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Ce qu’il y a de meilleur en nous

Ce qu'il y a de meilleur en nous, Christophe Dejours

Résumé de « Ce qu’il y a de meilleur en nous. Travailler et honorer la vie » de Christophe Dejours : en s’appuyant sur son expérience professionnelle et en dialoguant avec des auteurs de sciences humaines, l’auteur propose une réflexion stimulante et passionnante autour des notions de souffrance et de plaisir au travail.  

Par Christophe Dejours, 2021, 176 pages.

Chronique et résumé de « Ce qu’il y a de meilleur en nous. Travailler et honorer la vie » de Christophe Dejours

Avant-propos

Cet ouvrage questionne et ouvre des voies de réflexion sur la souffrance au travail, un thème rarement abordé et considéré.

En considérant les « transformations contemporaines du travail, de la gestion et du management », l’auteur, Christophe Dejours, annonce se situer dans le « débat sur le travail, la souffrance au travail et les pathologies mentales (voire somatiques) » (p. 8).

L’auteur mobilise deux courants de recherche :

  • La psychodynamique du travail ;
  • La psychanalyse.

Du côté de la psychodynamique du travail

Les mouvements sociaux autour de mai 68 revendiquaient davantage de liberté et d’émancipation dans la société. En même temps, la crise économique, provoquée par le premier choc pétrolier de 1973, annonçait des heures plus sombres pour l’emploi et le travail.

C’est à ce moment-là, en France, dans les années 1970, que différentes recherches d’abord regroupées sous le terme « psychopathologie du travail » ont vu le jour. L’État a encouragé la création de cette discipline de recherche par des subventions.

Le terme « psychodynamique du travail » est apparu en 1992.

Différentes disciplines des sciences humaines participent au débat sur ces questions qui lient travail et souffrance :

  • Ergonomie ;
  • Médecine du travail ;
  • Sociologie du travail ;
  • Anthropologie des techniques ;
  • Sociolinguistique ;
  • Économie du travail ;
  • Sociologie de l’éthique ;
  • Psychiatrie phénoménologique ;
  • Histoire sociale.

Plus récemment la discipline a aussi dialogué avec le droit et la philosophie.

Bien que tous les chercheurs ne s’accordent pas sur ce point, Christophe Dejours soutient l’idée que la psychanalyse a beaucoup à apporter aux débats concernant la souffrance au travail.

Du côté de la psychanalyse

Les psychanalystes, de leur côté, ont longtemps refusé de s’intéresser au travail et donc à la psychodynamique du travail. En effet, ils considéraient que la psychanalyse a pour objet l’exploration par le patient de son psychisme. Pour eux, les souffrances psychiques ont des origines profondes liées à des conflits psychosexuels. Le travail ne pouvait avoir qu’un rôle « déclenchant » (p. 12) dans les troubles observés.

Depuis plusieurs années cependant, des psychanalystes participent aux débats concernant les souffrances au travail.

« Cette évolution est certainement due à l’aggravation des souffrances et des pathologies en rapport avec le travail, sous l’effet des transformations importantes des méthodes d’organisation du travail, de gestion et de management, aussi bien dans les entreprises privées que dans le secteur public. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 12)

Selon Christophe Dejours, s’intéresser à la clinique du travail n’est pas qu’une question théorique. Il y a là un vrai enjeu pour le psychanalyste confronté, dans son cabinet, à l’écoute du patient qui parle de son travail et des difficultés qu’il y rencontre. Ce livre se situe au centre de ces questions.

Introduction

Christophe Dejours annonce dès l’introduction que son point de départ est la théorie de la sublimation de Freud, le fondateur de la psychanalyse.

Au centre de la théorie freudienne se trouve l’idée que la sexualité infantile – qui perdure chez les adultes – est à la base de l’activité psychique des individus.

« […] Cette sexualité infantile n’a rien d’idyllique. Selon les termes de Freud, c’est une sexualité perverse et polymorphe, dont l’investigation clinique montre qu’elle est foncièrement amorale. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 18)

Selon Freud, pour pouvoir vivre ensemble en société en établissant des rapports non-violents, les êtres humains doivent renoncer à certaines de leurs pulsions sexuelles venant de leur sexualité infantile. La société, de son côté, institue des limites aux pulsions sexuelles. Mais elle ne peut pas contrôler la manière dont chaque individu réprime ses propres pulsions.

La sublimation selon Freud

La sublimation se produit lorsque l’individu oriente une pulsion sexuelle vers une autre action que l’activité sexuelle elle-même. La pulsion originelle fournit alors une énergie pour cette autre occupation qui peut être, par exemple, l’art ou le travail. La satisfaction peut être obtenue par le résultat de cette autre activité.

« La sublimation joue un rôle majeur dans la création artistique et dans la recherche scientifique. Enfin, il est utile de souligner que Freud formule des réserves sur les conséquences de la sublimation. Si cette dernière est engagée dans la production des œuvres de culture, elle peut pourtant devenir une menace non seulement pour la reproduction de l’humanité, mais aussi pour la société et la civilisation, parce qu’elle exigerait des renoncements voire des sacrifices […], peut-être trop coûteux pour l’économie de la sexualité (menace pour la reproduction du genre humain d’une part, engendrement d’une haine de la culture d’autre part). » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 22)

L’auteur énonce des limites à cette théorie de la sublimation de Freud, notamment au regard de la clinique du travail et de la théorie du « travail vivant » qu’il va mobiliser dans l’ouvrage.

Sublimation et travail

Une de ces limites notamment est liée au fait que Freud restreint la sublimation à des personnes d’exception comme de grands intellectuels et artistes. Au contraire, la clinique du travail avance l’idée que la sublimation se produit chez les individus ordinaires, dans les activités quotidiennes et à des degrés divers. Elle incite à prendre en compte les « conditions matérielles, sociales et politiques » (p. 23) qui rendent possible la sublimation.

De plus, pour la clinique du travail, la sublimation a des effets positifs sur l’estime que l’individu a de lui-même et sur le plaisir qu’il peut ressentir en travaillant. Là où Freud associe surtout la sublimation à la souffrance.

