologie » de Inès Leonarduzzi : un essai audacieux sur les conséquences négatives du numérique et sur les moyens d’y faire face, par la fondatrice de Digital For the Planet, spécialiste en développement durable et en stratégie numérique.
De Inès Leonarduzzi, 2021, 222 pages.
Chronique et résumé de « Réparer le futur : du numérique à l’écologie » de Inès Leonarduzzi
Introduction
Inès Leonarduzzi est une entrepreneure digitale dans l’âme. Dès son enfance, elle se passionne pour Internet, qui vient d’apparaître au grand public. Elle est directement fascinée par les univers numériques. Jeune adulte, elle fonde avec deux amis Rouge Moon, une entreprise combinant art et numérique installée à Hong Kong.
Ensuite, elle entreprend une carrière nomade, travaillant à travers le monde en tant que consultante en numérique. Mais l’auteure réalise alors que les technologies, bien que porteuses de progrès, ne sont pas toujours utilisées de manière responsable.
Cette prise de conscience la mène à fonder Digital For The Planet, un mouvement prônant l’écologie numérique. Son objectif est de promouvoir un usage raisonné et juste des technologies, au service du bien commun.
L’écologie numérique
Contrairement à l’approche occidentale traditionnelle, qui traite les problèmes de manière isolée, Inès Leonarduzzi prône une vision globale, inspirée de la pensée orientale. Selon ce point de vue, l’écologie numérique ne s’adresse pas seulement à la question de la protection de l’environnement. Elle implique aussi des actions sociales, économiques et législatives pour protéger l’humain.
Inspirée par plusieurs penseurs de l’écologie, l’auteur cherche à souligner les liens entre pollutions numériques environnementale, intellectuelle et sociale. Son but est de reprogrammer les imaginaires et inventer de nouveaux langages pour faire face à ces enjeux.
« Je définis l’écologie numérique (ou digital ecology) comme l’étude des interrelations entre l’humain, la machine et l’environnement. Elle [l’écologie numérique] préconise des actions à la fois sociales, économiques et législatives, avec pour objectif la protection de l’humain et de l’environnement. Mais il s’agit aussi et avant tout d’un état d’esprit, nécessaire à la bascule d’une société numérique impondérée à un numérique résilient. » (Réparer le futur, Introduction)
Digital For the Planet, la grande aventure
En quatre ans, le mouvement Digital For The Planet a accompli de grandes choses. Ce livre en est le témoignage ; il compile des études sur les impacts du numérique et rend hommage à tous ceux et celles qui œuvrent pour un monde numérique plus responsable.
Désormais dans la trentaine et devenue mère, Inès Leonarduzzi dit aussi avoir écrit ce livre pour son fils et pour tous ceux qui sont les plus vulnérables. Elle cherche moins à convaincre qu’à inspirer et à défendre la liberté et la beauté du monde.
Partie 1 — La pollution numérique environnementale
Autrefois perçu comme une solution propre et écoresponsable, le numérique révèle aujourd’hui sa face sombre et polluante. Il a en réalité un impact environnemental considérable. Loin de dépolluer, il contribue aux problèmes environnementaux de façon croissante.
En 2018, le numérique représente plus de 10 % de la consommation électrique mondiale, avec une croissance de 9 % par an. Les centres de données, essentiels au numérique, pourraient devenir plus énergivores que les autres secteurs industriels d’ici 2035.
Chapitre 1 — La fabrication des appareils
1 — Les coulisses du smartphone
En 2020, plus de 14 milliards de smartphones sont en circulation dans le monde, soit plus que le nombre d’humains. À Noida, en Inde, en 2018, Samsung inaugure une usine produisant 330 000 smartphones par jour. Cela montre l’énorme croissance de la production de ces appareils.
Cependant, cette expansion a un coût environnemental élevé. La fabrication d’un smartphone nécessite une grande quantité de matériaux rares et précieux, dont l’extraction contribue à la déforestation, à la pollution et à la dégradation des écosystèmes.
En effet, l’extraction de ces métaux rares requiert des procédés polluants et énergivores. L’auteure donne l’exemple de Baotou en Chine, un site dont la contamination radioactive est très préoccupante.
Il importe de se rendre compte que le numérique, malgré toutes ses qualités, repose sur l’exploitation de ressources limitées. Ce qui menace l’équilibre de la planète.
2 — Le lithium bolivien, au détriment du sel et des lamas
Le lithium, surnommé « or blanc », est un métal rare essentiel à la fabrication de batteries, notamment pour les voitures électriques. En Bolivie, dans le Salar de Uyuni, une vaste réserve de lithium est exploitée au détriment de l’écosystème local et au mépris des droits des travailleurs.
Ainsi, l’usage du lithium est ambigu. D’un côté, il offre des avantages environnementaux, notamment via la production de véhicules électriques sans émission de carbone. D’un autre côté, il pose des problèmes écologiques graves liés à son extraction (contamination des eaux et de la terre, déforestation, etc.).
L’auteure montre ensuite comment les ambitions économiques d’un pays, comme celles du président Evo Morales en Bolivie, intensifient la dégradation des terres et l’exploitation des personnes. Les communautés locales se sentent dépourvues face à des promesses politiques non tenues.
3 — Quelques grammes de Congo
En 2018, au Mali, Inès Leonarduzzi rencontre un homme engagé dans la protection des enfants travaillant dans les mines en République démocratique du Congo (RDC). Le Congo, qui abrite 60 % des réserves mondiales de coltan, est au cœur de l’industrie électronique mondiale.
L’exploitation des minerais est souvent réalisée par des enfants, dans des conditions de travail épouvantables et sans protection sanitaire.
Par ailleurs, les conflits armés autour de ces métaux entraînent une tension et des violences extrêmes, qui touchent aussi bien les humains que la faune et la flore. Les législations, bien qu’existantes, sont souvent insuffisantes pour protéger les travailleurs et l’environnement.
Elle plaide pour plus de transparence dans la chaîne d’approvisionnement des appareils électroniques. Selon elle, des lois plus rigoureuses sont nécessaires afin de minimiser les dommages humains et écologiques liés à l’industrie numérique.
La fabrication de nos appareils électroniques — et en premier lieu des smartphones — représente une part importante de la pollution numérique. Toutefois, d’autres défis se posent une fois ces appareils en circulation. C’est l’objet des chapitres suivants.
Chapitre 2 — Nos usages quotidiens
1 — L’Homo digitalis est un nouveau riche
Notre consommation numérique a explosé en une décennie. Le trafic internet mondial a triplé en cinq ans. Chaque jour, six personnes sur dix se connectent à Internet, ce qui génère 2,5 trillions d’octets de données, avec un impact environnemental équivalent à celui du transport aérien.
Cette dépendance au numérique illustre ce que l’auteure appelle le « syndrome du nouveau riche numérique ». Chaque action en ligne, comme l’envoi d’un selfie, consomme une quantité significative d’énergie. Nous utilisons quotidiennement Internet pour des tâches banales et souvent futiles, sans nous préoccuper des conséquences de nos actes.
