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Résumé de « Pour une résistance oisive. Ne rien faire au XXIe siècle » de Jenny Odell : un best-seller anticonformiste qui a plu même au président des États-Unis, Barack Obama ! À lire pour se déconnecter et pour réfléchir aux conséquences de nos vies numériques sur nos habitudes de vie.
Jenny Odell, 2021, 311 pages.
Titre original : How to Do Nothing : Resisting the Attention Economy (2019)
Chronique et résumé de « Pour une résistance oisive. Ne rien faire au XXIe siècle » de Jenny Odell
Qui est Jenny Odell et comment a été reçu son livre « Pour une résistance oisive » ?
Jenny Odell est une artiste visuelle états-unienne, spécialisée dans le numérique. Elle est aussi professeure d’arts à l’université de Stanford et diplômée de littérature anglophone. Pour en savoir plus à son sujet, ainsi que sur ses écrits et ses projets, vous pouvez découvrir son site internet.
La parution de son premier livre en 2019, « How to Do Nothing: Resisting the Attention Economy », traduit en français par « Pour une résistance oisive. Ne rien faire au XXIe siècle » (2021) a été un véritable événement aux États-Unis. Surtout après les quelques mots prononcés par Barack Obama à son sujet !
Depuis, l’auteure continue à créer des installations artistiques, à enseigner et à écrire. Elle a notamment écrit « Saving Time: Discovering a Life Beyond the Clock » sorti en 2024. Jenny Odell a aussi rédigé de nombreux articles sur le sujet de la culture de la productivité et de l’écologie à l’ère du numérique (voir son site internet pour plus de détails).
Jenny Odell est issue d’une mère originaire des Philippines et d’un père états-unien. Elle se dit à l’aise avec cette double identité, qui lui permet d’être « entre les deux », à la fois un pied dans la culture occidentale et un pied en dehors. Elle a grandi à Cupertino (siège de Apple) et vit actuellement à Oakland.
Comme nous allons le voir, ces informations sur ses origines ne sont pas anecdotiques. Elle considère qu’il est très important de se relier aux lieux où l’on vit pour sortir de l’emprise des réseaux sociaux et apprendre à mieux les utiliser.
Entrons donc dans le détail de ses propositions !
Introduction. Survivre à l’utilité
À l’heure des réseaux sociaux et de l’hyperstimulation permanente, « rien n’est plus difficile que de ne rien faire », dit Jenny Odell. Cette connexion constante au numérique a des conséquences au niveau :
- Individuel = nous en oublions de penser le sens de notre vie.
- Collectif = résolution de problèmes complexes via des discussions.
- Culturel = perte de goût pour « le nuancé, poétique, ou le non directement intelligible ».
Alors, que faire ?
« Ce livre se donne pour objectif de trouver les moyens de conserver cette place sous le soleil. C’est un guide pratique pour ne rien faire compris comme acte de résistance politique à l’économie de l’attention. »
(Pour une résistance oisive, Introduction)
Son hypothèse est simple : « et si les gens et choses qui nous entourent suffisaient, et se suffisaient à eux-mêmes ? » En nous détournant du numérique, nous apprenons à revenir à des liaisons plus profondes. « La réalité augmentée pourrait-elle tout simplement signifier de poser son téléphone ? », demande-t-elle.
Sa thèse n’en est pas pour autant antitechnologique. Son problème, c’est avant tout la logique marchande attachée à l’économie de l’attention, ainsi que le culte de l’individualisme.
Pour nous faire comprendre les enjeux de son livre, elle utilise la métaphore de l’arbre Old Survivor, qui nous enseigne :
- la résistance (il est trop tordu pour être utilisé comme bois de menuiserie) ;
- le témoignage et la mémoire, c’est-à-dire l’enracinement dans le passé dont le présent dépend.