Chapitre 1 – L’intelligence au travail. Pourquoi la créativité n’est pas réservée aux « génies »

Selon Christophe Dejours, l’intelligence apparaît dans de nombreux actes du travail ordinaire. Que fait un individu lorsqu’il travaille ? Il transforme de la matière inanimée en de la matière animée, « vivante ». Selon l’auteur, les pulsions sexuelles sont à l’origine de ces actes d’intelligence et de transformation. Comment ? C’est l’objet des prochaines sections.

Investissement sexuel et travail

À l’origine de la pulsion sexuelle se trouve une énergie appelée « libido ». Si aucun processus de sublimation ne se met en place chez un individu, il cherche à assouvir sa pulsion sexuelle à travers une activité sexuelle. Il est alors attiré par de la matière « vivante », par des parties du corps et des organes d’un autre individu avec lequel il a une relation sexuelle.

Lorsqu’un processus de sublimation se met en place, l’individu dirige sa libido non pas vers des organes vivants mais vers des objets inanimés. Ces objets inanimés sont par exemple la terre, la pierre, le bois, le plâtre, le métal ou encore « un outil ou un objet technique (arme, automobile, avion) » (p. 31). 

Comment se fait-il alors que l’individu puisse se sentir attiré et investir de la libido dans ces matériaux « non vivants » ? Parce qu’il se représente en réalité ces objets inanimés comme « vivants » nous dit l’auteur. Cette représentation agit comme un fantasme plus ou moins conscient.

La sublimation : références théoriques de départ

Lorsqu’un adulte refoule des pulsions sexuelles, elles ne disparaissent pas. Elles sont dirigées vers d’autres buts (que l’activité sexuelle). C’est la sublimation, ou transposition.

Christophe Dejours cite l’auteur Jean Laplanche qui souligne, chez Freud, deux fonctions de la sublimation pour les adultes :

  • Le désir de savoir ;
  • La pulsion de recherche.

Mais Christophe Dejours insiste sur un point qui semble oublié, selon lui, par Freud, pour expliquer le processus de sublimation. Il s’agit d’un affrontement avec la matière. D’ailleurs, un exemple frappant est celui de l’artiste en prise – comme dans un « corps à corps » (p. 32) – avec de la matière qu’il entreprend de transformer pour créer.

« […] lutte avec la toile, les couleurs, les solvants, les pinceaux, luttes des mains et des doigts avec la terre pour en éprouver la résistance, l’inertie, la dureté, la mollesse, l’indocilité, la viscosité, la malléabilité et en faire, enfin, émerger la forme […]. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 33)

Le « travailler » dans la sublimation chez le poète

Le sculpteur, comme Giacometti, touche et manipule la terre pour produire son œuvre. Le poète, comme Baudelaire, fait de même, mais avec le langage. Il manipule les mots, les détournant de leur sens usuel, les assemblant avec originalité, cassant ainsi des conventions sociales, sublimant le réel.

Christophe Dejours cite Jérôme Thélot qui évoque le travail réalisé par le poète : « travail de la prosodie » (p. 34). Selon Thélot, le poète engage sa subjectivité toute entière pour créer. Il investit des affects, de la douleur, de la persévérance « dans ce corps à corps avec le rythme et la rime » (p. 35).

Le génie de l’intelligence au travail

Comme le poète, le travailleur est confronté aux difficultés et aux résistances quotidiennes apposées par la matière, ou les outils, qu’il manipule et qu’il essaie de transformer. De fait, pour surmonter ces difficultés et trouver des solutions, il mobilise son intelligence : il réessaie, réassemble, bricole, casse, etc.

En cherchant ainsi des solutions, l’homme apprend à anticiper et à reconnaître les moments où des difficultés peuvent surgir. Et cette anticipation passe par la mobilisation de son corps. En effet, ses sens – ouïe, toucher, vue, odorat – lui permettent de percevoir les signes annonciateurs d’un problème. Il engage alors des actions qui visent à contourner le problème avant qu’il ne survienne réellement (par exemple : réduire la vitesse pour éviter la surchauffe d’une machine).

Intelligence au travail et « corpspropriation »

« Ce processus de conquête de la matière par la vie, un philosophe, Michel Henry, l’appelle ‘corpspropriation’. Elle est pour lui ce qui est au principe du ‘travail vivant’, sans lequel aucune production […] ne serait possible ». (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 38)

Dans la confrontation avec la matière et les machines, le travailleur ressent des émotions, mobilise ses capacités physiques et cognitives. À tel point qu’il projette des affects sur la matière inanimée, la traitant comme si elle était vivante. Christophe Dejours cite l’exemple du personnage de Zola, Lantier, qui donne le nom affectueux de « Lison » à sa machine à vapeur. Lantier prend soin de Lison : il va jusqu’à l’aimer, l’insulter, la pousser à bout même.

Corpspropriation et remaniements du corps

Ce qui se produit chez l’homme en proie à la résistance de la matière, c’est aussi le fantasme et la fantaisie. Et c’est à travers eux que le travailleur se libère des prescriptions rationnelles, des modes d’emploi et de la connaissance théorique. Il peut ainsi chercher des solutions et des réponses adaptées au problème réel auquel il est confronté.

« Le génie de l’intelligence du corps n’appartient qu’à celui-là qui l’a acquise au prix de sa souffrance et de son endurance, voire de son courage à pâtir de la résistance du réel. Chaque génie est propre à chaque sujet en son histoire. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 42)

C’est dans le travail et la confrontation aux difficultés que se forment de « nouvelles habiletés » (p. 44).

Quel corps ?

Le corps de l’individu qui travaille n’est pas uniquement le corps saisi dans sa dimension physiologique. C’est aussi le corps dans sa dimension érogène, c’est-à-dire qui ressent des sensations et du plaisir qui proviennent de la sublimation de pulsions sexuelles vers l’activité du travail.

