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Résumé de « Seuls ensemble » de Sherry Turkle : une psychologue reconnue se demande si nous vivons dans un monde avec « de plus en plus de technologies » et de « moins en moins de relations humaines » et elle en vient à la conclusion qu’il faudrait peut-être repenser notre façon d’être ensemble en société — un livre événement par l’une des spécialistes de sciences humaines les plus en vue du moment.
Sherry Turkle, 2015, 523 pages.
Titre original : Alone together (2011).
Chronique et résumé de « Seuls ensemble » de Sherry Turkle
Préface — Trois tournants
Sherry Turkle a une longue expérience en tant que psychologue et anthropologue. Étudiante à Paris, elle est ensuite partie faire carrière au célèbre Massachussetts Institute of Technology (MIT) pour y étudier « les cultures informatiques ». Plus précisément, elle s’intéresse aux rapports intimes que nous entretenons avec le monde numérique.
Au cours des 40 dernières années, elle a écrit trois livres importants :
- The Second Self (1984) ;
- Life on the Screen (1995) ;
- Alone together (2011) (traduit par Seuls ensemble) ;
- Reclaiming Conversation (2015) (traduit par Les yeux dans les yeux).
Introduction — Seuls ensemble
« La technologie se présente comme l’architecte de nos intimités. » (Seuls ensemble, Introduction)
Toute la technologie dite « numérique » — depuis l’utopie virtuelle de Second Life aux hamsters de compagnie Zhu Zhu — nous est présentée comme une série d’améliorations artificielles de la réalité. Mais ces « améliorations » sont-elles réelles ? Et sont-elles sans risque ?
Pour l’auteure, il y a un inconvénient majeur à cette promesse de l’hyperconnexion numérique, à savoir la possibilité de la perte des relations humaines directes. Elle le montre bien en citant l’histoire d’une jeune fille qui envoie des textos à son amie alors qu’elles sont dans la même maison !
Sur la base de ce constat, Sherry Turkle propose de demander :
« comment en sommes-nous arrivés là — et sommes-nous contents d’y être ? » (Seuls ensemble, Introduction)
Sherry Turkle utilise plusieurs anecdotes et arguments pour présenter son propos.
Par exemple, alors qu’elle emmène sa fille au New York Museum of Natural History, celle-ci lui dit que le musée aurait dû utiliser des robots à la place des tortues Galápagos, au lieu d’emprisonner des créatures vivantes. Selon l’autrice, beaucoup d’autres enfants réagissent de la même façon, et cela l’inquiète.
Elle critique également le livre d’un expert en intelligence artificielle, David Levy, qui promeut les relations romantiques avec les robots. Elle craint qu’une interaction avec un objet inanimé « comme s’il » était vivant puisse, d’une manière ou d’une autre, nous faire « perdre » une dimension essentielle de notre humanité.
La technologie moderne promet de nous rapprocher. Ce qui est sûr, c’est qu’elle s’appuie sur nos « vulnérabilités humaines » — à savoir, en premier lieu, le besoin d’intimité avec autrui et de connexion sociale. Mais nous aide-t-elle vraiment à combler ce besoin, ou nous fait-elle courir de nouveaux risques ? Telle est toute la question de cet ouvrage.
Première partie — Le moment robotique : nouvelles solitudes, nouvelles intimités
Chapitre 1 — Nos plus proches voisins
Quelles sont nos relations aux robots domestiques qui peuplent déjà nos quotidiens ? L’auteure a mené de nombreuses études pour tenter de répondre à cette interrogation.
Tout d’abord, en tant qu’étudiante du MIT dans les années 1970, elle a fait l’expérience d’ELIZA, un programme informatique de base qui avait pour propriété essentielle de mimer un dialogue avec un psychothérapeute.
En réalité, ELIZA se contentait souvent de reformuler (éventuellement sous forme de questions) ou de paraphraser les propos de l’utilisateur. Mais la plupart des personnes l’ayant utilisé étaient prises au jeu et lui révélaient leurs secrets.
Pour Sherry Turkle, les participants ne pensent en rien qu’ils parlent à une véritable intelligence, mais ils « jouent le jeu », en quelque sorte. Autrement dit, ils sont complices du programme et utilisent les capacités du programme pour provoquer ce qu’ils attendent, à savoir des réponses réalistes d’ELIZA.
Il en va sensiblement de même pour les enfants avec les Furbies, ces peluches animées qui peuvent interagir avec leurs propriétaires. À travers les interviews qu’elle a menées durant de longues années, Sherry Turkle découvre que les petits considèrent les Furbies comme vivants, tout en sachant qu’ils ne sont pas « biologiquement vivants ».