Pour l’auteur, Old Survivor permet de penser une « résistance-en-place » qui implique :
- Un refus du cadre de référence (se soumettre aux usages du numérique, par exemple) ;
- Une volonté de sortir des logiques de pensées identitaires (repli nationaliste, etc.) ;
- La reconnaissance d’une subjectivité qui change avec le temps.
Pour parvenir à penser et à agir autrement Jenny Odell propose d’abord de se désengager, c’est-à-dire de s’arracher à l’économie de l’attention. Ensuite, et en fait dans le même temps, il est nécessaire de se réengager, c’est-à-dire se relier autour d’autres choses.
Dans ce double mouvement, l’auteur puise une grande Inspiration dans le biorégionalisme créé par Peter Berg dans les années 1970. Pour elle, il s’agit de résister aux effets dévastateurs du numérique en ayant recours à l’écologie. Nos esprits, comme la nature elle-même, ont été saccagés et pillés.
Jenny Odell termine l’introduction en reconnaissant que son livre a une « drôle de forme », à la fois :
- Invitation à la promenade ;
- Manuel activiste ;
- Guide de développement personnel.
À vous de voir par quel « bout » vous prendrez l’ouvrage !
Chapitre 1. Le bien-fondé du rien
Ne rien faire, qu’est-ce que c’est ? C’est laisser un temps libre pour la découverte et l’attention aux choses oubliées. C’est aussi laisser au temps le temps de faire son œuvre, c’est-à-dire de nous transformer.
Jenny Odell parle de son art et de celui d’autres artistes comme de la création d’un espace ouvert pour l’observation, la contemplation ou l’attention. Pour laisser, comme elle dit, « les histoires grouiller ».
Concrètement, elle trouve souvent ce temps lorsqu’elle se rend dans une roseraie près de chez elle. Ou lorsqu’elle observe (et écoute !) les oiseaux — l’une de ses activités préférées.
Pour l’auteure, cette pratique amateure d’observation ornithologique va à l’opposé de la recherche en ligne, puisqu’on « ne peut pas le débusquer et le forcer à s’identifier à nous ». Les chants des oiseaux s’apprennent et, quand nous les connaissons, ils nous deviennent familiers, comme des langues que nous parlons.
Ces moments et ces lieux (car les deux vont de pair) sont « des refuges ». Quelque chose de nouveau peut se révéler, un changement peut s’opérer. Nous nous surprenons à faire davantage attention aux autres et non seulement à nous-mêmes, on devient aussi plus conscient de nos propres forces et faiblesses.
Autocritique de l’auteure : privilège lié à ce pouvoir de ne rien faire. Réponse : elle trouve dans le syndicalisme la même idée de jouir du temps libre pour son propre plaisir.
Le temps, comme l’espace, est colonisé par l’idéologie de l’efficacité et de la rapidité. Nous perdons en même temps des espaces publics (parcs, bibliothèques) et le temps pour ne rien faire (moments de pur vagabondage ou de repos).
Avec les outils numériques, le travail s’immisce partout. Le travail et le hors travail fusionnent. Par ailleurs, nous sommes submergés d’informations et de fausses informations, sans plus être capables de faire le tri.
En réalité, le bavardage sur les réseaux sociaux est savamment entretenu par les dirigeants des plateformes pour des raisons financières. Eh oui, car c’est en maximisant notre taux d’engagement que celles-ci peuvent construire nos profils et les vendre aux plus offrants.
À l’opposé, ne rien faire est un processus actif d’écoute. Celui-ci permet de :
- Se réparer, c’est-à-dire prendre soin de soi ;
- D’écouter avec une sensibilité corporelle renouvelée et donc de faire davantage preuve d’empathie ;
- S’immuniser contre les discours de la croissance infinie pour reconnaître que nous sommes des animaux terrestres.
Jenny Odell aborde enfin la question de la vie éternelle souhaitée par les transhumanistes (dans la veine de Elon Musk) et leur oppose une prise en compte de la finitude humaine en sortant du temps productif.