Cela dit, la consultante en numérique rappelle que les technologies ne sont pas le problème en soi. En réalité, c’est plutôt l’absence d’alternatives énergétiques durables et l’utilisation excessive et mal informée des ressources qui doivent être mises en cause.
Elle plaide notamment pour une prise de conscience collective de la valeur de l’énergie. De la même manière que l’on apprend à gérer l’argent, nous devons apprendre à gérer nos usages numériques, gourmands en énergie.
Nous devons réfléchir aux sacrifices écologiques qui permettent notre confort numérique afin de chercher des moyens plus durables d’agir.
2 — Internet : une pieuvre de métal gourmande en électricité
Internet repose sur un réseau complexe de câbles en fibre optique — principalement enterrés sous les sols marins — qui assurent 95 % des communications mondiales. Ces câbles, longs de plus de 1,2 million de kilomètres, permettent le flux constant de données nécessaires pour maintenir la connectivité mondiale.
Le « cloud » n’a donc rien d’un espace virtuel au-dessus de nos têtes ! Il est en réalité constitué de centres de données physiques, dont la plupart se trouvent sur terre, et de câbles sous-marins enterrés dans les océans.
Historiquement, ces câbles suivent les mêmes routes que celles utilisées par le télégraphe et le téléphone. Aujourd’hui, ce sont les géants du numérique, comme Google et le reste des GAFAM, qui possèdent, gèrent et transforment à leur avantage ces infrastructures.
Les centres de données, où sont stockées toutes les informations numériques, consomment des quantités massives d’énergie. En 2020, leur consommation mondiale était estimée à 650 térawattheures, principalement pour alimenter les serveurs et refroidir les équipements.
Ces centres, nous dit-on, fonctionnent de plus en plus avec des énergies renouvelables. Mais c’est très insuffisant, selon Inès Leonarduzzi. Ils restent de grands consommateurs d’électricité et nécessitent également d’énormes quantités d’eau pour les besoins de refroidissement.
3 — Internet ne consomme pas que de l’électricité
En effet, Internet consomme une énorme quantité d’eau pour fonctionner, principalement pour refroidir les serveurs dans les centres de données. Ces centres utilisent de l’eau traitée dans des systèmes de climatisation pour éviter la surchauffe des machines.
Par exemple, les 800 data centers de Californie consomment autant d’eau que 158 000 piscines olympiques chaque année. L’eau est souvent évacuée après usage, ce qui contribue au gaspillage de ressources précieuses.
Bien sûr, des ingénieurs cherchent à réduire cette consommation. Le système de « free cooling » utilise l’air frais naturel pour refroidir les machines. D’autres techniques permettent de refroidir les serveurs par immersion dans l’huile ou l’eau.
Des entreprises comme Microsoft avec le projet Natick — qui vise à immerger des serveurs sous l’océan pour les refroidir naturellement— cherchent des alternatives. Cependant, même ces méthodes suscitent des questions quant à leur impact environnemental à long terme.
Par exemple, l’implantation de centres de données dans des régions froides comme la Norvège ou le cercle polaire soulève des questions sur l’équilibre thermique de ces régions. En effet, la chaleur des machines pourrait contribuer au réchauffement de ces zones géographiques.
En réalité, ces stratégies sont souvent motivées avant tout par des considérations financières, même si elles se présentent comme « écologiques ».
4 — Les énergies vertes parfois grises
Les énergies renouvelables, comme le photovoltaïque et l’éolien, sont souvent considérées comme des solutions écologiques.
Cependant, leur production et leur infrastructure nécessitent des ressources non renouvelables, notamment des métaux rares, dont l’extraction et le traitement ont un impact environnemental significatif. Le transport, l’installation et le recyclage de ces technologies émettent également des gaz à effet de serre.
De plus, ces installations peuvent perturber les écosystèmes. La faune, comme les oiseaux et les poissons, sont touchés. Par ailleurs, l’auteure constate également des problèmes d’érosion des sols et d’inondation des vallées. Bien que ces énergies émettent peu de CO2, elles ne sont donc pas sans conséquences écologiques.
Nous voyons donc, grâce à ces exemples, que l’engouement pour les technologies « vertes » comme les voitures électriques et les énergies renouvelables doit être accompagné d’une réflexion sur leur véritable impact environnemental tout au long de leur cycle de vie.
En fait, nous devons non seulement améliorer ces techniques, mais aussi repenser nos modes de vie. Comment les rendre plus respectueux de l’environnement ?
5 — Réduire notre impact
Pour traiter cet aspect, Inès Leonarduzzi se remémore une jeune fille solitaire qu’elle croisait chaque matin dans le car scolaire. La disparition soudaine de cette jeune fille, qui souffrait de boulimie, l’a amenée à réfléchir sur la surconsommation numérique, qu’elle compare à un comportement compulsif similaire.
Elle souligne que la surconsommation est l’un des maux les plus préoccupants de notre époque. Le numérique représente 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ce n’est pas rien. Pouvons-nous nous désintoxiquer ?
L’auteure prône un changement de comportement progressif et adapté, plutôt qu’une approche radicale. Parmi les actions simples à adopter, elle recommande à minima de :
- Conserver ses appareils le plus longtemps possible ;
- Privilégier le wifi plutôt que la 4G pour économiser de l’énergie ;
- Éteindre sa box internet lorsqu’elle n’est pas utilisée.
Ces gestes simples permettent de réduire l’empreinte numérique tout en réalisant des économies financières et en conservant le confort technologique auquel nous sommes habitués.
Chapitre 3 — Le recyclage
1 — Agbogbloshie
Le bidonville d’Agbogbloshie au Ghana est devenu un cimetière pour les déchets électroniques, principalement expédiés illégalement depuis l’Europe et les États-Unis. Bien que la Convention de Bâle interdise l’exportation de ces déchets vers des pays en développement, ces appareils sont souvent déclarés comme « destinés à la réutilisation ».
Sur place, des enfants et adolescents brûlent les appareils pour en extraire des métaux précieux, ce qui est à la fois nocif pour leur santé et l’environnement. Les substances dangereuses comme le plomb, le cadmium et le mercure contaminent les sols, les cours d’eau et l’air, avant de pénétrer dans les organismes vivants.
Malgré quelques initiatives positives — comme la création d’objets d’art à partir de déchets électroniques et des projets de recyclage respectueux de l’environnement —, la situation reste critique.
Alors, que faire ? La consultante en numérique aborde surtout la question de la responsabilité financière des fabricants concernant le recyclage, l’écoconception des appareils et l’amélioration du taux de recyclage.
Pour endiguer ce problème, il est également nécessaire, pour l’auteure, de mesurer et gérer plus efficacement la quantité de déchets électroniques, en promouvant une économie circulaire et en protégeant les travailleurs vulnérables.