En fait, les enfants n’ont pas peur de brouiller les catégories : ils voient leur Furby à la fois comme une machine et comme un être vivant. Wilson, un petit garçon interrogé par l’auteure, affirme qu’il peut « toujours entendre la machine à l’intérieur ».
D’un autre côté, dans ses études sur l’usage des Tamagotchis par les enfants, Sherry Turkle a remarqué que certains d’entre eux pleurent la mort de leurs petits animaux de compagnie électroniques. Elle donne ainsi l’exemple d’une petite fille qui refuse d’appuyer sur reset après la « mort » de son Tamagotchi.
Selon l’auteure, la pensée de ces enfants est directement liée à leurs interactions — c’est une pensée pragmatique, orientée vers l’action. Ils se prennent au jeu, comme si les Tamagotchis étaient en vie, et se demandent : que veut-il ? Quelles sont les expériences significatives que j’ai eues avec lui ?
Chapitre 2 — Assez vivants
Sherry Turkle amène avec elle huit Furbies dans une école primaire au printemps 1999. Directement, les enfants essaient de se connecter avec les jouets en leur parlant. Ils remarquent que les Furbies ont beaucoup en commun avec eux :
- Ils ont des besoins ;
- Ils sont distincts les uns des autres ;
- Enfin, ils ont besoin d’être nourris.
Étrangement, certains enfants utilisent le vocabulaire des êtres vivants pour parler des machines, et parfois s’appliquent à eux-mêmes le vocabulaire des machines pour parler d’eux-mêmes. Un flou se crée. Pour l’auteure :
« [Les Furbies] promettent la réciprocité parce que, contrairement aux poupées traditionnelles, elles ne sont pas passives. Ils font des exigences. Ils se présentent comme ayant leurs propres besoins et leur vie intérieure. » (Seuls ensemble, Chapitre 2)
Autre expérience : le « test à l’envers ». Ici, des adultes tiennent trois « choses » à l’envers :
- Une Barbie ;
- Une gerbille (sorte de hamster) ;
- Et enfin un Furby.
Apparemment, les gens sont plus réticents à laisser le Furby à l’envers trop longtemps. Pourquoi ? Car celui-ci, contrairement aux deux autres, est capable de dire « J’ai peur » (langage programmé dans la machine). Ils savent que c’est un robot, et pourtant c’est plus fort qu’eux, ces paroles les touchent.
Sherry Turkle raconte encore les opinions de deux garçons sur les robots, à vingt-cinq ans d’intervalle.
- En 1983, l’auteure parle à Bruce, un garçon qui pense que, bien qu’un robot puisse faire moins d’erreurs, les défauts des humains sont ce qui les rend spéciaux.
- En 2008, elle s’entretient avec Howard, qui voit quant à lui l’infaillibilité d’un robot comme un avantage. Il pense qu’un robot est susceptible de donner de meilleurs conseils qu’un humain, car il a accumulé davantage de connaissances.
Dans le cas de Bruce, c’est l’humanité et sa singularité qui sont mises en avant. La réponse de Howard, quant à elle, est typique de l’optimisme qui caractérise les constructeurs de technologies numériques et de robots. Mais celle-ci, pour Sherry Turkle, comporte le risque de se satisfaire des relations robotiques.
En d’autres termes, l’auteure craint que nos interactions répétées avec des robots sociables ne mènent à une réduction de ce que nous considérons comme « la vie », et tout particulièrement la vie humaine, avec les liens sociaux complexes qui la caractérisent.
Chapitre 3 — De vrais compagnons
C’est ce qu’elle cherche à exemplifier à partir d’un autre cas : la relation entre les robots AIBO — les chiens robots — et leurs propriétaires. Est-ce un véritable animal de compagnie ? Et plus important : est-ce que le fait de faire « comme si » il s’agissait d’un vrai chien peut amener ces personnes à se suffire de ce type de relation, somme toute limitée ?
Que leur manquent-ils ? Pour Sherry Turkle, la réponse est claire : l’altérité, à savoir la capacité de voir le monde à travers les yeux d’un autre.
Pour l’auteure, comme le robot n’est pas vivant, il devient simplement une prothèse ou une extension de la personne qui le possède. Lorsque nous interagissons avec des êtres humains, nous avons l’habitude de considérer l’altérité. Ne pas le faire est même le signe certain d’un problème psychologique (personnalité narcissique, manipulatrice, etc.).