Chapitre 2. L’impossibilité d’une retraite
Peut-on s’extraire de façon permanente du monde de la productivité ? Ou, dans le même ordre d’idée, la « détox numérique » est-elle une voie prometteuse ?
L’auteure analyse ici plusieurs formules, depuis les aventures communautaires des années 1960 jusqu’aux tentatives plus récentes de gourous plus ou moins millionnaires et proches de la Silicon Valley — en passant même par le Jardin d’Épicure, qui sert de modèle racine (pas toujours conscient) à toutes ces initiatives.
L’auteure montre que les utopies qui cherchent à se constituer à partir d’une « table rase du passé » échouent. Elle montre en particulier que/qu’ :
- Celles-ci procèdent de la volonté de s’extraire du politique ;
- Il y règne souvent des tensions autoritaires qui règnent dans les communautés qui se créent en dehors de la société.
- La reproduction des inégalités et des préjugés qui s’y développent.
Les tentatives utopistes des années 60 ont échoué. Et il en va de même des tentatives techno-utopistes telles que celle de Pascal Thiel dans les années 2000. Plus généralement, la volonté de coloniser les nouveaux espaces (cyber, interstellaire, eaux internationales) pour créer une société « nouvelle » sont à considérer avec circonspection.
Pour Jenny Odell, nous avons une responsabilité, à savoir nous inscrire dans la communauté politique réelle, plutôt que fuir pour se mettre à l’écart. Au lieu de vouloir fonder une communauté parfaite et homogène, il s’agit d’accepter et d’explorer le hasard lié à la « pluralité d’agents » qui compose toute société.
À la place de ces utopies — qui demeurent néanmoins des idéaux intéressants —, l’auteure envisage plutôt une résistance à l’intérieur même de la ville ou de la « cité ». Elle reprend en particulier à un auteur anarchiste catholique l’idée d’associer contemplation et action, fuite et participation.
Autrement dit, elle se demande non pas s’il faut participer à la vie publique (sa réponse est oui), mais comment. Et sa réponse est ce qu’elle nomme un « refus-sur-place », un genre de retraite dans l’enceinte même de la société.
Ne pas succomber à la tempête médiatique, qui ne produit que du bruit — et ne pas en produire davantage (en produisant des posts qui n’ont aucun effet réel, sinon celui d’enrichir la plateforme).
« Une forme de réaction hybride est nécessaire. Nous devons être en mesure de faire les deux : contempler et participer, partir et toujours revenir, là où l’on a besoin de nous. (…) Dans la foulée, je suggère autre chose à la place du langage de la retraite ou de l’exil. Une simple disjonction que j’appellerai « se tenir à l’écart ». »
(Pour une résistance oisive, Chapitre 2. L’impossibilité d’une retraite)
Ce « tenir-à-l’écart » implique :
- Ne pas fuir ce qui nous pose problème mais le connaître ;
- S’octroyer une posture critique ;
- Se laisser la possibilité de construire un autre monde, mais « dans » celui-ci.
Voyons maintenant comment elle compte mettre plus concrètement ce plan à exécution.
Chapitre 3. Anatomie d’un refus
Jenny Odell évoque dans ce chapitre plusieurs performances d’artistes contemporains. Chacune d’elle met en scène le refus d’une norme, telle que travailler ou encore marcher rapidement dans la rue. Elle montre que ces gestes artistiques permettent de voir ce qui reste d’habitude caché et « évident » :
« Depuis l’intérieur des cycles de comportements admis, de tels refus produisent des ramifications étranges qui ne s’oublient pas de sitôt. » (p. 111)
(Pour une résistance oisive, Chapitre 3. Anatomie d’un refus)
L’auteure rapporte ensuite plusieurs histoires, dont celle de Diogène le cynique. Elle dit à son propos qu’il était comme un artiste contemporain, cherchant par son attitude à provoquer et à attirer l’attention sur l’inertie des autres citoyens.