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En plus des nouvelles habiletés, il y a aussi de « nouvelles sensibilités » (p. 45) qui naissent dans le travail. C’est ainsi que le travailleur se sent plus vivant.

Les deux pulsions déjà citées par l’auteur – pulsion de comprendre et pulsion de chercher – se transforment en « désir de travailler » (p. 47).

L’œuvre, qui est produite par le travail, apparaît alors comme une forme d’accomplissement de soi. Pour Christophe Dejours, cette réalisation de soi n’est pas seulement réservée aux hommes qui font preuve d’un potentiel exceptionnel. Elle peut se produire dans différents types de métiers et de tâches.

L’auteur précise également les limites de l’analyse qu’il présente ici. En effet, il se concentre uniquement sur le rapport de l’individu qui travaille avec la matière. Pour une analyse complète, il est également nécessaire de prendre en compte les rapports sociaux au travail, c’est-à-dire les formes de « coopération horizontale, verticale et transverse » (p. 47).  

Les risques du travail antisublimatoire

L’auteur précise également que le processus de sublimation dans le travail ne concerne pas tous les métiers et activités. Le travail très rationalisé et industrialisé, comme le taylorisme, ne permet pas de ressentir du plaisir en travaillant, d’exercer sa créativité et son intelligence. Aujourd’hui certaines méthodes de gestion et de management, mises en place depuis les années 1980 – 1990, tendent à standardiser l’activité de travail et à diminuer les possibilités de sublimation et de plaisir au travail.

C’est alors que différentes maladies apparaissent comme des signes du mal-être au travail : épuisement professionnel (burn-out), suicides dans les cas les plus graves. D’où l’urgence de replacer la réflexion sur le lien entre la subjectivité et le travail dans le cabinet du psychanalyste.

Chapitre 2 – La sublimation et ses ennemis. De la folie de la norme à la souffrance éthique

La norme physique exprime une loi de la nature, c’est-à-dire une loi qui ne dépend pas de la volonté des hommes.

La norme humaine désigne une loi qui est instituée, c’est-à-dire décidée et mise en place par des hommes. Les lois instituées varient donc en fonction des contextes historiques, culturels et sociaux. Des hommes ont le pouvoir de les créer de les modifier.

Christophe Dejours, s’appuyant sur les travaux d’Alain Supiot, souligne les problèmes liés à l’excès de normes humaines qui règne dans nos sociétés actuelles. Tout semble devoir obéir à des normes précises. Dejours parle même de « folie de la norme » (p. 51).

Il distingue trois rapports différents à la norme en fonction des personnes :

  • Les créateurs des normes qui sont les élites ;
  • Ceux qui n’ont pas de pouvoir pour décider des normes mais qui ont la possibilité de s’en accommoder sans trop en souffrir ;
  • Ceux qui subissent les normes et qui en souffrent (sans avoir la possibilité de trouver des accommodements pour moins en souffrir).

« La normalisation […] est l’usage de toutes sortes de techniques en vue de domestiquer ou de contraindre les conduites humaines à se conformer aux normes instituées. Il y a donc une ambivalence de la norme instituée. Elle peut générer le meilleur, le vivre-ensemble, mais elle peut aussi conduire au pire lorsqu’elle ne joue plus comme référence dans une délibération, mais comme diktat au service de la tyrannie. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 56)

La normalité en question

Sans fonder une théorie de la normalité, Freud s’y est intéressé pour distinguer un état psychologique pathologique d’un état normal et « ce qui fait obstacle à la normalité (névrose) » (p. 57).

Christophe Dejours refuse de se positionner dans les débats qui ont enflammé la scène intellectuelle des années 1970-1980. De nombreux intellectuels, comme Michel Foucault ou Guattari, critiquaient ce qui leur apparaissait comme une injonction sociale à la normalité. « Être normal » semblait constituer, selon eux, une forme de conformisme social proche de l’assujettissement et de la bêtise. Et pour eux, la psychanalyse participait de ce processus.

Christophe Dejours considère, de son côté, que la normalité est en réalité l’état à travers lequel un être humain tente de survivre dans un monde qui présente sans cesse des menaces pour sa santé psychologique et physique. La normalité n’est jamais définitivement acquise. La recherche de normalité est parcourue de tensions et faite de compromis que chacun doit accepter de réaliser : « compromis avec soi-même d’abord, avec l’autre ensuite, avec le monde enfin » (p. 59).

Normativité et normalisation dans les soins en psychiatrie

Christophe Dejours revient ici à la question de la norme qui est créée par les hommes qui vivent en société, c’est-à-dire de la norme instituée.

Les normes instituées sont nécessaires à la vie en société en tant qu’elles constituent des formes d’accords relativement stables entre les hommes. L’émancipation de chaque individu peut se faire si ce dernier a la possibilité de dialoguer avec d’autres et de contribuer « à la discussion et à la négociation de cette norme » (p. 61).

Si les normes sont imposées sans aucune possibilité de personnalisation et de discussion, la norme ne joue plus un rôle émancipateur. Elle participe plutôt d’un processus opprimant qui impose sans possibilité de personnalisation. « Débute le règne de la normalisation » (p. 61).

C’est ce qui se produit aujourd’hui, selon Christophe Dejours, dans le domaine de la santé en France. Lorsqu’il s’agit d’apporter un soin ou une prestation à quelqu’un qui se trouve en position de vulnérabilité et fragilité, l’application d’un standard uniforme se révèle très inadapté et inefficace. Cette normalisation des soins est contraire à « l’éthique du care » (p. 62) qui prône une adaptation concrète et pratique aux besoins singuliers d’un patient.

« C’est ainsi que la standardisation prônée au nom de la justice et de l’objectivité (de l’évaluation des performances) conduit inexorablement à la dégradation des soins dispensés par les institutions publiques ou privées. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 64)

La coopération mise à mal

Prenons le cas d’une équipe de travail dans un hôpital. Cette équipe est constituée de différentes personnes qui occupent des rôles professionnels différents : médecins, infirmiers, soignants, aides-soignants, secrétaires, femmes de ménage, personnel de sécurité, etc.