2 — Des déchets ou des rejets ?
L’auteure considère que le langage influence notre perception du monde et notre responsabilité,-. Des termes comme « crise » et « déchet », par exemple, portent à confusion. Avec le mot « déchet », par exemple, nous avons l’impression que certains objets sont hors d’usage, alors qu’ils ont encore de la valeur.
Or, dans certaines cultures, rien ne se jette, tout se réemploie. Contrairement à la mentalité occidentale basée sur l’économie de la consommation, ces cultures font preuve d’imagination et d’humilité. Contre notre propension à extraire toujours plus de matériaux, Inès Leonarduzzi plaide ici pour une revalorisation des matériaux existants.
3 — L’économie des flux : et si les déchets créaient de la richesse ?
Notre société continue de valoriser la production de flux, comme en témoigne notre usage du plastique. En France, 5,5 milliards de bouteilles d’eau en plastique sont vendues chaque année. Ce phénomène enrichit les industries pétrochimiques tout en dégradant l’environnement.
Concernant les appareils électroniques, leur durée de vie peut être prolongée par des gestes simples. Nous pouvons, par exemple, remplacer les batteries de nos appareils plutôt que de les jeter.
Trop souvent, les consommateurs changent de téléphone ou d’ordinateur pour des raisons de performance ou sous l’influence de la mode, alors que la plupart de ces appareils fonctionnent encore bien.
La réparation et le recyclage sont des alternatives essentielles pour réduire l’impact environnemental. Consommer avec mesure, en étant conscient de l’impact sur la planète, devient aujourd’hui un signe de modernité.
4 — Le manque d’imagination et de volonté
Pour moins polluer, il faut non seulement réduire notre consommation d’appareils connectés, mais aussi mieux les produire. Cela implique de lutter contre l’obsolescence programmée et de prolonger la durée de vie des appareils en reconditionnant ou en réutilisant leurs composants.
Des initiatives comme les médailles des Jeux Olympiques de Tokyo, fabriquées à partir de déchets électroniques, montrent qu’il est possible de valoriser nos déchets.
Cependant, l’auteure considère que l’obstacle principal à cette transition reste notre manque d’imagination et notre excès d’ego, qui nous poussent à croire que l’économie et l’écologie sont incompatibles.
L’avenir, selon elle, dépendra de notre capacité à adopter une économie circulaire et à mobiliser les citoyens dans ce changement.
5 — S’inspirer des anciens
Pour avancer vers un futur plus durable, il est essentiel de s’inspirer de la nature. Après tout, cette « ingénieure » a bien fait les choses et a des milliards d’années d’expérience !
Le biomimétisme, c’est-à-dire l’innovation inspirée des écosystèmes naturels, offre des solutions ingénieuses qui s’appliquent à tous les domaines industriels, de la construction à l’aéronautique.
Cette approche est encore trop peu explorée. Pourtant, elle montre que la nature fonctionne en cycles sans produire de déchets ni consommer excessivement. L’exemple de la thermorégulation des ours en hibernation illustre comment nous pourrions repenser nos technologies pour qu’elles respectent ces principes naturels d’efficacité énergétique.
Inès Leonarduzzi raconte l’histoire de son grand-père, un homme analphabète mais doté d’une grande sagesse. Il lui avait enseigné que tout ce dont l’humanité a besoin pour résoudre ses problèmes existe déjà, si l’on a les yeux pour le voir et le cœur pour le partager.
Cette leçon rejoint les réflexions des chercheurs modernes qui affirment que nous disposons déjà des ressources nécessaires pour résoudre les grandes crises mondiales, à condition que nous apprenions à mieux les utiliser et les répartir.
Finalement, le biomimétisme n’est pas simplement une approche scientifique, c’est aussi une philosophie de vie qui nous invite à revoir notre rapport au monde et à utiliser les solutions que la nature nous offre tous les jours.
Partie 2 — La pollution numérique intellectuelle
Au-delà de l’impact environnemental du numérique, il existe des formes de « pollutions » numériques moins visibles mais tout aussi préoccupantes. L’illectronisme, ou l’incapacité à utiliser les outils numériques, par exemple, engendre de nouvelles inégalités dans une société de plus en plus dépendante du numérique.
Par ailleurs, l’usage excessif des technologies peut perturber nos capacités cognitives, altérer notre sommeil ou conduire à des dépendances préoccupantes. Ces formes de pollution intellectuelle sont subtiles mais omniprésentes, et elles affectent les individus sans qu’ils en soient toujours conscients.
Pour un numérique véritablement durable, il est crucial de prendre conscience de ces dangers et de développer des stratégies pour s’en prémunir. Comment ? En optimisant l’usage des technologies plutôt qu’en les rejetant.
Pour Inès Leonarduzzi, le défi est d’apprendre à utiliser ces outils de manière intelligente, en renforçant nos capacités cognitives plutôt qu’en les affaiblissant.
Chapitre 1 — L’illectronisme, l’illettrisme électronique
1 — Les laissés-pour-compte du numérique
L’illectronisme, ou l’incapacité à utiliser les outils numériques, touche un nombre croissant de personnes en France, jeunes et personnes âgées. Bien que la majorité des Français possèdent un équipement informatique, beaucoup rencontrent des difficultés avec des tâches simples comme envoyer un e-mail ou remplir des démarches administratives en ligne.
Cette situation est exacerbée par la fermeture progressive des centres administratifs, laissant des milliers de personnes dans l’incapacité d’exercer leurs droits fondamentaux.
Les personnes vulnérables, comme les allocataires de minima sociaux et les demandeurs d’asile, sont particulièrement touchées, car elles peinent à naviguer dans un monde de plus en plus dématérialisé.
L’illectronisme met en lumière une fracture numérique qui transforme le numérique en un outil discriminatoire. Parce qu’ils sont dans l’incapacité d’acquérir ou de se servir des outils numériques, certaines personnes sont privées de leurs droits.
2 — Pourquoi est-ce essentiel de lutter contre l’illectronisme ?
Selon Inès Leonarduzzi, délaisser une partie de la population face à la transition numérique n’est pas seulement une question sociale, c’est aussi une question économique.
En effet, lutter contre l’illectronisme pourrait générer un bénéfice annuel de 1,6 milliard d’euros, notamment via l’optimisation des téléprocédures. Selon l’auteure, l’administration publique pourrait économiser jusqu’à 450 millions d’euros par an.
De plus, les citoyens gagneraient un temps précieux au quotidien, par exemple en simplifiant la prise de rendez-vous médicaux ou les courses en ligne.
Mais pour l’auteure, le véritable problème va au-delà des aspects économiques. Les illectronés, souvent désireux d’apprendre, voient dans le numérique un moyen de rester connectés avec leurs proches.
Mais le déploiement des outils et des formations reste insuffisant. Il faudrait aussi convaincre les réfractaires des avantages qu’ils peuvent tirer de ces outils.