Diogène a le grand mérite, selon elle, de nous montrer que le refus est non seulement possible, mais aussi qu’il est possible de refuser tout en restant dans la société. Quand il accepte de participer à la cité, Diogène le fait « à sa mode ».
C’est ce que Jenny Odell appelle la création d’un « tiers espace » : ni exclusion, ni pure et simple inclusion, mais rapport critique et ouvert aux façons de vivre en société (au-delà de ce que celle-ci nous impose).
Elle trouve également un exemple en Bartelby le scribe, un personnage d’une nouvelle de Herman Melville. « Non seulement il n’obtempère pas ; il refuse les termes mêmes de la question », rappelle-t-elle.
Le scribe sape l’autorité en habitant un « tiers espace ». Le fait-il par simple caprice ou de façon irraisonnée ? Non ! Bartelby agit de façon volontaire, studieuse et disciplinée. Voluntate, studio, disciplina (Cicéron) : telle est la règle d’action qu’il faut se donner lorsque nous voulons agir ainsi.
En effet, pour Jenny Odell, « ne rien faire » est une tâche difficile. Il faut avoir la force de s’opposer aux coutumes et à nos propres inclinations. C’est un exercice d’endurance sociale. Pour illustrer ce point, l’auteure cite finalement Henri Thoreau, le philosophe états-unien qui fonda les principes de la désobéissance civile outre-Atlantique.
De tels refus sont possibles, tant au niveau individuel que collectif. Or, ils impliquent une tension vers un but et — donc — de l’attention. Sans attention, sans concentration, il est impossible d’agir ou de penser, que ce soit seul ou ensemble.
Tous les actes d’activisme véritables et qui ont eu du succès (comme les actions contre la ségrégation raciale, par exemple) avaient été pensés, soigneusement réfléchis. Bien sûr, il n’est pas donné à tout le monde d’avoir le temps ou les ressources pour refuser d’agir de façon conformiste.
Il existe des différences culturelles, sociales et économiques qui pèsent sur les individus et les empêchent de modifier leurs comportements. Mais si nous cultivons l’attention au quotidien, nous pouvons néanmoins y parvenir.
Chacun, à son niveau, peut agir. Et, petit à petit, les marges peuvent grandir et se rassembler. pour transformer la société dans son ensemble.
Chapitre 4. Exercices d’attention
L’auteure cherche ensuite — dans ce chapitre, ainsi que dans toute la suite de l’ouvrage — des manières de réorienter son attention. Les artistes, notamment, sont particulièrement importants. Pourquoi ? Car ils nous aident à changer nos manières de percevoir et de nous relier au monde.
Jenny Odell s’intéresse par exemple à l’œuvre des artistes David Hockney (peintre) et à celle de John Cage (musicien), pour ne citer que les plus célèbres. Elle montre à chaque fois comment ces artistes invitent à regarder le réel autrement, soit en :
- Montrant des détails qui n’apparaissent pas d’habitude (Hockney) ;
- Ouvrant un espace d’écoute pour des sons que nous négligeons au quotidien (Cage).
En réalité, nous pouvons reproduire ces expériences dans notre expérience de tous les jours. C’est par exemple ce que cherche à faire la méditation de pleine conscience. En ouvrant un nouvel espace pour notre attention, nous changeons la façon dont nous voyons le monde et nous rapportons à notre milieu.
À ce propos, l’auteure prend aussi l’exemple de sa ville natale : Cupertino, siège d’Apple. Elle met en scène deux réalités :
- D’un côté, l’uniformité de la ville, son absence d’aspérité et le bâtiment type « vaisseau spatial » d’Apple ;
- De l’autre, ce qu’elle a été capable d’y redécouvrir (le nom des arbres et des animaux, des montagnes, l’existence de ruisseaux qui zèbrent la géographie, etc.).
Pourquoi chercher à réorienter ainsi son attention en s’inspirant des artistes et de la nature ? Eh bien, dit Jenny Odell, d’abord parce que c’est amusant ! Cela comble notre besoin de curiosité. Ensuite, elle affirme que c’est un moyen de se dépasser soi-même en s’ouvrant vers l’extérieur.