Les réunions d’équipe, auxquelles toutes les personnes participent, sont des moments importants et centraux pour la vie de l’équipe. Chacun doit faire remonter des situations particulières problématiques (concernant un patient ou autre).

Parfois les discussions peuvent mener à modifier ou ajuster des normes déjà existantes ou à en créer de nouvelles. C’est ainsi qu’un espace de délibération sur « la marche collective à suivre » émerge à partir des pratiques et que la coopération fonctionne.

Les règles qui régissent le travail collectif de l’équipe soignante sont ainsi singularisées, adaptées en fonction des :

  • Types de malades et de maladies ;
  • Personnalités et des expériences des membres de l’équipe soignante ;
  • Problématiques particulières qui surgissent de la pratique ;
  • « Doctrine de référence » (p. 66).

C’est à partir de ce constat de la réalité du travail lié aux soins et à la santé que Christophe Dejours soutient que la standardisation n’est pas adaptée car elle empêche la coopération. Le travail nécessite de conserver un espace de délibération collectif sur les règles techniques et de vivre ensemble.

Les stratégies de défense contre la souffrance

La standardisation, dans le domaine du soin, tend à faire disparaître les moments où les soignants peuvent partager les problèmes rencontrés. Les discussions collectives, les ajustements ou les modifications des règles et de l’organisation, ne sont plus permises.

N’ayant plus d’espace pour s’exprimer, plus de moyen d’être atténuée, la souffrance des soignants s’amplifie. Et pour respecter les exigences de standardisation, ils peuvent même être amenés à adopter des pratiques contraires à l’éthique du soin et irrespectueuses envers les malades.

C’est alors qu’une souffrance éthique naît à l’intérieur des soignants qui ne respectent plus, ni la déontologie de leur métier, ni leur propre sens moral.

Une histoire clinique

Christophe Dejours expose le cas d’une patiente qu’il a suivi en tant que médecin psychiatre.

La patiente est psychologue dans un centre de soins psychiatriques. Elle est très impliquée dans son travail au quotidien et assure plusieurs activités différentes (suivis individuels, animation de groupes de parole, formation de stagiaires, etc.).

Récemment une nouvelle direction a été mise en place. Les nouveaux dirigeants s’opposent aux principes de psychothérapie qu’elle met en œuvre dans ses activités. Ses conditions de travail sont mises à mal. Elle cherche à lutter pour défendre son métier, notamment à travers un syndicat de soignants. Et face aux difficultés rencontrées, elle finit par être victime d’un grave problème cardiaque.

Les transformations de l’organisation du travail

Dans le cas exposé, comment l’organisation du travail a-t-elle pu être si brutalement transformée au point même de mener à des démissions en cascade dans le centre de soins où travaille la patiente ?

En se basant sur le récit de sa patiente, Christophe Dejours reconstitue les différentes étapes de cette transformation.

Tout d’abord un nouveau directeur administratif formé aux principes du New Public Management a été nommé. Il a exigé que tous les services et tous les soignants se plient à des comptes rendus systématiques visant à fournir une traçabilité de tous les actes effectués. Ainsi chacun devait, par exemple, compter le temps passé avec chaque patient, consigner les actes réalisés en détail, attribuer des échelles et des indicateurs, ce qui est contraire au principe du secret médical.

En plus de rendre compte de tous les actes effectués dans les moindres détails, les soignants étaient sommés de chercher à optimiser les soins en réduisant les temps passés et en supprimant certaines activités.

Pour contraindre tous les soignants à adopter ces pratiques, deux nouveaux directeurs médicaux sont nommés successivement. Ils se montrent très autoritaires et assujettis à la nouvelle direction administrative. Des directeurs et des soignants de différentes unités démissionnent. Ils sont remplacés par des plus jeunes qui doivent accepter les directives imposées dès leur arrivée. Les pratiques liées à la psychanalyse et à la psychothérapie institutionnelle sont interdites au profit de thérapies cognitivo-comportementales.

La demande initiale

Au cours des séances, il apparaît alors que la patiente a souffert, dans son enfance, de mauvaises relations avec ses parents : une mère abusive, perverse et autoritaire, et un père fuyant. Son frère a développé une maladie mentale.

D’après l’analyse réalisée par la patiente elle-même, ces relations pathologiques avec les membres de sa famille proche expliquent en partie pourquoi elle a développé un goût pour l’aide aux autres et notamment aux malades mentaux.

Plaisir

Pendant trente ans, elle a alors exercé le métier de psychothérapeute avec dévouement. Elle a éprouvé un réel plaisir au travail dans sa pratique professionnelle. Elle a obtenu de la reconnaissance et de l’admiration de ses pairs. Cet engagement au travail a été également motivé par un lien avec les idées politiques de son père et de son grand-père, soutiens de la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ainsi, en exerçant si bien son métier de psychologue, la patiente réalisait un « travail de soi sur soi » (p. 82). Un processus de sublimation était à l’œuvre. Il était permis à la fois par la patiente elle-même et par l’organisation du travail.

Résistance

Tous ces éléments expliquent alors pourquoi elle a résisté avec force aux changements imposés par les nouvelles formes de management mises en place sur son lieu de travail. Elle ne pouvait pas envisager de dévoyer ses principes éthiques et moraux. De plus, elle a perdu « les jugements d’utilité et de beauté » (p. 83) formulés par ses collègues à propos de son travail, puisque les réunions collectives étaient désormais interdites.

« […] il n’existe que deux sphères d’accomplissement de soi : l’accomplissement de soi dans le champ érotique, et cela passe par l’amour ; et l’accomplissement de soi dans le champ social, et cela passe par le travail et la reconnaissance du travail par l’autre. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 83)

Finalement, la patiente trouve une voie de sortie en démissionnant de son poste et en réinvestissant un travail « vivant » au travers du militantisme.