Inès Leonarduzzi souligne enfin que le numérique semble privilégier les populations urbanisées et actives. Pour ceux qui ne souhaitent pas s’équiper d’ordinateurs ou de smartphones, accéder à leurs droits devient un véritable parcours du combattant, ce qui exacerbe le sentiment d’exclusion et de frustration.
Une fracture numérique se creuse, créant ce que la consultante en numérique nomme une « France sans contact », divisée entre les privilégiés et ceux qui sont laissés pour compte dans cette révolution technologique.
Chapitre 2 — L’intelligence humaine à l’épreuve du quotidien
1 — Les enfants : la chair à canon numérique
En tant que mère, Inès Leonarduzzi s’est rapidement interrogée sur l’impact des écrans sur les enfants. Elle souligne que cette question n’a cessé de la préoccuper, même avant sa grossesse.
Lors de ses recherches, elle a découvert que les enfants sont naturellement attirés par les écrans en raison de leur lumière et de leur mouvement. Mais est-ce sans risque ?
Selon Leonarduzzi, les écrans peuvent être à la fois bénéfiques et dangereux pour les enfants.
- D’un côté, ils peuvent servir d’outils d’apprentissage, aider les enfants souffrant de troubles d’apprentissage, et même développer certaines compétences cognitives.
- Cependant, une exposition excessive peut entraîner des retards de langage, des troubles de l’attention et des difficultés à établir des relations sociales.
Il importe donc d’encadrer strictement l’utilisation des écrans chez les enfants, en adoptant une approche équilibrée qui alterne entre expériences réelles et virtuelles.
Pour aider les parents, Inès Leonarduzzi propose la méthode « EQE » basée sur trois valeurs :
- L’équilibre, ;
- La qualité ;
- L’échange.
Cette méthode encourage les parents à alterner les activités numériques et non numériques, à veiller à la qualité des contenus visionnés par les enfants et à discuter avec eux de leurs expériences en ligne.
Inès Leonarduzzi critique également la réticence des autorités françaises à adopter des mesures de protection plus strictes. À Taïwan, par exemple, l’exposition excessive des jeunes enfants aux écrans est considérée comme une forme de maltraitance.
En France, des efforts sont réalisés pour sensibiliser les parents, mais il reste encore beaucoup à faire pour protéger les plus petits des effets potentiellement nocifs des écrans.
2 — Dors, tu n’es pas un robot !
Une enquête menée en 2016 révèle que plus de 90 % des personnes dormant près de leur téléphone consultent leurs messages la nuit, et 79 % y répondent immédiatement. Ces habitudes, courantes chez les adolescents, ont des effets préoccupants sur la santé.
En activant les récepteurs photosensibles de la rétine, la lumière bleue perturbe le rythme circadien et entraîne des troubles du sommeil, voire des maladies comme l’obésité ou le diabète.
Pour l’auteure, le sommeil devrait être un moment de déconnexion totale. Les adolescents sont particulièrement vulnérables, car le sommeil est crucial pour leur croissance. Des études montrent que les enfants possédant un smartphone dorment moins que ceux qui n’en ont pas, ce qui contribue à un phénomène inquiétant de « dette de sommeil ».
Inès Leonarduzzi souligne l’importance de sensibiliser davantage sur ce sujet, en particulier auprès des jeunes. Elle plaide pour une utilisation plus exigeante et consciente du numérique.
Elle insiste tout particulièrement sur la nécessité d’éduquer les jeunes aux effets néfastes des écrans sur le sommeil et rappelle que peu d’initiatives institutionnelles ou technologiques existent actuellement pour protéger les utilisateurs.
3 — L’hyperconnexion, cette amie toxique
Dans ce chapitre, Inès Leonarduzzi partage son expérience personnelle de stress numérique. Elle raconte comment la surcharge de travail et l’usage intensif de ses smartphones l’ont conduit à une fatigue extrême à un âge précoce.
À 26 ans, la pression constante d’être connectée et disponible en permanence l’a conduit à un épuisement professionnel ou « blurring » — un état où les frontières entre vie personnelle et professionnelle s’effacent complètement.
Pour l’auteure, cette pression est exacerbée par la culture actuelle de l’e-mail, qui est passée d’un mode de communication asynchrone à une exigence de réponse immédiate.
Les employés passent désormais une part significative de leur journée à gérer leurs e-mails, ce qui entraîne non seulement une augmentation du stress, mais aussi une baisse de la productivité.
Cette hyper-connectivité a donné naissance à de nouvelles formes de stress, comme la nomophobie et l’hypovibrochondrie. Ces termes neufs sont révélateurs de l’impact du numérique sur la santé mentale.
Inès Leonarduzzi propose finalement des stratégies concrètes pour réduire le stress numérique, telles que :
- Fixer des créneaux horaires pour vérifier les e-mails ;
- Désactiver les notifications et organiser ses messages ;
- Limiter l’usage du téléphone le soir.
Chapitre 3 — Les algorithmes de l’addiction
1 — L’économie de l’attention
En 2014, Banksy, connu pour ses œuvres politiquement engagées, se détourne brièvement de la politique pour aborder l’addiction aux écrans à travers sa peinture murale Mobile Lovers. L’œuvre montre un couple enlacé, mais chacun est absorbé par son smartphone, ignorant l’autre.
Plus tard cette même année, une autre œuvre de Banksy représente un smartphone prenant racine dans une main, symbolisant son intégration profonde dans nos vies.
Ces deux œuvres illustrent la difficulté de réguler l’utilisation des écrans : nous serions « addicts » ou presque. Pourquoi ?
Selon Inès Leonarduzzi, il est essentiel de comprendre son origine. Elle se réfère, pour cela, à plusieurs chercheurs en sciences sociales. Tout d’abord, elle se réfère à Herbet Simon pour affirmer que nous vivons désormais dans des sociétés riches en information.
Par ailleurs, elle se tourne vers Yves Citton qui explique que l’attention des individus est devenue un enjeu économique crucial.
L’auteure illustre ce dernier point en affirmant que TF1 et Facebook sont avant tout des régies publicitaires, avant même d’être des chaînes de télévision ou des réseaux sociaux ! En effet, ces entreprises captent notre attention pour vendre des espaces publicitaires.
Pour l’auteure, cette course à l’attention mène une forme de pollution numérique intellectuelle. L’omniprésence des écrans, alimentée par ces modèles économiques, conduit à un déclin intellectuel marqué par l’augmentation des troubles de l’attention et de la concentration.
2 — Ceux qui nous piègent depuis la Silicon Valley
Dans la Silicon Valley, l’objectif principal des entreprises technologiques est de créer des applications qui captent le plus grand nombre d’utilisateurs. Comment ? En utilisant des stratégies qui exploitent les biais cognitifs pour encourager l’addiction aux écrans.
Notre attachement aux outils numériques n’est donc pas un simple effet secondaire. C’est une stratégie délibérée conçue par des experts en « expérience utilisateur » (UX designers), souvent formés en sciences cognitives.