Dans leurs relations avec AIBO, les enfants sont à nouveau pragmatiques. Ils le considèrent « comme si » il était un animal de compagnie normal et agissent en fonction. Toutefois, une jeune fille interviewée par l’auteure dit que l’AIBO est plus facile que les animaux de compagnie à certains égards parce qu’elle peut l’éteindre, à la différence d’un « vrai » animal vivant.
Sherry Turkle appelle cela un « attachement sans responsabilité ». Selon elle, s’habituer à ce type d’interaction peut être risqué dès lors qu’il influence nos rapports avec les autres personnes.
Bien sûr, il y a des nuances à faire. Les personnes n’interagissent pas de la même manière avec ces robots et ces interactions ne disent pas la même chose de notre façon d’agir avec les autres. À la fin du chapitre, l’auteure présente plusieurs exemples qui permettent de nuancer le propos.
Chapitre 4 — Enchantement
My Real Baby est une poupée robotique sortie en 2000. C’est un robot sociable légèrement plus avancé que le Furby. Il mûrit et devient plus indépendant. Sa « personnalité » est peu à peu façonnée par la façon dont il est traité par son propriétaire.
Sherry Turkle étudie les interactions entre My Real Baby et les enfants âgés de 5 à 14 ans. Elle remarque tout d’abord qu’ils voient les robots sous un jour positif, à la manière dont ils sont présentés dans les blockbusters hollywoodiens (R2D2 dans Star Wars ou Wall-e, par exemple).
L’auteure s’intéresse à la question de savoir si les enfants pensent que les robots pourraient, à l’avenir, prendre soin d’eux ou de leurs proches (enfants ou personnes âgées). Elle récolte des réponses — et des questions — intéressantes.
Certains se demandent concrètement si les robots ont de l’empathie pour eux. Selon Sherry Turkle, c’est une idée particulièrement courante chez ceux qui ont des parents absents. Un enfant nommé Kevin, âgé de 12 ans et particulièrement précoce, demande à l’auteure :
« Si les robots ne ressentent pas de douleur, comment pourraient-ils vous réconforter ? »
Mais d’autre part, Sherry Turkle remarque aussi que le comportement pragmatiste de bon nombre d’entre eux ne change pas : ils se satisfont de l’action simulée du robot et s’inquiètent seulement du fait qu’il pourrait tomber en panne.
Lorsqu’elle les interroge sur l’utilisation des robots pour aider leurs grands-parents, certains enfants affirment qu’ils pourraient être utilisés pour intervenir en cas de problème (chute, mort, etc.) ou de les aider à se sentir moins seuls. Mais certains enfants craignent aussi que leurs grands-parents en viennent à aimer le robot plus qu’eux !
Sherry Turkle termine ce chapitre par deux autres illustrations intéressantes.
Elle donne d’abord l’exemple de Callie, une jeune fille de 10 ans qui a une relation forte avec son jouet My Real Baby. Comme son père est souvent absent, la présence du robot la réconforte et lui fait « se sentir plus aimée ». Investie d’un sentiment de responsabilité, elle se considère même comme la mère du bébé.
Tucker, un enfant de sept ans, est atteint d’une maladie grave. Il utilise AIBO pour exprimer ses sentiments sur la mort, sur son corps et sa propre peur de mourir. Il compare AIBO à son chien, mais considère que l’AIBO « fait mieux ». Selon Sherry Turkle, il identifie le robot à « un être qui peut résister à la mort par la technologie ».
Chapitre 5 — Complicités
Sherry Turkle fait la découverte du robot Cog pour la première fois en 1994, au MIT. Cog est un robot assez évolué qui apprend de son environnement et cherche à créer du lien social.
Lors de nouvelles expériences avec des enfants, Sherry Turkle présente deux robots — Cog et Kismet (un autre robot « sociable ») — à un groupe d’enfants. Ceux-ci, naturellement curieux, interagissent avec les robots et cherchent à faire connaissance.
Ils essaient de plaire aux robots et se font les complices de l’effort des concepteurs pour rendre les robots plus humains qu’ils ne le sont vraiment. Ils parlent et ils dansent avec eux ; bref, ils cherchent à attirer leur attention et à créer du lien social.
Même lorsque les concepteurs expliquent à certains enfants le mécanisme qui se cache derrière ces robots, ou bien lorsque ceux-ci tombent en panne, les élèves interrogés continuent de trouver des justifications et des explications pour conserver cet aspect « vivant ».
Pour aller plus loin, Sherry Turkle raconte notamment l’histoire d’une petite fille de 11 ans qui, en raison de ses origines indiennes, a quelques difficultés à s’intégrer dans le groupe.