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La solitude de la patiente

La patiente a également souligné un autre élément qui l’a fait souffrir : le fait que plusieurs collègues dont elle se sentait proche se soient ralliés du côté des nouvelles méthodes de management. Elle a le sentiment d’une trahison de l’œuvre commune qu’ils contribuaient tous à forger par leur engagement professionnel.

Les rapports au sein de l’équipe sont désormais marqués par la méfiance ; la coopération ne se fait plus. Le processus de sublimation – qui était aussi permis par la reconnaissance des autres et par la qualité des valeurs sociales – n’est plus possible. L’amour de soi, qui passait par ces éléments, s’effondre ouvrant ainsi la voie à une décompensation (ici un infarctus).

Christophe Dejours qualifie alors l’organisation du travail prônée par le New Public Management « d’antisublimatoire » (p. 86).

La trahison des autres

Comment se fait-il que certains semblent se ranger du côté des oppresseurs identifiés ici comme les nouveaux managers du centre de soins ?

Les oppresseurs pratiquent l’humiliation et le harcèlement. Ces pratiques instituent la peur et incitent certains à ne pas se rebeller quand bien même ils peuvent être en désaccord avec ces méthodes. De plus, le spectacle de ces pratiques peut même provoquer une forme de jouissance qui bloque toute forme de réflexivité sur ce qui est en train de se passer.

À ces techniques déstabilisatrices s’ajoute l’usage de formules toutes faites (sur l’état du monde par exemple) qui fonctionnent comme des justifications simples, des sortes de fatalités qui limitent le recours à une pensée personnelle.

Face à ces techniques, le psychisme d’un individu met en place des défenses pour tenter de limiter la souffrance éthique ressentie. C’est ainsi que « la folie de la norme » peut se développer. Sous couvert d’objectivité et d’efficacité, des normes sont instituées alors qu’elles conduisent à des pratiques contraires au sens éthique et déontologique.

« […] si nous [psychanalystes] souhaitons résister, cette résistance exigera de nous que nous élaborions ensemble des règles de métier capables de résister à la normalisation. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 93)

Chapitre 3 – Sublimation, clinique du travail et psychanalyse

La psychodynamique du travail a connu plusieurs phases de développement.

Dans l’entre-deux-guerres puis après la dernière guerre : elle était alors appelée « psychopathologie du travail ».

À partir des années 1980, on assiste à un renouveau. La discipline ne s’intéresse plus seulement aux maladies mentales liées au travail. Elle étudie les « ressources psychiques mobilisées par ceux qui parviennent à résister aux effets délétères des contraintes de travail et à demeurer dans la normalité » (p. 97).

Puis dans les années 1990, les chercheurs s’intéressent aussi « aux conditions spécifiques qui permettent d’accéder au plaisir au travail, voire à la construction de la santé mentale, grâce au travail » (p. 98). L’appellation « psychodynamique du travail » est alors retenue pour désigner ce champ de recherche riche et vaste qui croise plusieurs disciplines et questionnements.

Et depuis quelques années, les écoles de psychanalyse dans différents pays commencent à aborder la question du travail dans leurs discussions. Christophe Dejours soutient que c’est à partir d’une réflexion sur le processus de sublimation que la psychanalyse peut aborder les questions liées au travail.

Travail, activité et subjectivité

Le travail prescrit est défini par les définitions, les règlements, les modes d’emploi, les planifications. Lorsqu’un individu travaille, il est confronté à un ensemble d’éléments imprévus que le seul respect des procédures ne suffit pas à surmonter.

Pour accomplir, le travail demandé, il doit alors faire preuve de débrouillardise pour inventer des solutions. Il engage alors sa subjectivité, sa réflexion, son intelligence. Il est dans ce que l’auteur appelle « le travail vivant ».

C’est pourquoi le travail a un impact sur la santé mentale qui peut aussi bien être positif mais aussi très négatif.

Le travail vivant

Les imprévus rencontrés au travail sont de tout type de nature allant des dysfonctionnements d’ordre technique à des changements de directives ou d’engagements provenant d’autres personnes (hiérarchie, collègues, clients, etc.).

Face à cette « résistance du réel », le travailleur éprouve des affects qui peuvent être très variés :

« […] surprise, désagrément, agacement, irritation, déception, colère, sentiment d’impuissance, etc. Tous ces sentiments font partie intégrante du travail. Ils sont la matière première fondamentale de la connaissance du monde. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 102)

Quel que soit le type de métier exercé, un manque de sensibilité conduit à des maladresses ou des échecs. Par exemple, le travailleur va heurter un patient, ou bien le technicien ne va pas percevoir les signes annonciateurs de la panne.

L’échec et son acceptation font partie du travail. Ils permettent d’engager la réflexivité et l’ingéniosité nécessaires pour surmonter les difficultés.

L’intelligence du corps

Lorsque le travailleur est confronté à la résistance du réel, son corps – entendu à la fois comme cognitif et physique – « s’approprie » cette difficulté pour la déchiffrer et chercher une solution. Le philosophe Michel Henry parle de « corpspropriation du monde » (p. 103).

C’est dans la confrontation avec les difficultés du réel que le travailleur forme de nouvelles habiletés.

Lorsque le travailleur parvient à surmonter les difficultés et à trouver des solutions, à accomplir un travail bien fait, il ressent du plaisir. Ainsi, il se transforme aussi lui-même et transforme « la façon d’habiter son corps » (p. 105).

Christophe Dejours précise que ces considérations sur l’intelligence du corps s’adressent également à des métiers intellectuels. Tout être humain est habité par un corps qui ressent des affects lorsqu’il travaille ou échange le résultat de son travail en contact avec d’autres êtres humains.

Travail, coopération et activité déontique

Christophe Dejours distingue deux types d’organisation du travail collectif :

  • La coordination désigne l’organisation du travail prescrite ;
  • La coopération désigne l’organisation du travail effective.

En effet, la coopération implique, selon l’auteur, « un remaniement consensuel de l’organisation prescrite » (p. 106). À côté des règles prescrites par la coordination, les imprévus font naître des règles, nouvelles, ou bien issues des premières mais ajustées ou adaptées. Ces règles de coopération résultent de la recherche d’accords, de la confrontation des points de vue et des différentes manières de résoudre les problèmes pratiques qui surgissent.