Leur mission ? Concevoir des interfaces qui incitent les utilisateurs à réaliser des actions malgré eux, à travers des techniques appelées dark patterns.
Ces dark patterns incluent des mécanismes comme le fil d’actualité infini sur les réseaux sociaux ou les notifications répétitives. Ces techniques créent des habitudes addictives similaires à celles des machines à sous.
L’université de Stanford, par exemple, a été pionnière dans l’enseignement de ces techniques à travers son Persuasive Tech Lab, où des étudiants apprennent à manipuler les comportements des utilisateurs.
Mais l’avenir n’est pas si sombre. Heureusement, Inès Leonarduzzi souligne qu’une nouvelle génération de « designers éthiques » émerge. Ceux-ci cherchent à créer des interfaces qui respectent et aident les utilisateurs et non à les manipuler.
Encore une fois, pour elle, l’enjeu n’est pas de rejeter le numérique, mais de participer à la construction d’un futur numérique plus responsable.
🧠 Vous voulez en lire plus sur ce sujet ? Consultez notre chronique du livre Le Bug humain de Sébastien Bohler.
3 — On lit comme des algorithmes
Inès Leonarduzzi observe que ses propres comportements ont évolué de manière significative au cours des dix dernières années. Elle s’inquiète notamment de sa capacité à se concentrer sur une seule tâche à la fois.
Ce phénomène, selon elle, est en partie dû aux algorithmes qui favorisent la lecture rapide et fragmentée. Mais il est aussi lié à ce fameux FOMO (fear of missing out), cette peur de manquer la dernière information importante.
En fait, la manière dont nous utilisons Internet impacte directement nos capacités de concentration, voire expose nos cerveaux à des déficiences cognitives. Elle mentionne des études qui montrent que même la simple présence d’un téléphone à proximité peut bloquer nos processus cognitifs, réduisant ainsi notre attention disponible.
Contrairement à ce que beaucoup croient, le numérique ne nous rend pas multitâches. Inès Leonarduzzi compare notamment cette illusion de multitasking à un shampoing 2 en1 : en voulant tout faire, on finit par mal faire les deux !
Pour contrer le FOMO, l’auteure met en lumière ce qu’elle nomme le JOMO (joy of missing out), une tendance opposée qui valorise le fait de manquer délibérément certaines informations. Nous devons aussi réapprendre à focaliser notre attention sur le moment présent et ce qui compte vraiment.
4 — Entre plaisir et dépression, il n’y a qu’un pas
Inès Leonarduzzi souligne que nous préférons parfois renoncer à des interactions humaines essentielles plutôt qu’à nos appareils électroniques.
Allant plus en détail que dans le chapitre précédent, elle explique que cet attachement excessif est largement dû à la manière dont les réseaux sociaux, comme Instagram, sont conçus pour stimuler la production de dopamine, une hormone liée au plaisir… et à l’addiction.
Les dark patterns jouent sur les circuits neuronaux de la récompense. Or, cette manipulation crée une anticipation constante pour la prochaine notification ou du prochain like. Bref, cela peut créer une dépendance similaire à celle connue pour l’alcool ou la cigarette.
Inès Leonarduzzi donne un exemple frappant d’une influenceuse Instagram qui, après avoir perdu une partie de ses abonnés et de ses likes, a sombré dans une spirale de mal-être, de dépression et d’addictions.
Ce cas illustre les effets dévastateurs que peuvent avoir les réseaux sociaux sur l’estime de soi, la santé mentale et la vie quotidienne des utilisateurs. Pourtant, l’auteure reconnaît que, malgré sa critique, elle n’est pas exempte de ces comportements addictifs. Alors, comment s’en défaire ?
Chapitre 4 — Du diabète numérique à la magie du cerveau
1 — Diabétiques numériques
Inès Leonarduzzi considère que nous devons réguler nos usages du numérique pour qu’ils soient positifs (un remède) plutôt que négatifs (un poison). Bref, il en va un peu du numérique comme du sucre. Il faut consommer mieux et moins pour éviter de graves problèmes de santé.
Elle illustre ce concept en partageant des expériences menées avec Digital For The Planet dans des écoles élémentaires, où les enfants sont invités à réfléchir à leurs usages numériques.
Ces interventions montrent que, lorsqu’on explique aux enfants l’importance de gérer leur consommation numérique, ils sont capables de changer significativement leurs comportements.
Par exemple, elle relate des cas d’enfants ayant volontairement réduit leur temps de jeu sur les smartphones pour des raisons d’économie d’énergie, ou bien parce qu’ils ont réévalué l’intérêt des applications qu’ils utilisaient.
D’autres ont préféré se tourner vers des activités plus intellectuelles, comme la lecture ou le codage. Inès Leonarduzzi souligne que ces changements ne surviennent pas simplement parce qu’on leur dit de le faire. C’est avant tout parce qu’ils comprennent l’intérêt de ces ajustements pour eux-mêmes et pour le monde qui les entoure.
2 — Deep Blue n’est pas si intelligent
Inès Leonarduzzi aborde également la question de notre fascination aveugle pour les technologies numériques. Mais quid de leur effet réel sur notre intelligence ?
En s’appuyant sur des études, elle remarque une régression de l’effet Flynn, qui mesurait historiquement une augmentation du QI à chaque génération.
Toutefois, elle rappelle que le QI n’est pas le seul indicateur d’intelligence. Elle cite notamment Ken Robinson et la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner pour défendre l’idée que l’intelligence humaine est diverse et multifacette.
D’ailleurs, elle oppose sur ce point l’intelligence humaine à l‘intelligence artificielle, qui excelle seulement dans des tâches spécifiques et répétitives. Deep Blue a certes battu Garry Kasparov aux échecs, mais il ne savait faire que cela !
Inès Leonarduzzi conclut ce chapitre en montrant que les machines surpassent les humains uniquement dans des systèmes fermés avec des règles strictes. L’intelligence humaine, elle, est bien plus vaste et adaptable.
3 — Le cerveau fait du développement durable
Dans le dernier chapitre de cette partie, Inès Leonarduzzi explore finalement la relation entre les sciences cognitives et le développement technologique. Elle souligne en particulier que l’intelligence humaine reste un mystère à résoudre, malgré des avancées scientifiques significatives, rendues notamment possibles grâce au numérique.
Historiquement, l’intelligence était avant tout associée au cœur. Mais plus tard, la science moderne a logé l’intelligence dans le cerveau et a commencé à explorer cet organe. Depuis peu, les sciences cognitives ont d’ailleurs fait d’énormes progrès.
Aujourd’hui, nous comprenons que le cerveau recycle ses circuits neuronaux. Ce processus, appelé « recyclage neuronal« , permet au cerveau d’adapter des mécanismes anciens pour de nouveaux usages, notamment dans l’apprentissage des langues.
Inès Leonarduzzi affirme que cette plasticité cérébrale est essentielle pour l’intelligence individuelle et collective. Enfin, elle nous incite à percevoir l’importance de préserver ce potentiel intellectuel pour le bien de la société.