Elle n’aime pas la façon dont les filles qu’elle fréquente font semblant d’être ses amies, puis se moquent de son accent. Par contraste, elle aime la « fiabilité » de Cog. Selon Sherry Turkle, la petite fille s’assure ainsi d’être aimée, sans risquer le rejet d’autrui.
Une autre petite fille, à l’inverse, considère que c’est de sa faute si le robot ne parle pas suffisamment. Elle se demande pourquoi il n’est pas très bavard et s’en impute la responsabilité. Ici, c’est un sentiment d’échec qui est fabriqué par la relation avec la machine.
L’auteure donne de nombreux autres exemples très parlants. À chaque fois, elle pose la question du sens de créer des robots sociables. Quelles sont les implications éthiques de ce type de technologie et sommes-nous capables de les assumer ?
« Voulons-nous vraiment être dans le business de la fabrication d’amis qui ne pourront jamais être des amis ? » (Seuls ensemble, Chapitre 5)
L’amitié avec les robots ne pourra jamais être réciproque. Ce sera toujours une projection de nos propres sentiments sur un être finalement indifférent. Autrement dit, l’amitié véritable nécessite l’altérité.
Chapitre 6 — L’amour au chômage
Connaissez-vous Paro ? C’est un robot thérapeutique introduit dans certaines cliniques à partir du printemps 2009. Sa cible : les personnes âgées et, avant tout, les résidents des maisons de retraite. C’est l’occasion, pour Sherry Turkle, de revenir sur ses réflexions et ses observations auprès de ce groupe d’individus.
Sherry Turkle raconte d’abord les expériences qu’elle a menées avec My Real Baby. Elle explique que le robot est bien accepté, même si, de façon générale, elle remarque que les personnes âgées cherchent surtout à interagir avec les personnes humaines réelles qui organisent l’étude ou prodiguent les soins.
L’auteure raconte ensuite son incursion auprès des chercheurs en robotique. En 2005, elle assiste à un symposium intitulé « Caring Machines [machines de soin] : l’intelligence artificielle dans les soins aux personnes âgées ». Elle questionne notamment les participants au sujet du titre du symposium lui-même : veut-on vraiment que les machines prennent soin de nos ainés ?
Selon elle, prendre soin est ce qu’elle nomme « le travail de l’amour« . Il s’agit avant tout d’une activité fondamentalement humaine.
Plus tard, toutefois, elle parle avec Tim, un homme d’âge moyen qui affirme que le robot Paro améliore la vie de sa mère. Celle-ci, selon lui, semble plus vivante grâce à la compagnie du robot. Mais est-elle pour autant moins seule qu’auparavant ? Telle est l’inquiétude de l’auteure.
Voici quelques autres exemples donnés par Sherry Turkle :
- Une personne âgée nommée Andy devient très attachée à un My Real Baby et en vient à lui parler comme à son ex-femme.
- Johnathan, un autre résident, ancien ingénieur, est plus terre-à-terre. Il démonte My Real Baby et trouve une puce informatique dont il ignore la composition.
- Une femme âgée nommée Edna préfère le jouet à sa véritable arrière-petite-fille de 2 ans parce qu’elle peut jouer avec elle sans aucun risque. Le robot la détend.
Les robots comme Paro ou encore Nursebot (un autre robot de ce genre) commencent à intégrer les maisons de repos. Ils peuvent aider dans certaines tâches, comme la prise de médicaments. Mais nous devons faire attention aux conséquences inattendues de ces technologies sur les liens sociaux et, en particulier, sur la façon dont nous prodiguons l’amour et les soins.
Chapitre 7 — Communion
Sherry Turkle relate une série d »études visant à tester les compétences du robot Kismet dans la conversation entre adultes. Rich, jeune homme de vingt-six ans, participe à cette expérience.
Il commence par activer ce que l’auteure a appelé dès le premier chapitre « l’effet ELIZA« . C’est-à-dire qu’il cherche activement à faciliter la relation avec le robot afin de créer l’illusion de son caractère « vivant ». Peu à peu, un rapport se crée et Rich se prend au jeu — au point d’oublier que le lien est factice !
Avec Domo, une version améliorée de Kismet pensée pour l’aide ménagère, les effets sont semblables. Selon son concepteur, peu importe de savoir que le robot n’as pas de sentiments ; ce qui compte, c’est ce que nous ressentons lorsqu’un robot, par exemple, nous tient la main.
Mais Sherry Turkle n’est pas d’accord avec ce point de vue. Elle considère que, derrière ce « fantasme de communion », se cache en réalité « l’indifférence ultime » du robot. Et que cette indifférence n’est pas sans conséquences.