Pour avancer dans sa réflexion, elle utilise une distinction philosophique entre « Je-Cela » et « Je-Tu » :
- Je-Cela (regard uniformisant qui prend toute chose pour un moyen à utiliser) ;
- Je-Tu (regard singulier sur une réalité que nous cherchons à envisager depuis sa perspective propre).
L’auteure s’intéresse également aux sciences. Elle aborde la question de la cécité inattentionnelle.
« Les chercheurs (Arien Mack et Irvin Rock) suggèrent que l’attention est une clé qui ouvre la porte qui divise la perception inconsciente… de la perception consciente. Sans cette clé de l’attention, il n’y a tout simplement pas de prise en compte du stimulus. »
(Pour une résistance oisive, Chapitre 4. Exercices d’attention)
Ceci explique notamment le sentiment d’étrangeté de découvrir des choses dans notre entourage qui ont pourtant toujours été là. Par ailleurs, ce phénomène apparaît dans nos préjugés et la façon dont nous agissons en fonction d’eux sans nous en rendre compte.
Comment s’en défaire ? Eh bien une formation, par exemple, peut être une « clé d’attention » qui nous fait découvrir que nous avions l’habitude d’agir de telle ou telle façon et que nous pouvons en changer.
Bien sûr, la discipline est nécessaire pour maintenir l’attention et changer d’habitudes. L’auteure signale aussi l’importance de trouver du nouveau dans le même pour garder son attention fixée sur un objet.
Ces liens entre volonté, attention et discipline sont mis à mal par l’économie de l’attention, notamment via les techniques de persuasion issues du marketing digital. Même lorsque celui-ci se veut « éthique », il n’est pas dit que cela suffise, car il nous prive de notre capacité à décider par nous-mêmes.
Au lieu de cela, il serait préférable, selon Jenny Odell, de considérer les différentes formes d’attention dont nous sommes capables et chercher à travailler ses formes plus profondes et robustes. En réhabituant notre esprit à être attentif et concentré, nous enrichissons notre expérience humaine.
L’auteure se tourne résolument vers les autres et vers la nature pour « travailler son attention ». Et elle dit même utiliser des applications mobiles pour l’y aider, comme iNaturalist par exemple. Cette application n’est pas une panacée, mais l’aide à faire les premiers pas pour se reconnecter à ce qu’elle avait oublié.
Petit à petit, en observant et en vous intéressant à un sujet, vous apprenez « la langue » d’autres êtres et vous commencez même par les remarquer malgré vous : le changement devient irréversible !
« Les séquoias sempervirens, les chênes, les buissons de mûres ne seront plus jamais « des tas de plantes ». Même si je le voulais, un tohi ne pourrait plus jamais être un simple « oiseau ». En vertu de quoi ce lieu ne peut plus être n’importe quel lieu. »
(Pour une résistance oisive, Chapitre 4. Exercices d’attention)
Chapitre 5. Écologie des inconnus
Ce n’est souvent que lorsque quelqu’un est dans l’urgence que nous retrouvons les liens de communauté qui sous-tendent toute la société. Nous venons en aide à autrui presque sans réfléchir, car nous nous sentons responsables les uns des autres.
Et si nous acceptions de nous décentrer plus souvent pour prendre en compte les exigences de la vie de l’autre ? Et si nous acceptions de ne pas nous offusquer trop vite ? S’éloigner du « réglage par défaut » égocentrique de nos existences pour faire une place à l’autre en tant que personne. En voilà une bonne idée !
Mais autant le savoir d’emblée : ce n’est pas si facile. C’est un choix et une discipline de parvenir à agir de façon attentive et altruiste au quotidien. Aller à la rencontre de l’autre dans une « relation Je-Tu » ne va pas (ou plus) de soi et demande donc un effort conscient.