Partie 3 — La pollution numérique sociétale
En 2017, Chamath Palihapitiya, l’un des cadres dirigeants de Facebook, a exprimé une profonde culpabilité. Pourquoi ? Pour avoir contribué à créer des outils numériques qui, selon lui, « détruisent le fonctionnement de la société » en alimentant des boucles de rétroaction dopaminergiques à court terme.
Pour illustrer son propos, il a évoqué un canular viral sur WhatsApp qui a conduit au lynchage de sept personnes innocentes en Inde, illustrant comment les fake news peuvent causer des dommages réels.
Pour Inès Leonarduzzi, cette situation soulève des questions fondamentales sur la manière dont Internet désocialise progressivement les individus, tant dans la sphère professionnelle que personnelle.
Selon elle, il est crucial de s’attaquer à cette forme de « pollution sociale » du numérique, car elle menace notre capacité à vivre ensemble et à garantir une vie agréable pour tous.
Chapitre 1 — La reprogrammation sociale
1 — L’isolement social
Internet, s’il connecte les individus à longue distance, les déconnecte à courte distance. Bien que le numérique ait permis de maintenir des liens pendant le confinement de 2020, il peut aussi nous isoler en nous maintenant dans l’illusion d’être ensemble.
Inès Leonarduzzi montre comment la solitude a évolué avec l’arrivée du numérique. Autrefois, être seul signifiait réellement être coupé du monde ; aujourd’hui, nous sommes seuls tout en étant connectés, ce qui peut paradoxalement renforcer l’isolement.
Cette « solitude connectée » se manifeste également au sein des familles, où l’attention portée aux écrans remplace souvent les interactions humaines. C’est un phénomène que les enfants ressentent profondément.
Selon l’auteure, cet isolement numérique pourrait bien être la première étape d’une « reprogrammation sociale » où l’écran « tactile » se substitue au toucher physique de personne à personne. De cela pourrait découler une véritable déconnexion émotionnelle.
En fait, la pandémie de Covid-19 n’a fait qu’accentuer cette tendance. L’absence de contact physique devient la norme. Et les technologies, bien qu’initialement conçues pour rapprocher les gens, finissent par les éloigner davantage.
Mais la spécialiste du numérique met en garde contre cette normalisation silencieuse d’une socialité « sans corps ». Pour elle, il est essentiel de préserver les liens humains véritables dans un monde de plus en plus digitalisé.
2 — L’uniformisation de ce que l’on aime
Repliés derrière nos écrans, nous devenons de simples spectateurs de la réalité. Exemple frappant : nous sommes souvent plus préoccupés par la qualité de nos enregistrements que par le sens des événements que nous filmons ou photographions !
Cette tendance à rester à distance de la réalité nous pousse paradoxalement à réagir rapidement, sans réflexion profonde. Or, cela favorise aussi l’uniformisation des comportements et la polarisation des opinions.
Les grandes plateformes comme Amazon exploitent ce phénomène en standardisant les préférences des consommateurs pour maximiser les profits. En vendant uniquement les produits les plus populaires, Amazon contribue à une uniformisation des goûts qui a des répercussions sociétales profondes.
Cette uniformité suscite ensuite la méfiance envers ceux qui diffèrent de la norme et l’opposition plus frontale à ceux qui manifestent ostensiblement leur différence.
Le besoin d’appartenance à un groupe pousse les individus à adopter des comportements conformistes. Elle cite Twitter, où l’indignation devient un moyen d’affirmer son identité au sein d’un groupe. Nos réactions rapides vont dans le sens de la simplification et des attentes du groupe.
3 — Détestons-nous les uns les autres
Inès Leonarduzzi explique que l’économie de l’attention mise en œuvre par les réseaux sociaux conduit à l’effritement d’un socle de valeurs communes et à l’émergence de la haine en ligne.
Sur les réseaux sociaux, la violence et les propos choquants attirent souvent plus d’attention que l’altruisme. Les comportements narcissiques sont ainsi valorisés. L’objectif principal devient de ne pas être ignoré, quitte à publier des contenus belliqueux.
Par ailleurs, l’anonymat et la possibilité de diluer sa responsabilité personnelle au sein de grands groupes favorisent une agressivité croissante en ligne. Inès Leonarduzzi souligne que plus un groupe est grand, plus cette agressivité tend à s’exacerber. Les opinions deviennent de plus en plus tranchées et extrêmes.
La distance physique réduit également l’empathie (voir le chapitre précédent). Nous pouvons ainsi nous blesser les uns les autres sans ressentir immédiatement les conséquences de nos actions.
Nous sommes, pour toutes ces raisons, entraînés dans le cercle vicieux de la violence.
Certains médias, comme la revue Popular Science, ont choisi de supprimer la fonction de commentaires sur leur site, afin de préserver l’intégrité du discours et de conserver la possibilité d’un débat constructif. Mais est-ce suffisant ?
4 — Les femmes et les enfants d’abord
En 2019, plus de la moitié des 18-30 ans ont déjà été victimes de harcèlement en ligne, et ce chiffre grimpe à 63 % chez les 20-24 ans. Les statistiques de l’UNESCO révèlent que dans les pays industrialisés, entre 5 % et 21 % des enfants et adolescents subissent du cyberharcèlement.
Or, les filles en sont les principales cibles. Un rapport d’Amnesty International le souligne. Les femmes, en particulier celles issues de minorités ou dont l’engagement les expose, sont les plus vulnérables.
Inès Leonarduzzi explique qu’elle-même n’a pas échappé à cette réalité. Elle décrit le harcèlement qu’elle a subi et l’anxiété provoquée par les notifications tardives sur son téléphone.
Ce manque de protection en ligne dissuade de nombreuses personnes, en particulier les femmes, de s’exprimer librement. Ce silence est dommageable, puisqu’il laisse le champ libre à ceux qui propagent la haine et l’extrémisme.
Les « trolls » sont ces individus qui harcèlent et humilient les personnes en ligne. Ils suivent un mode opératoire bien rodé :
- D’abord la diffamation publique ;
- Suivie de la diffusion d’images humiliantes ;
- Et parfois le « doxing », qui consiste à révéler des informations personnelles pour mettre en danger la victime.
Cette dernière méthode, particulièrement malsaine et utilisée à des fins politiques, permet de désinformer, d’intimider et parfois même d’inciter à la violence physique.
Malgré tous ces sombres aspects, Inès Leonarduzzi tient aussi à rappeler le pouvoir positif des réseaux sociaux. Elle évoque des histoires émouvantes :
- Celle de Kevin, un enfant autiste qui, suite à un appel lancé par son père sur Twitter, a reçu des milliers de messages et cadeaux du monde entier pour son anniversaire.
- Celle de Duane Sherman, un vétéran de 96 ans, qui a reçu plus de 50 000 lettres après que sa fille ait partagé sa solitude sur Facebook.