Pour que le travail collectif se fasse, ces règles doivent revêtir un sens pratique et que le plus grand nombre les comprenne. Mais également, une confiance doit s’établir entre toutes les personnes qui travaillent ensemble. La convivialité doit être au rendez-vous pour assurer de bonnes relations entre les membres de l’équipe et un bon travail individuel et collectif.

Activité déontique, espace de discussion et identité

Pourquoi donc la plupart des travailleurs engagent de l’énergie pour résoudre les problèmes pratiques qui surgissent ? Pourquoi font-ils du zèle ?

Parce que, bien sûr, ils attendent une rétribution. Or cette rétribution n’est pas majoritairement matérielle ou financière. Toutes les études sur le sujet ont montré que les travailleurs attendent un retour symbolique sous la forme de reconnaissance.

Christophe Dejours distingue deux formes de jugement liées à la reconnaissance :

  •  Le jugement d’utilité – « porte sur l’utilité économique, sociale ou technique de la contribution fournie par un individu à l’organisation du travail » (p. 109). À travers le jugement d’utilité, l’individu accède à un statut, un salaire et des droits sociaux.
  •  Le jugement de beauté – « s’énonce toujours en termes esthétiques : c’est un beau travail […]. Il connote d’abord la conformité du travail accompli avec les règles de l’art, les règles du métier » (p.109). Cette reconnaissance par les pairs peut être énoncée sous la forme d’un jugement de conformité ou d’originalité.

Ces deux jugements – utilité et beauté – portent d’abord sur la qualité du travail réalisé. Par ce biais, ils ont également un impact sur l’identité du travailleur qui reçoit ces jugements.

Christophe Dejours précise ainsi qu’il y a deux niveaux dans la sublimation :

  •  La corpspropriation qui est un niveau intrasubjectif ;
  •  La reconnaissance accordée par les autres.

Une nouvelle méthode d’organisation du travail : l’évaluation individualisée des performances

L’évaluation individualisée des performances est une nouvelle méthode d’organisation mise en place dans les entreprises privées et le service public.

Cette méthode défend l’idée que les résultats du travail de chacun sont mesurables individuellement. Or le travail est aussi collectif et les résultats dépendent de la contribution de chacun et des engagements des uns et des autres. Les résultats de l’évaluation des performances sont donc souvent erronés et peuvent conduire à des sentiments d’injustice.

De plus, cette méthode a des effets délétères sur les relations qu’entretiennent les membres d’une équipe et donc sur la coopération et le vivre-ensemble. Elle fait émerger des sentiments négatifs comme la peur et la méfiance et entraîne une mise en compétition des salariés entre eux. La solidarité et l’entraide tendent à disparaître et l’isolement à s’étendre. Dans ce contexte, les effets du harcèlement – phénomène qui a toujours existé – se font encore plus ressentir.

L’ensemble de ces transformations conjointes détériorent le rapport subjectif au travail et la santé mentale.

La souffrance éthique

« C’est dans ce contexte troublé que certains travailleurs en viennent à accepter de mettre leur zèle au service d’objectifs que leur sens moral réprouve. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 114)

Christophe Dejours cite les techniques de mensonge et de manipulation qui sont le plus souvent, non seulement utilisées, mais même prescrites par le management pour atteindre les objectifs de chiffre d’affaires fixés par la direction. Ces duperies peuvent concerner tout à la fois des clients, des patients, des usagers de service public, des collègues, des subordonnés, etc.

Ces pratiques, contraires à l’éthique, entraînent alors un sentiment de malaise pour celui qui en est victime mais également pour celui qui en est l’instigateur. L’auteur parle de « souffrance éthique ». L’estime de soi et l’identité sont mises à mal.

L’auteur souligne que les suicides sur les lieux de travail sont apparus récemment en France, en 1995. Leur augmentation est indéniablement liée à celle de la souffrance éthique qui se trouve amplifiée chez les collaborateurs les plus impliqués dans leur travail.

Travail vivant et théorie sociale

Historiquement, le travail n’a jamais été que production. Le travail est aussi marqué par la culture et les valeurs sociales de ceux qui le produisent.

Travail et relations sociales

Le travail est ainsi fondamental pour garantir de bonnes relations de transmission et de coopération entre les hommes.

« […] Il n’y a pas de neutralité du travail vis-à-vis du vivre-ensemble. Ou bien le travail, via l’activité déontique, fonctionne comme un moyen puissant de créer, de transmettre des liens sociaux de coopération, ou bien il détruit ces liens sociaux et fait surgir ‘la désolation’. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 118)

À travers l’entente et la délibération, les êtres humains cherchent à s’organiser, à dépasser la violence et leurs pulsions pour s’orienter vers la production d’« œuvres communes » (p. 118) utiles à la société.

Les composantes de la sublimation dans le travail

Pour conclure ce troisième chapitre, Christophe Dejours rappelle les trois composantes de la sublimation dans le processus de travail. Il y a rapport à :

  • Soi, c’est la « corpspropriation » ;
  • L’autre, reconnaissance et renforcement de l’identité ;
  • La culture.

La sublimation, orientée par des méthodes et des buts éthiques, joue un rôle central pour la santé mentale. Elle permet de renforcer la sensibilité du corps et l’amour de soi.

Certains modes d’organisation du travail sont antisublimatoires. Ils empêchent le processus de sublimation de bien se faire. C’est le cas, par exemple, du taylorisme et de l’évaluation individualisée des performances. Ils entraînent une détérioration de la santé mentale des travailleurs.

Chapitre 4 – La psychanalyse est un métier

Les psychanalystes ne sont pas tous d’accord entre eux sur la manière de désigner leur activité professionnelle. Nombreux sont ceux qui réfutent les termes de « métier » et de « technique ».

Christophe Dejours cite Freud qui « utilise beaucoup le terme de technique » (p. 125) dans son texte « Remémoration, répétition, perlaboration ».