Selon le psychologue Clifford Nass, les personnes tendent à éviter les conflits ou à blesser les « sentiments » de l’ordinateur, même s’ils savent, au fond d’eux, que l’ordinateur n’en a pas. C’est toute la thématique de l' »informatique affective« , une discipline inventée par Rosalind Picart dont parle l’auteure à la fin de ce chapitre.
Deuxième partie — En réseau : dans l’intimité, de nouvelles solitudes
Chapitre 8 — Toujours connectés
Sherry Turkle se souvient d’un groupe de personnes surnommées « les cyborgs » au MIT, dans les années 90. « Errant dans et hors du réel physique », ils étaient les premiers passionnés des jeux en ligne.
Leur attachement à l’espace virtuel semblait bizarre et marginal dans ces années-là. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? L’auteure souligne que beaucoup d’entre nous vivent comme cela désormais, que ce soit par le biais des réseaux sociaux ou des jeux en ligne comme Second Life.
Pour Sherry Turkle, notre vrai moi, notre moi physique, se confond peu à peu avec notre moi virtuel. Ou, à tout le moins, l’un et l’autre se transforment mutuellement. La psychologue-anthropologue prend plusieurs exemples tirés de ses recherches plus récentes.
En voici un. Pete est un homme d’âge moyen qui vit un mariage malheureux. Mais il a une femme virtuelle dans Second Life. Selon lui, cette relation en ligne aide effectivement son mariage dans la vie réelle à perdurer.
Pourquoi ? Car elle lui donne un exutoire. Dans le jeu, il peut aborder des sujets que sa femme refuse d’entendre. Les moments où il se sent le plus « lui-même », c’est dans le jeu, dit-il encore.
Sherry Turkle s’intéresse aussi au multitâche et à ses implications. Elle rappelle des études ayant montré les effets plutôt négatifs, en terme d’efficacité d’apprentissage, notamment, de ce mode de travail.
Par ailleurs, l’auteure remarque que la patience des gens diminue à mesure que les technologies de communication nous offrent des services toujours plus rapides. Les nuances se perdent aussi. Dans un monde où les réponses instantanées deviennent la norme, il faut faire court et direct.
Sherry Turkle voit ainsi une « symétrie effrayante » émerger : à mesure que les robots sont promus au rang d’être (quasi-) vivants, les personnes qui communiquent en ligne sont rétrogradées au stade de « machines maximisantes », sommées d’être toujours plus efficaces.
Finalement, Sherry Turkle observe un lien fort entre la robotique et les réseaux sociaux. Nous sommes profondément séduits par les deux technologies.
- Les robots sociaux attirent les utilisateurs avec leurs besoins artificiels et créent une réponse positive chez les utilisateurs, qui se mettent à « jouer le jeu ».
- Les réseaux sociaux exigent de nous un engagement de plus en plus intense. Nous nous sentons obligés, ici aussi, d’entrer dans le jeu et de répondre le plus rapidement possible aux notifications et aux messages qui nous sont envoyés.
Chapitre 9 — Grandir constamment reliés
Depuis l’apparition des smartphones, de nombreux adolescents (et adultes) sont « scotchés » à leurs écrans. Quitte, parfois, à les utiliser lorsqu’ils conduisent ou quand ils savent que cela est dangereux.
La génération native d’Internet pense que la connexion via les réseaux sociaux est quelque chose d’acquis, de déjà-là et de premier. Mais, selon l’auteure, cette attitude peut nuire à l’auto-réflexion, qui passe par l’intimité et la solitude.
Par ailleurs, le médium lui-même, à savoir la forme des messages que nous envoyons, encadre la façon dont nous pensons et réagissons. L’auteure craint que le caractère rapide, court et direct des messages déposés sur les réseaux sociaux empêche les adolescents d’exprimer et de ressentir complètement leurs sentiments.
Aujourd’hui, une étudiante qui envoie des messages 15 fois par jour n’est pas considérée comme « anormale ». Mais pensez-y. Était-ce ainsi il y a dix ans ? Pas du tout. À cette époque, vous auriez sans doute trouvé cela « bizarre ». Les codes sociaux et culturels changent.
Sherry Turkle utilise de nombreux entretiens qu’elle a elle-même réalisés afin de montrer comment les jeunes se « créent des identités » en ligne et comment celles-ci peuvent causer des troubles intérieurs ou participer à réparer (partiellement ou artificiellement) des blessures dans la vie réelle.
- Trish, par exemple, est une jeune fille de 13 ans qui est maltraitée physiquement. Dans les Sims Online, elle se crée une famille respectueuse et aimante.