Jenny Odell plaide pour que nous nous rencontrions davantage et notamment dans les espaces communs qui nous réunissent, comme les quartiers où nous vivons. Connaissez-vous vos voisins ? Et le boulanger du coin ?
« Comparée aux algorithmes qui nous recommandent des amis sur la base de leurs qualités utilitaires […], la proximité géographique est différente, en ce qu’elle nous place à côté de gens dont nous n’avons pas de raisons utilitaires « manifestes » de nous préoccuper […]. Je suggère ainsi plusieurs raisons qui nous incitent non seulement à en tenir compte, mais aussi à nous préoccuper et à partager une réalité, les gens qui vivent autour de nous étant exclus de nos bulles de filtres. »
(Pour une résistance oisive, Chapitre 5. Écologie des inconnus)
Voici les trois raisons pour prendre soin des espaces communs qui sont invoquées par l’auteure :
- Se préoccuper de celles et ceux qui nous entourent car nous sommes redevables l’un de l’autre d’un point de vue pratique. Un quartier est un « réseau de soutien » dans les situations extrêmes ou banales.
- Un monde avec pour seul type de relation le « Je-Cela » est un monde « appauvri et esseulé ». Lorsque nous commençons à entrer dans une relation différente, « je-tu », nous l’apprécions et nous voulons plus en sortir.
- Réapprendre à vivre avec les autres nous transforme positivement. Nos rencontres nous réservent des surprises et nous prenons conscience que nous sommes « plus » que ce que nous croyons être.
Un algorithme, quant à lui, va me créer une identité « univoque », sans nouveauté réelle. Nous sommes enfermés dans des bulles de subjectivité. À l’inverse, la rencontre est une prise de risque, où nous mettons notre propre identité en jeu.
D’ailleurs, est-ce que la notion de rencontre est réservée aux humaines « entre eux » ? Pour Jenny Odell, la réponse est non ! La conversation avec les êtres de la nature nous permet aussi de prendre d’autres perspectives et de sortir de notre petit point de vue isolé.
Grâce aux rencontres et aux conversations que nous tissons, le monde devient moins solitaire ! Apprendre le nom des choses (y compris grâce à une application comme iNaturalist, par exemple) est un préalable à ces conversations. En effet, connaître un nom, c’est déjà faire connaissance…
Nous retrouvons ici l’engagement biorégionaliste de l’auteure. Au lieu d’un repli identitaire, le biorégionalisme nous apprend à regarder les choses dans une perspective écologique et inclusive.
Le repli sur soi, « dans sa bulle », est comparé à un barrage. En nous contentons de voir le monde à travers les filtres de Facebook ou de X, notamment, nous limitons nos possibilités intérieures. Voici un autre passage intéressant de Pour une résistance oisive :
« Contrairement aux barrages qui interrompent l’écoulement de la rivière, ces barrières-là ne sont pas tangibles : il s’agit de structures mentales, qui peuvent être démantelées par l’exercice de l’attention. Lorsqu’on adopte une vision utilitaire, voire algorithmique de l’amitié et de la reconnaissance, ou qu’on consolide le bastion imaginaire du moi face au changement, ou qu’on échoue tout simplement à voir que nous avons une incidence sur la vie des autres et vice versa (même et surtout de celles et ceux que nous ne voyons pas) — alors nous fermons notre attention aux autres et aux lieux que nous habitons ensemble. »
(Pour une résistance oisive, Chapitre 5. Écologie des inconnus)
Chapitre 6. Réhabiliter les sols de la pensée
Pour apprendre à vivre de façon écologique, y compris au niveau de nos relations avec nous-mêmes et avec autrui, il importe de :
- Laisser de la place à l’ambiguïté et à la fluidité des catégories ;
- Être humble et ouvert ;
- (Se) donner du temps.
Jenny Odell raconte comment l’observation des oiseaux lui a appris ces valeurs. Grâce à cette pratique, elle a commencé à envisager autrement son rapport au monde et au numérique. En fait, elle dit que cela a eu plus d’influence sur elle qu’une conférence « critique » sur les effets négatifs des réseaux sociaux, par exemple.