Les lecteurs de cet article ont également lu :  Vivre - La psychologie du bonheur

La méthode

Pour Freud, la méthode centrale de la psychanalyse exige, pour le patient, un travail d’association libre des idées, d’interrogation autour des actes manqués, des mots utilisés à la place d’autres (méprises), des objets égarés.

En retour, l’analyste doit faire preuve d’une attention « en suspens » (p. 128).

Pour encourager cette méthode, Freud a défini un ensemble d’indications :

  • Le patient s’allonge sur le divan ;
  • L’analyste s’allonge sur un fauteuil situé derrière le divan ;
  • Les séances doivent être régulières ;
  • Le psychanalyste intervient avec parcimonie pour aider le patient à réfléchir « aux obstacles qui s’opposent à la libre association et analyser la résistance » (p. 129).

Le corps

Le corps d’un être humain est marqué socialement. La culture et la classe sociale ne se transmettent pas seulement verbalement mais elles s’impriment aussi dans les corps. Christophe Dejours cite le célèbre article de l’anthropologue Marcel Mauss, publié en 1934, et intitulé « Les techniques du corps ».

La séance de psychanalyse met en présence deux corps : celui du patient et celui de l’analyste. Le dispositif divan-fauteuil vise à atténuer les effets de la co-présence des deux corps sur le cheminement du patient.

« […] la position allongée sans possibilité de voir l’analyste favoriserait la régression et la libre association chez le patient ; la position assise à l’abri du regard du patient favoriserait l’attention en égal suspens chez l’analyste. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 131)

Cependant les effets de la co-présence des deux corps et des réactions physiques de chacun ne s’effacent jamais totalement. Ce qui amène l’auteur à s’interroger sur la pertinence des médiations à distance (téléphone, vidéos) auxquelles certains analystes ont recours.

La règle

Christophe Dejours énonce ici certaines « règles » contenues dans l’article de Freud de 1912 : « Conseils au médecin dans le traitement psychanalytique ».

Parmi celles-ci, il convient de rester comme « en surface » de ce que dit le patient, et ainsi de se concentrer pour l’aider à analyser les nœuds et les résistances qui émergent de sa parole.

Une autre règle consiste à « protéger le malade du préjudice qu’il encourrait en exécutant ses impulsions » (p. 133).

L’analyste doit également laisser le patient se confronter à ses propres résistances et ses propres nœuds sans chercher à avancer des interprétations ou des conseils trop rapides.

Règle de métier

Christophe Dejours parle ici de son expérience en tant que psychanalyste. Comment faut-il considérer les règles énoncées par Freud ?

Tout d’abord, il rappelle qu’aucune règle, même dans l’armée, ne s’applique jamais strictement. Tout simplement parce qu’elle se heurte aux difficultés et aux imprévus du réel et qu’il faut donc composer pour parvenir à réaliser la tâche à accomplir.

Le psychanalyste, quant à lui, va être amené à modifier sa compréhension des règles au fur et à mesure de l’évolution de son expérience professionnelle. Certaines règles sont aussi destinées à être contestées et à évoluer notamment en fonction du contexte historique.

« Toute règle fonctionne comme un repère, une référence, et respecter une règle cela consiste à emprunter un chemin qui festonne autour de la règle. » (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 135)

Transmission de la technique analytique

La transmission de la technique analytique se fait par la supervision d’un analyste confirmé sur la pratique d’un analyste en formation. L’analyste en formation commence par s’approprier les règles puis il les traduit et les retraduit en fonction de sa pratique face aux patients.

Christophe Dejours considère que l’analyste en formation doit être libre de pouvoir s’approprier et de mettre en œuvre la technique de façon personnalisée. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de règle ou que toute règle est valable.

Chaque analyste doit ainsi :

  • Pouvoir « expliciter l’usage qu’il fait de la technique » ;
  • « Justifier les écarts qu’il est amené à faire dans telle ou telle circonstance par rapport à la technique » (p. 137).

Les psychanalystes et étudiants doivent se réunir régulièrement pour discuter des techniques et de leurs évolutions.

Le « principe »

Christophe Dejours met ici en avant le « principe de refusement » qui est central chez Freud.

Le « refusement » consiste pour le psychanalyste à refuser au patient (p. 139) :

  • De lui apporter de l’aide ou de l’amour face à sa souffrance ou à sa demande ;
  • De lui donner des conseils ou des solutions sur ses choix ou décisions à prendre.

Tant que l’analyste perçoit que le patient a la capacité de cheminer pour formuler ses propres réponses, il doit le laisser faire.

Dejours rappelle que le refusement est un principe difficile à tenir face à la souffrance du patient qui court aussi le risque, pendant la phase de cheminement, de décompenser ou de somatiser.

Conclusion. Menaces sur la culture

Christophe Dejours a voulu, dans cet ouvrage, étudier les conditions matérielles et sociales qui rendent possible la sublimation et son rôle dans les actes quotidiens de travail. Il a mis en valeur l’intelligence du corps qui se révèle dans la confrontation à la résistance du réel.

Ces questionnements viennent de la psychodynamique du travail. Cette discipline s’est intéressée aux « travailleurs d’en bas ». Les chercheurs ont alors découvert que la sublimation se révèle même dans les plus petits actes de travail.

La Kulturarbeit de Freud

Christophe Dejours regrette que la psychanalyse ne s’intéresse pas davantage à la question du travail. En réalité, toutes les disciplines des sciences humaines ont tendance à dévaloriser les questions liées au travail et n’abordent pas le « travail vivant ».

Freud cependant a développé un concept intéressant. Kulturarbeit est difficile à traduire en français : travail culturel, travail de culture, travail de la culture. Dejours expose les commentaires de plusieurs auteurs autour de ce concept. Mais force est de constater que le concept de « travail » ou « travailler » reste absent des réflexions entourant le Kulturarbeit. Pourtant c’est à travers le « travail vivant » nous dit Dejours que la sublimation et la production sont possibles.