- Katherine, 16 ans, expérimente diverses personnalités dans ce même jeu.
- Mona et un autre lycéen s’inquiètent de la relation de conséquence entre la création de leur profil sur Facebook et les opportunités qu’ils peuvent avoir dans la vie réelle. Leur profil virtuel peut avoir des conséquences importantes sur leur bien-être et leur avenir.
Sherry Turkle montre qu’un certain nombre d’étudiants sont fatigués de cet « audit » constant et de cette simplification de soi-même qu’implique l’univers des réseaux sociaux.
En résumé :
« Les réseaux sociaux nous demandent de nous représenter sur un mode très simplifié. Et devant notre public, nous nous sentons ensuite tenus de nous conformer à ces représentations simplificatrices. » (Seuls ensemble, Chapitre 9)
Chapitre 10 — Plus la peine de passer un coup de fil
Dans ce chapitre, Sherry Turkle continue son investigation sur les réseaux sociaux et la communication en ligne de façon plus générale.
Elle donne l’exemple d’Elaine, 17 ans, qui préfère envoyer des textos plutôt qu’appeler. Pourquoi ? Car cela lui donne le temps de construire ses pensées sans pression et souvent pendant qu’elle est seule. Ici, le message écrit peut aider la réflexion.
Audrey, 16 ans, est quant à elle timide. Elle préfère envoyer des textos, plutôt que de parler. Mais c’est surtout parce qu’elle n’aime pas mettre fin aux appels. Ses parents sont divorcés et ses frères sont souvent occupés ; dès lors, elle ressent chaque fin d’appel comme un rejet. Avec les textos, c’est plus simple, dit-elle.
Cela dit, elle avoue que, lorsqu’elle a déménagé, elle aurait aimé dire au revoir à l’un de ses amis par téléphone ou en personne, plutôt que par message écrit.
D’ailleurs, les adolescents ne sont pas les seuls à préférer les textos. L’auteure cite une femme adulte qui cherche à convertir son mari à ce mode de communication. Lui qui préfère téléphoner se voit contraint d’écrire afin d’être « plus efficace ».
Sherry Turkle utilise de nombreux autres exemples en relation aux textos. À chaque fois, elle montre bien l’ambiguïté de ce médium. En effet, celui-ci peut aider à l’expression. Mais il contraint également énormément les échanges.
Et — comme nous avons toujours le mobile à côté de nous — il ne permet plus que rarement les moments de solitude et de remise en question.
Chapitre 11 — Réduction et trahison
Sherry Turkle se prête ici au jeu et crée un personnage de Second Life nommé Rachel. Elle affirme que « quand nous jouons à recréer notre vie via un avatar, nous exprimons nos espoirs, nos forces et nos fragilités ».
À nouveau, l’auteure n’est pas contre la technologie. Elle reconnaît même qu’un tel « jeu » peut avoir des effets thérapeutiques ou éducatifs sur la vie réelle d’une personne.
Les psychologues distinguent deux processus mentaux que Sherry Turkle propose d’utiliser pour penser les formes de vie en ligne :
- Le « retour du refoulé » ;
- Le « travail sur les problèmes ».
Le « retour du refoulé » désigne ici le fait de rester bloqué au sein des mêmes conflits intérieurs, sans pouvoir avancer et trouver une solution. Votre présence en ligne ne vous aide pas à grandir, mais plutôt à vous cacher.
Par contraste, en « travaillant sur les problèmes », vous utilisez l’univers virtuel pour explorer de nouveaux comportement et mettre un terme à vos soucis.
Par exemple, Joel, un programmeur informatique à succès, utilise Second Life pour « explorer son potentiel d’artiste et de leader ». Son avatar est un éléphant miniature nommé Rashi qui organise et construit de grands projets artistiques et bâtiments dans le jeu et qui est respecté pour cela.
La vie en ligne de Joel « rejaillit » de façon positive sur sa vie hors ligne.
En revanche, Adam a plutôt tendance à s’enfermer dans le virtuel et à « laisser tomber » sa vie réelle. Il est insatisfait de sa vie hors ligne et en particulier de son travail. Mais il aime sa vie virtuelle dans Quake, un jeu de tir à la première personne auquel il joue seul ou avec des amis. Il aime aussi Civilization, un jeu dans lequel il peut construire des univers entiers.
« Tel est le secret de la simulation : elle offre l’exaltation de la créativité sans la pression, l’excitation de l’exploration sans le risque. » (Seuls ensemble, Chapitre 11)
Cette caractéristique peut être mise à profit pour évoluer dans la vie, ou simplement nous divertir. Mais elle peut aussi susciter des phénomènes d’addiction et la perte des repères avec le monde réel.