👀 Néanmoins, si vous vous intéressez au thème des dangers du monde digital, vous pourriez aimer Apocalypse cognitive du sociologue Gérald Bronner.
De quoi s’est-elle rendu compte ? Du caractère décontextualisé des fils d’actualités et des informations présentes sur les réseaux sociaux. Contrairement à l’observation en pleine nature, les informations sur le Net :
- Se chevauchent les unes aux autres :
- Sans lien entre elles ;
- Mais toutes dans un même format ;
- Avec le scroll pour unique temporalité ;
- L’ensemble n’a aucun sens ;
- Et nous en ressortons fatigués.
Dans le monde numérique, le manque de contexte crée une sorte de « monoculture » qui rend « certains types de comportements […] impossibles » ou, au contraire, possibles.
Par exemple, la décontextualisation (et l’anonymisation) permet plus facilement à la haine de surgir de façon débridée. En revanche, l’espace de discussion nécessaire à l’activité politique est complètement court-circuité.
Il en va de même avec le temps. Comme le temps des réseaux sociaux est l’instantanéité, il n’y a pas de place pour la réflexion et la « maturation » des idées, qu’elles soient politiques ou artistiques.
Il est vrai que les technologies ont permis, lors du Printemps arabe notamment, de faire se rejoindre les gens plus rapidement qu’avant. Pourtant, ce ne sont pas les réseaux sociaux, mais les rencontres dans des lieux physiques qui ont véritablement permis au mouvement de se développer.
L’économie de l’attention a plutôt tendance à nous « enfermer dans un présent effrayant » qui nous paralyse. Et elle en tire profit, puisque ses revenus proviennent de notre « taux d’engagement » (du temps que nous passons à scroller les fils d’actualité et autres).
Au vu de ces réflexions, serait-il possible de mettre en place un réseau social « totalement ancré dans l’espace et dans le temps » ? C’est la question que se pose Jenny Odell.
Et elle prend plusieurs exemples de logiciels ou d’applications déjà existantes, plus ou moins satisfaisantes :
- Nextdoor (qui équivaut selon elle à un réseau social prédateur) ;
- Scuttlebutt ;
- Mastodon ;
- PeoplesOPen.net (réseau maillé local) ;
- Patchwork (qui fait partie de Scuttlebutt).
Toutefois, « ne rien faire », ce n’est pas seulement changer de réseaux sociaux ou les diminuer épisodiquement, comme le prône le minimalisme digital notamment.
En réalité, ne rien faire, c’est faire autre chose, dans d’autres cadres (comme partir observer les oiseaux, par exemple). Ou encore se rendre dans des lieux publics, comme les parcs ou les bibliothèques, tous ces lieux qui nous permettent de reprendre nos esprits et de faire usage de notre pensée.
Tous ces lieux sont indispensables à notre survie. Nous dépendons des lieux, qui dépendent de nous. C’est pourquoi il est important d’en prendre soin et de continuer à s’y rendre. S’intéresser à des lieux autour de nous, dans notre voisinage, c’est reprendre contact avec le contexte et le temps long.
Conclusion. Démantèlement manifeste
« Si vous vous intéressez à la santé du lieu où vous êtes, que ce soit sous un angle culturel, biologique ou les deux, je vous préviens : vous constaterez davantage de destruction que le progrès. »
(Pour une résistance oisive, Conclusion. Pour un démantèlement manifeste)
L’engagement, dit Jenny Odell, « prend racine dans quelque chose de plus profond que le désespoir ». Qu’est-ce ? Dans la volonté de « nettoyer les ravages » d’un progrès trop linéaire et trop brutal, qui a détruit beaucoup sur son passage.
L’auteure utilise une peinture intitulée Le Progrès Américain qui représente le progrès sous les traits d’une femme blanche et blonde — la Destinée manifeste — qui accompagne des colons vers le marche glorieuse vers l’Ouest. Le problème, c’est que c’est aussi une marche de destruction de la nature et de modes de vie ancestraux.