L’importance du dialogue et de la saine coopération

Finalement, Christophe Dejours rappelle l’importance du dialogue entre différents partenaires impliqués dans les questions relatives au droit du travail (législateur, magistrat, public, recherche scientifique, etc.).

Pour garantir la bonne santé psychique du plus grand nombre, il est essentiel de maintenir ou d’inventer des modes d’organisation du travail qui permettent au travail vivant et à la coopération de se faire dans des bonnes conditions.

« Lorsque ces liens [de coopération] sont tissés, ils donnent accès à ce plaisir très particulier de sentir qu’on participe à une œuvre commune et, au-delà, à la transcendance de l’ordre individuel au profit de la culture et de la civilisation. Dans ce plaisir une place importante revient au pouvoir des liens de coopération de révéler, en chacun et en tous, ce qu’il y a de meilleur dans l’être humain ». (Ce qu’il y a de meilleur en nous, p. 169)

Conclusion sur « Ce qu’il y a de meilleur en nous. Travailler et honorer la vie » de Christophe Dejours :

Un livre qui propose une réflexion puissante sur la notion de plaisir au travail :

L’auteur, Christophe Dejours, est psychiatre, psychanalyste et psychologue. Ses centres d’intérêt, son expérience professionnelle et ses recherches l’ont amené à accorder, depuis de nombreuses années, une place centrale au travail.

Il propose dans cet ouvrage une réflexion autour du processus de sublimation qui serait à la source des sensations que l’on ressent en travaillant.

Ce livre nous permet de mieux comprendre ce qui, dans le travail, peut être à l’origine de souffrance ou de plaisir. Enfin, il nous invite également à réfléchir aux conditions matérielles et sociales qui contribuent à ces processus.

Ce qu’il faut retenir de « Ce qu’il y a de meilleur en nous. Travailler et honorer la vie » de Christophe Dejours :

La sublimation est un processus à travers lequel l’être humain dirige des pulsions vitales et sexuelles vers des activités orientées vers d’autres buts, comme le travail. Ce processus devient possible puisque l’être humain est bien sûr un être vivant qui mobilise tout son corps – et donc ses affects et ses émotions – dans l’acte de travail.

Les difficultés et les imprévus rencontrés lorsqu’on travaille font émerger l’intelligence du corps qui doit composer pour trouver des solutions. La satisfaction ressentie face au travail accompli et la reconnaissance obtenue par les pairs participe à forger une bonne estime de soi.

Ainsi, la psychodynamique du travail, dont Christophe Dejours est un fondateur, s’est intéressée de près à ces phénomènes qui peuvent se produire dans les plus petits actes de travail ordinaire.

En effet, garantir une bonne coopération et des possibilités de délibération autour des normes qui régissent les actes de travail est un enjeu central de nos sociétés modernes. Ces processus sont alors essentiels pour assurer la bonne santé mentale des travailleurs et la réussite du travail lui-même. Dejours soutient d’ailleurs qu’un renforcement d’un dialogue avec la psychanalyse peut enrichir ces réflexions.

Points forts :

  • Une réflexion passionnante autour du lien entre sublimation et travail vivant ;
  • Des références scientifiques solides ;
  • Des exemples tirés à la fois de la pratique professionnelle de l’auteur et de sujets d’actualité.

Point faible :

  • Des termes scientifiques et techniques parfois un peu compliqués mais qui participent à la richesse de la réflexion de l’auteur.

Ma note :

Le petit guide pratique du livre Ce qu’il y a de meilleur en nous de Christophe Dejours

Quels sont les grands axes du livre Ce qu’il y a de meilleur en nous de Christophe Dejours ?

  • Souffrance au travail
  • Plaisir au travail

Foire Aux Questions (FAQ) du livre Ce qu’il y a de meilleur en nous de Christophe Dejours

1. Comment le public a accueilli le livre Ce qu’il y a de meilleur en nous de Christophe Dejours ?

Le livre a très bien été accueilli par le public avec 100% d’avis positifs sur Amazone.

2. Quel fut l’impact du livre Ce qu’il y a de meilleur en nous de Christophe Dejours ?

Dans son livre Christophe Dejours explique tout sur le travail et comment on met de soi-même dans le travail pour que ça marche. Les lecteurs apprécient les règles et étapes à suivent dans le livre pour changer la souffrance en plaisir dans le travail.

3. À qui s’adresse le livre Ce qu’il y a de meilleur en nous de Christophe Dejours ?

Ce livre ne s’adresse pas qu’aux génies, mais à tous ceux qui désirent travailler pour le plaisir et avec plaisir.

4. Quelles sont les différentes disciplines des sciences humaines qui participent au débat sur les questions liant travail et souffrance ?

  • Ergonomie
  • Médecine du travail
  • Sociologie du travail
  • Anthropologie des techniques
  • Sociolinguistique
  • Économie du travail
  • Sociologie de l’éthique
  • Psychiatrie phénoménologique
  • Histoire sociale

5. Quelles sont les deux fonctions de la sublimation pour les adultes ?

  • Le désir de savoir
  • La pulsion de recherche

Les types d’organisation du travail collectif vs Les formes de jugement liées à la reconnaissance

Types d’organisation du travail collectifFormes de jugement liées à la reconnaissance
La coordination désigne l’organisation du travail prescriteLe jugement d’utilité
La coopération désigne l’organisation du travail effectiveLe jugement de beauté

Qui est Christophe Dejours ?

Christophe Dejours : Auteur du livre ce qu'il y a de meilleur en nous

L’auteur Christophe Dejours est un psychiatre et psychanalyste français. Il est le fondateur de la psychodynamique du travail.
Ses thèmes de prédilection sont l’écart entre travail prescrit et réel, les mécanismes de défense contre la souffrance, la souffrance éthique, la reconnaissance du travail et du travailleur.
Dejours est aussi professeur titulaire de la chaire de psychanalyse-santé-travail au Conservatoire national des arts et métiers et directeur du laboratoire de psychologie du travail et de l’action.

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