Chapitre 12 — De vraies confessions
Sur un site appelé PostSecret, les gens envoient des cartes postales manuscrites confessant quelque chose, et ces confessions de cartes postales sont ensuite mises en ligne. Il existe plusieurs sites de ce genre où l’idée est, à chaque fois, de faire part aux autres internautes de ses questionnements les plus intimes.
Sherry Turkle remarque qu’il est plus facile de se confesser de cette façon. En effet, nous pouvons rester plus évasifs et nous nous dévoilons sous couvert d’anonymat. Mais c’est aussi moins efficace, car nous ne confrontons pas à une relation directe (avec un ami ou un membre de la famille, par exemple).
En fait, ces confessions en ligne sont, dans un sens, semblables à ces compagnons robots analysés dans la première partie. Comme avec eux, nous n’avons plus à traiter avec de vraies personnes ; nous pouvons juste nous satisfaire de faire « comme si » nous nous excusions vraiment, ou comme si nous réparions vraiment nos erreurs.
Par ailleurs, confesser ses problèmes en ligne augmente le nombre de réponses auxquelles nous pouvons nous attendre. Or, ce ne sont pas toujours des réponses bienveillantes ou justifiées, loin de là. La « cruauté » des internautes peut rendre l’expérience vraiment pénible.
Enfin, ces messages peuvent avoir pour effet de limiter l’empathie de ceux qui les lisent. Nous doutons de l’aspect « réel » et sincère de la confession. Et comme nous estimons qu’il pourrait s’agir d’une « performance », nous nous lassons des messages.
Chapitre 13 — Angoisses
Autre phénomène analysé par Sherry Turkle : le stress et l’anxiété. L’anxiété est monnaie courante à l’ère du numérique. Nous avons peur de manquer une information ou un bon plan (le fameux FOMO pour fear of missing out) et nous avons le sentiment simultané que tout est disponible et de devoir toujours être accessible.
Pour l’auteure, c’est d’ailleurs à partir des attentats du 11 septembre que les mobiles sont devenus « des symboles de sécurité physique et émotionnelle ». En l’ayant toujours avec nous, nous nous sentons davantage protégés. Même si ceux-ci nous stressent aussi d’un autre côté.
À la fin du chapitre, Sherry Turkle aborde la question délicate du harcèlement sur Facebook et celle de la surveillance généralisée qu’impliquent les réseaux sociaux. Elle rappelle l’importance cruciale de la vie privée pour la démocratie.
Chapitre 14 — La nostalgie des jeunes
Finalement, Sherry Turkle note que de nombreux jeunes aspirent à une connexion plus profonde et en face à face. Ils se sentent enfermés dans le cercle vicieux créé par la technologie numérique. Envoyer des textos, par exemple, crée « une promesse qui génère sa propre demande ».
- La promesse est que vous pouvez envoyer un SMS et demander à un ami de le recevoir en quelques secondes, ;
- La demande est que l’ami soit obligé de répondre.
Robin, une jeune journaliste ambitieuse de 26 ans, se sent par exemple obligée de garder son BlackBerry avec elle à tout moment. Elle se sent même anxieuse et presque malade lorsqu’il n’est pas à bout de bras.
Pourquoi cet attachement si fort aux mobiles ? Parmi ses arguments, Sherry Turkle fait valoir que l’une des raisons pour lesquelles les enfants d’aujourd’hui souhaitent être connectés est qu’ils ont grandi en concurrence avec les téléphones pour attirer l’attention de leurs parents.
Conclusion — Des débats nécessaires
La psychologue et anthropologue démontre que les ordinateurs nous « utilisent » — et nous façonnent — autant que nous les façonnons. Nous inventons de nouvelles technologies pour nous aider à vivre et à travailler au quotidien, mais celles-ci nous transforment profondément !
L’un de ses amis et collègues handicapés, Richard, lui raconte comment il valorise l’aide que lui apportent les personnes humaines. Selon lui, un robot ne pourrait pas agir vis-à-vis de lui de cette façon. L’être humain, dit-il, surtout quand il est fragile, a besoin d’être raccroché à son histoire et à des liens concrets de fraternité. C’est ce qui lui donne sa dignité.
Non, la seule « performance du sentiment » ne suffit pas. Bien sûr, nous pouvons être tentés par cette solution, car nous contrôlons (ou pensons mieux contrôler) les rapports que nous entretenons avec les robots. Mais nous nous exposons moins à l’altérité.