Ces moments de solidarité rappellent que, malgré ses dangers, Internet peut aussi être un outil puissant pour le bien.
Chapitre 2 — Un océan de données
1 — Les enfants ont-ils une vie privée ?
En 2015, lors du « Motherhood Challenge », des centaines de milliers de photos d’enfants ont été publiées sur Instagram et d’autres réseaux sociaux par des parents fiers de montrer leur vie de famille.
Pourtant, cette tendance soulève plusieurs problématiques importantes. Inès Leonarduzzi met en effet en garde contre les dangers du sharenting, cette pratique consistant à partager des photos de ses enfants en ligne.
Le premier danger est l’exposition aux prédateurs sexuels. La gendarmerie française cherche d’ailleurs à ce sujet, car la pédopornographie en ligne atteint des sommets.
Deuxièmement, l’identité numérique des enfants est mise en jeu. En moyenne, un enfant né en 2015 aura 1 300 photos en ligne avant ses 13 ans. Cela lui crée un « casier numérique » qui pourrait nuire à sa vie future, notamment en raison des avancées en matière de reconnaissance faciale.
Un autre risque est le potentiel conflit entre parents et enfants à l’avenir, lorsque ces derniers pourraient se sentir victimes d’atteintes à leur vie privée. La législation actuelle permet déjà aux enfants de demander des dommages et intérêts pour des atteintes à leur vie privée commises par leurs propres parents.
Enfin, il y a le risque de manipulation des données personnelles des enfants, qui peuvent être utilisées à des fins politiques ou commerciales non désirées. Les filles, en particulier, sont plus vulnérables en raison de leur plus grande propension à partager des photos en ligne.
Inès Leonarduzzi explique que, dans sa propre famille, elle a choisi de ne pas créer d’identité numérique pour son enfant, préférant lui laisser la liberté de le faire ou non lorsqu’il sera en âge de comprendre les implications.
Cette démarche vise à le préparer à une « indépendance numérique » responsable. il faut se rappeler que les entreprises numériques n’ont guère intérêt à encourager les parents à protéger la vie privée de leurs enfants en ligne. C’est donc aux familles de s’en charger.
2 — La réputation avant la personnalité
Nos vies sont constamment observées et jugées. Nous modifions souvent notre comportement pour correspondre aux attentes sociales ; c’est l’effet Hawthorne.
Sur les plateformes sociales, cet effet se manifeste par la tendance à publier ce qui est socialement acceptable et à censurer ce qui ne l’est pas. Résultat ? Nous créons ainsi une « économie de la réputation » où les événements de nos vies privées deviennent une forme de capital réputationnel.
Inès Leonarduzzi souligne que même ceux qui sont conscients de cette dynamique — comme elle ! — peuvent se retrouver à publier des « publications de convenance ». Elle cède ainsi à la pression de partager ce que les autres attendent d’elle.
Cette autocensure conduit à un refroidissement social, où l’authenticité disparaît et où les personnalités s’estompent sous le poids du conformisme.
Face à ce phénomène, la protection de la vie privée est essentielle. 92 % des Français se disent d’ailleurs préoccupés par la protection de leurs données. Et pourtant, ils admettent aussi ne pas prendre suffisamment de mesures pour les protéger.
D’où un paradoxe : nous sommes inquiets pour notre vie privée, mais nous négligeons sa protection.
La consultante en numérique en conclut que la vie privée est plus qu’un simple choix personnel ; elle est le dernier rempart d’une société qui valorise l’individualité et l’authenticité.
Protéger cette intimité, c’est aussi préserver le goût de l’autre, l’émerveillement d’une rencontre et, plus largement, la diversité et la richesse de notre vie sociale.
3 — Quand la donnée nous surveille
Dans ce chapitre, Inès Leonarduzzi explore deux faits fondamentaux qui sous-tendent le modèle économique des géants du numérique :
- Notre besoin instinctif d’évaluer les autres pour assurer notre survie sociale ;
- Notre penchant naturel à parler de nous-mêmes, une activité qui active les centres de plaisir du cerveau.
Ces comportements, profondément ancrés dans notre biologie, sont exploités par les plateformes numériques pour collecter et monétiser nos données personnelles.
Nous avons tendance à sous-estimer leur valeur. Mais c’est une grave erreur !
Et qu’en est-il de la surveillance numérique ? En France, la loi de finances 2020 permet à l’administration fiscale de collecter des données personnelles sur les réseaux sociaux pour lutter contre la fraude.
Dans d’autres pays, le phénomène est plus inquiétant encore. En Australie et au Japon, des technologies de reconnaissance faciale sont poussées loin. En chine, un système de crédit social sont déjà en place.
Bien qu’elles soient mises en place pour notre sécurité, ces mesures menacent les libertés fondamentales et ouvrent la voie à la discrimination. Inès Leonarduzzi cite Edward Snowden pour souligner les dangers de telles pratiques.
Chapitre 3 — La donnée, il ne faut pas la donner
1 — Méthode semencière n° 2
Inès Leonarduzzi aborde ici la problématique de l’économie numérique en la comparant à celle de l’industrie semencière.
Les grands groupes semenciers s’approprient la propriété intellectuelle des semences à travers des brevets. Or, les données personnelles des utilisateurs sont comme les semences privatisées.
En privatisant ces données, les entreprises technologiques créent de la valeur à partir d’informations qui ne leur appartiennent pas initialement, tout en empêchant les utilisateurs d’accéder à la valeur générée par leurs propres données.
La prétendue gratuité d’Internet n’est qu’un leurre. Le véritable coût pour les utilisateurs, c’est le prix payé avec leurs données. Et celles-ci valent de l’or, comme en témoignent les augmentations spectaculaires de fortune de Jeff Bezos ou encore de Mark Zuckerberg ces dernières années.
Il importe au plus haut point de revaloriser la manière dont la valeur est créée et partagée dans l’économie numérique. Elle propose que le véritable progrès numérique ne réside pas dans le développement de nouvelles technologies, mais dans la création d’un système plus équitable.
La première étape vers ce changement consiste à véritablement prendre conscience de la valeur de nos données.
2 — La valeur de ce que nous sommes
Pour ce faire, Inès Leonarduzzi utilise une métaphore frappante : imaginez-vous un casino nommé « Las Datas », où les joueurs misent leurs données sans quasiment jamais en tirer de profit. Vous trouveriez ça juste ?
Autre exemple d’injustice sociale, bien réel celui-ci : imaginez-vous un traitement révolutionnaire contre la leucémie, développé grâce à des données de milliers de patients, mais dont le coût exorbitant le rend inaccessible à la majorité d’entre eux. Est-ce bien juste ?
Inès Leonarduzzi considère que les citoyens ne bénéficient pas des richesses générées par leurs propres données.
Elle plaide pour un « revenu de la donnée » et une souveraineté citoyenne de la donnée : chaque citoyen devrait non seulement pouvoir contrôler les données qu’il diffuse, mais aussi percevoir une part des revenus qu’elles génèrent.