Jenny Odell plaide pour une autre figure : celle du Démantèlement manifeste, c’est-à-dire une figure de réparation et de remise en état de ce que le progrès a aveuglément détruit. Cette idée de démantèlement peut sembler une hérésie destructrice, antimoderne.
Pourtant, selon l’auteure, c’est bien un acte créateur positif, quand bien même il s’agit de réhabiliter quelque chose qui était là avant. À vrai dire, ce sont les distinctions mêmes de progrès/régression, action/passion — entre autres — qui ne vont plus de soi aujourd’hui.
Quels sont les exemples de démantèlement manifeste ? Donnons-en deux parmi ceux qu’offre l’auteure :
- La destruction du barrage de San Clemente en Californie en 2015. Construit à l’origine pour fournir de l’eau à un développement résidentiel, le barrage empêchait les truites d’aller se reproduire en amont de la rivière. Le barrage a été démantelé pour restaurer l’équilibre de la faune et de la flore.
- L’agriculture du « rien » inventée par l’agriculteur japonais Masanobu Fukuoka. Celui-ci a abandonné les méthodes modernes d’agriculture au profit d’une approche d’intendance consistant à laisser pousser les végétaux comme elles le feraient dans la nature (à ce propos, voir aussi « Vers la sobriété heureuse » de Pierre Rahbi).
L’auteure le dit bien : il n’y a pas de feuille de route unique sur la façon de s’y prendre. Ces exemples peuvent nous inspirer, mais c’est à chacun de voir comment il peut agir au quotidien pour résister à l’économie de l’attention et aux ravages du progrès lorsqu’il avance sans freins.
Conclusion sur « Pour une résistance oisive. Ne rien faire au XXIe siècle » de Jenny Odell :
Ce qu’il faut retenir de « Pour une résistance oisive. Ne rien faire au XXIe siècle » de Jenny Odell :
Cet ouvrage, dont même Barack Obama a dit qu’il est « une lecture indispensable », a de quoi vous faire penser. Et aussi vous faire passer un très agréable moment, pour peu que vous vous preniez au style (et donc au jeu) de l’auteure !
Pour Jenny Odell, l’enjeu est de se retirer de cette pression constante à laquelle nous incitent les réseaux sociaux et les dispositifs numériques. Elle nous suggère de faire davantage attention à d’autres choses qu’aux interminables « posts » reçus sur Facebook ou X.
Mais alors, à quoi devrions-nous prêter l’oreille et la vue ? Eh bien, au chant des oiseaux, par exemple. Ainsi qu’aux lieux publics ou privés qui nous aident à vivre au quotidien et que nous devrions protéger : nos jardins, nos parcs et bibliothèques publics, notamment.
Défendre une conception plus sereine de l’existence, en cherchant à recréer des liens et des rencontres plus durables, voilà son objectif. Sans pour autant refuser la technologie, mais en la tenant à distance.
Si vous aimez ces idées, vous pouvez poursuivre votre lecture par Cyberminimalisme de Karin Mauvily ou encore Un million de révolutions tranquilles de Bénédicte Manier. Deux livres pour passer à l’action !
Points forts :
- Un livre original sur un sujet contemporain encore trop peu connu ;
- Une grande variété de réflexions, à la fois personnelles et conceptuelles ;
- De belles descriptions de sa région, la Baie de San-Francisco en Californie ;
- Des exemples d’artistes contemporains qui peuvent vous inspirer ;
- Une présentation de nombreux auteurs et concepts.
Point faible :
- Comme le dit son auteure elle-même, ce livre n’est pas — ou pas tout à fait — un manuel de développement personnel ; c’est plutôt une invitation à la réflexion et à l’action « lente ». Il est dépourvu de conseils « clés-en-main ». Cela dit, est-ce un défaut ?
Ma note :
★★★★★
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