Par ailleurs, nous risquons de ne plus supporter la solitude, pourtant essentielle à la création de nouvelles idées. Constamment aux prises avec cette performance du sentiment (aussi bien avec les robots qu’avec les autres virtuels), nous en oublions de nous retrouver avec nous-même pour nous poser ou réfléchir.
Au final, Sherry Turkle voit bien que certaines générations ressentent davantage le besoin de se mettre au vert et de concevoir d’autres formes de connectivité — c’est d’ailleurs tout l’objet du cyberminimalisme.
Que ce soit avec les robots ou les réseaux sociaux, nous pouvons créer des limites. Les robots, par exemple, peuvent très bien nous aider dans certaines tâches, mais nous ne devrions pas nous laisser avoir par l’illusion de l’amour robotique — dans le domaine des soins, surtout.
En somme, c’est à nous de reprendre le contrôle des usages acceptables et indésirables !
Épilogue — La lettre
Sherry Turkle raconte ici une anecdote personnelle. Elle envoie un texto à sa fille, qui prend une année sabbatique à Dublin avant l’université. Mais elle est insatisfaite : elle se souvient avec nostalgie des lettres qu’elle envoyait et recevait de sa propre mère alors qu’elle était à l’université.
Elle se rappelle que ces lettres étaient longues, sincères et pleines d’émotions. Bien qu’elle apprécie les échanges écrits et les visioconférences par Skype avec sa fille, quelque chose lui manque. Et elle remarque aussi que d’autres mères sont dans la même situation.
Alors, que faire ? Sherry Turkle évoque différentes méthodes pour « capturer la vie ». Il y a l’art et la science, bien sûr. Mais aussi la volonté, pour certaines personnes, d’archiver leur vie complète en écrivant des mémoires — ou en consignant chaque petit moment sur Instagram ou sur Facebook !
Pourtant, au quotidien, comment échanger de façon à la fois simple et plus profonde ? Sherry Turkle propose à sa fille de s’écrire des lettres, comme elle le faisait quand elle était elle-même plus jeune. Une correspondance à l’ancienne, pourquoi pas !
Conclusion sur « Seuls ensemble » de Sherry Turkle :
Ce qu’il faut retenir de « Seuls ensemble » de Sherry Turkle :
Ce livre se lit presque comme un roman. Pourtant, il repose sur un nombre impressionnants d’études et d’expériences réalisées par l’auteure et ses collègues pendant plus de quatre décennies. Grâce à sa force narrative et sa rigueur scientifique, l’ouvrage est devenu un classique à la fois dans les universités et en dehors.
Ses deux champs d’expérimentation sont :
- La conception et la commercialisation de robots domestiques et en particulier de robots sociaux (jouets, robots domestiques, de compagnie, de soin, etc.) ;
- L’apparition, grâce à Internet, de mondes en ligne divers (jeux, réseaux sociaux, etc.) et d’une connexion accrue (via les messageries, les textos, etc.).
Elle remarque une similitude entre ces deux domaines. En effet, à chaque fois, les êtres humains, jeunes ou vieux, se prêtent au jeu de la simulation et en oublient qu’ils deviennent, à leur tour, les jouets de réactions préprogrammées.
Or, ce qui l’intéresse plus que tout, c’est de voir comment ces relations à sens unique affectent notre sens de l’intimité, de la solitude et des relations humaines.
Et sa contribution principale consiste à documenter avec précision les difficultés auxquelles nous sommes confrontés avec les technologies actuelles issues de la robotique et d’Internet. À savoir :
- Le risque de se couper de l’altérité et de l’imprévisibilité ;
- La tentation de préférer des émotions artificielles aux joies et aux peines concrètes ;
- Le manque de solitude nécessaire à la constitution du soi et des relations humaines.
Pour autant, Sherry Turkle, qui est une fine psychologue et anthropologue, ne considère pas qu’il faille — comme on dit — jeter le bébé avec l’eau du bain. Selon elle, il existe des usages positifs de la robotique ainsi que des réseaux sociaux et des jeux en ligne. Mais ce n’est qu’en les pratiquant avec conscience et réflexion que nous pouvons en tirer le meilleur.
Points forts :
- Un style personnel qui permet d’entrer dans l’étude comme s’il s’agissait d’un roman ;
- De très, très, très nombreux exemples issus de toutes ses études de terrain et entretiens ;
- Un effort théorique solide ;
- Une bibliographie et des annexes intéressantes.
Point faible :
- C’est un livre peu ardu, mais qui en vaut la peine.
Ma note :
★★★★★
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