Le développement de l’univers numérique est un processus collectif qui ne devrait pas enrichir une poignée d’individus au détriment de la société civile. C’est pourquoi la reconnaissance de la valeur des données personnelles et leur juste répartition est un enjeu central du progrès social et économique à venir.
3 — Une arme pointée sur nous
Inès Leonarduzzi revient ici sur la question des « dark patterns », en ajoutant le thème des courtiers en données (data brokers) qui exploitent nos informations personnelles pour créer des bulles d’informations personnalisées.
Elle met en évidence les dangers d’une telle collecte de données. Le scandale de Cambridge Analytica, où la manipulation des données a été utilisée pour influencer des élections aux États-Unis, en est un exemple frappant.
Face à ces enjeux de manipulation à grande échelle, Inès Leonarduzzi en appelle à une prise de conscience collective et à des actions concrètes pour garantir la souveraineté des données personnelles des citoyens.
Elle imagine un scénario où les citoyens, excédés par la collecte et l’exploitation de leurs données, pourraient organiser un boycott massif d’Internet afin de faire pression sur les géants du numérique pour qu’ils révisent leurs pratiques.
Leonarduzzi évoque également la possibilité de créer une coalition mondiale réunissant entreprises, gouvernements et citoyens pour construire un cyberespace sécurisé, respectueux des droits de l’homme et des principes de développement durable.
Finalement, la spécialiste du numérique affirme que la technologie ne doit pas seulement progresser, mais aussi être repensée pour servir l’intérêt collectif. La véritable innovation, selon elle, réside dans la capacité à intégrer ces principes dans l’évolution du numérique.
Conclusion — Vers le progrès
1 — Sauvegarder notre civilisation
Inès Leonarduzzi rappelle que l’effondrement des sociétés n’est pas un phénomène rare et qu’il est souvent le résultat de multiples facteurs. Mais chaque civilisation est aussi capable de résilience et d’humanité.
L’histoire est remplie d’exemples où les sociétés ont réussi à surmonter des crises grâce à l’innovation et à l’adaptation. Des premières inventions humaines jusqu’aux révolutions industrielles et numériques, la technologie a toujours joué un rôle crucial dans la renaissance des civilisations. À condition qu’elle soit bien utilisée !
2 — Le dérèglement climatique est-il une aubaine ?
Inès Leonarduzzi reconnaît toutefois que la lutte pour un avenir durable nécessite non seulement de « faire le bien », mais aussi de « défaire le mal« . Ce constat, partagé par ses partenaires et collaborateurs chez Digital For The Planet, les a conduits à lutter contre ceux qui refusent d’admettre le problème climatique.
Elle évoque le concept de « carbo-fascisme« , introduit par le chercheur Jean-Baptiste Fressoz, pour décrire l’attitude de certains dirigeants mondiaux qui renforcent le climatoscepticisme et privilégient des politiques contraires aux intérêts de l’environnement et des classes populaires.
Jair Bolsonaro et Donald Trump en sont des exemples parfaits.
Elle rappelle aussi que des entreprises comme Exxon étaient au courant des dangers du changement climatique dès les années 1980. Ils ont choisi de taire ces informations pour protéger leurs intérêts économiques.
Inès Leonarduzzi considère, à la suite d’autres auteurs, que les « carbo-fascistes » voient les crises climatiques, économiques et sociales non pas comme des menaces, mais comme des occasions de profit, renforçant leur position tout en restant à l’abri des conséquences les plus graves.
Il est capital de ne pas être naïf et de repenser notre approche du développement durable. Des forces s’opposent activement au changement social et écologique. Il faut trouver des moyens efficaces de les contrer.
3 — Réinventer le projet
Pour aller dans ce sens, Inès Leonarduzzi propose finalement que l’écologie se recentre sur trois piliers essentiels.
L’Union : Inès Leonarduzzi souligne que l’écologie avance trop souvent en ordre dispersé, ce qui affaiblit le mouvement. Elle note la fragmentation entre différentes factions écologistes et appelle à une plus grande cohésion pour maximiser l’impact. L’union est essentielle pour mobiliser efficacement contre le « carbo-fascisme » et pour s’assurer que les actions écologiques soient inclusives et socialement justes.
La Vision : elle critique l’écologie pour son manque de vision claire et partagée. L’écologie, selon elle, doit offrir une perspective positive et réaliste sur l’avenir, au-delà de la simple prévention des pires scénarios. La vision doit être adaptable, bien soutenue par des ressources, et représentative de toutes les parties prenantes. Leonarduzzi suggère que pour maintenir l’engagement, il faut offrir des « petites victoires » et un avenir tangible dans lequel tout le monde puisse se projeter.
La Technologie : Leonarduzzi plaide pour une réconciliation entre écologie et technologie. Elle critique la méfiance de certains écologistes envers la technologie, tout en soulignant que la technologie est indispensable pour comprendre, anticiper et répondre aux défis environnementaux. Elle cite divers exemples d’innovations technologiques qui contribuent à la durabilité et appelle à une écoconception des infrastructures technologiques. La technologie, bien utilisée, peut devenir un puissant outil pour un avenir durable.
Finalement, Inès Leonarduzzi évoque la nécessité de réimaginer notre relation avec le numérique, non pas comme un ennemi, mais comme un reflet de nos comportements. Elle appelle à une réflexion sur l’espace numérique en tant que bien commun à protéger.
Elle conclut en évoquant la responsabilité que nous avons envers les générations futures, et elle souligne que notre capacité à s’émerveiller et à imaginer est cruciale pour réparer et construire un futur durable.
Conclusion sur « Réparer le futur » de Inès Leonarduzzi :
Ce qu’il faut retenir de « Réparer le futur » de Inès Leonarduzzi :
Voici un essai novateur et audacieux ! Inès Leonarduzzi synthétise ici les enjeux liés au numérique en les intégrant dans une réflexion écologique globale, allant de l’environnement aux questions sociales et personnelles. C’est un texte parfois dense et plein d’informations pas toujours réjouissantes, mais qui donne en même temps l’envie de combattre pour construire un avenir différent.
Si vous aimez les réflexions de grande ampleur, qui donnent une vue générale sur un problème, ce livre est hautement recommandable. Même si vous n’adhérez pas au diagnostic ni aux solutions proposées, vous pourrez néanmoins y trouver un intérêt intellectuel certain et chercher, par vous-même, à découvrir d’autres voies pour « réparer le futur« .
Points forts :
- Une réflexion passionnante et une synthèse des enjeux liés au numérique ;
- De nombreuses sources et références scientifiques ;
- Des exemples de la vie personnelle de l’auteure bien choisis ;
- Une organisation claire et un style agréable.
Point faible :
- Si vous aimez les essais « intellos », alors vous aimerez ! Sinon… Passez votre chemin.
Ma note :
★★★★★
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