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Homo deus : Une brève histoire du futur

Homo deus une brève histoire du futur de Yuval Noah Harari

Résumé de « Homo deus. Une brève histoire du futur » de Yuval Noah Harari : si vous avez aimé Sapiens, voici la suite ; un livre d’histoire et de prospective exigeant et absolument passionnant — à lire de toute urgence !

Par Yuval Noah Harari, 2017, 459 pages.

Titre original : Homo Deus. A Brief History of Tomorrow (2016).

Chronique et résumé de « Homo deus. Une brève histoire du futur » de Yuval Noah Harari

Chapitre 1 (introduction) — Le nouvel ordre du jour humain

Au XXIe siècle, l’humanité est arrivée à un stade où elle est capable de contrôler les trois grands dangers qui avaient été son lot jusque là :

  • La famine ;
  • Les épidémies ;
  • La guerre.

Bien sûr, elle n’y parvient que très imparfaitement. Beaucoup trop d’humains meurent encore de faim, de maladies ou des conséquences des conflits qui ravagent le monde.

Pourtant, si l’on regarde sur le temps long, il y a bel et bien une évolution dans le sens d’une plus grande maîtrise de ces fléaux par les humains. D’où la question centrale de l’ouvrage : « Et maintenant, qu’allons-nous faire de nous ? »

Oui, qu’allons-nous faire des pouvoirs que nous avons développés pour mettre un terme à ces trois plaies ?

Le seuil de pauvreté biologique

Avant de répondre à cette question, commençons par rappeler les progrès effectués dans chaque domaine. Prenons d’abord la famine.

Il y a quelques siècles encore, en Europe, les gens étaient dépendants du temps qu’il faisait et des catastrophes naturelles. Pas assez de pluie et le blé ne pousse pas ; un orage violent et les récoltes sont perdues.

Il en va autrement aujourd’hui. Les institutions collectives (ONG, assurances, organismes publics, commerce mondial) veillent à activer leurs réseaux dès qu’un problème survient.

Bien sûr, des gens meurent encore de faim et beaucoup sont dans l’insécurité alimentaire. Mais nous mourrons beaucoup moins de manque de nourriture qu’auparavant et un plus grand nombre de personnes parviennent à s’alimenter un minimum pour survivre.

Dans de nombreux pays, le problème de la suralimentation devient même un enjeu majeur de politique sanitaire. Certains experts prédisent même que la moitié de l’humanité sera en surcharge pondérale d’ici 2030 !

Armadas invisibles

Les épidémies et autres maladies infectieuses ont ravagé des pays entiers pendant des décennies. La peste noire, par exemple, a décimé la population européenne au XIVe siècle. Plus tard, les explorateurs importèrent des maladies qui furent fatales aux peuples amérindiens.

D’un côté, avec le développement des moyens de transport et l’accroissement de la population, le risque épidémique est plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été. Pourtant, de l’autre côté, les avancées médicales parviennent à le juguler.

Même le sida, qui fut d’abord un échec en termes de traitements, est devenu une maladie dont on ne meurt plus.

D’une façon générale, l’auteur estime ainsi que la « course aux armements » que se livrent la médecine et les germes évolue à l’avantage de la première. Certes, de nouvelles épidémies ou maladies infectieuses ne manqueront pas de survenir, mais nous serons capables d’intervenir à temps.

Mais qu’en serait-il si c’était l’humanité elle-même qui se mettait à développer et à diffuser de terribles agents pathogènes ?

Briser la loi de la jungle

De sûre, ou au moins de probable, la guerre est peu à peu apparue comme improbable au début du XXIe siècle. L’équilibre de la terreur créé par l’arme atomique y a joué un rôle. Mais c’est surtout le développement des relations commerciales et politiques entre les pays qui freine les velléités guerrières.

Alors, bien sûr, la guerre est encore l’affaire de bien des gouvernements de par le monde. Mais de moins en moins. Quant au terrorisme, les politiciens ont tendance à réagir par les grands moyens et à entrer dans la logique du show recherchée par les terroristes eux-mêmes.

En résumé :

« Famines, épidémies et guerre continueront probablement à faire des millions de victimes au cours des prochaines décennies. Il n’y a pourtant plus de tragédies inévitables qui dépassent l’entendement et échappent au contrôle d’une humanité démunie. Ce sont plutôt devenus des défis surmontables. » (Homo deus, p. 30)

Mais alors, « qu’est-ce qui remplacera la famine, les épidémies et la guerre au premier rang des priorités humaines au XXIe siècle ? »

Les derniers jours de la mort

La première réponse de Yuval Noah Harari est : l’immortalité. Désormais, nous ne percevons plus la mort comme une fatalité, comme une tragédie ou comme une chance d’aller au paradis, mais comme un problème technique qui peut être surmonté.

Cette croyance concerne les spécialistes comme les profanes. Tous, nous cherchons les causes de la mort et nous entendons bien les éradiquer, au minimum en nous offusquant de leur présence et en nous indignant.

Mais certains vont bien plus loin. Ils promettent d’ores et déjà l’immortalité — ou plutôt l’amortalité (absence de mort ou régénération des tissus jusqu’à ce qu’un événement, accident de la route ou autre, survienne) — aux plus riches.

La Silicon Valley est à la pointe en ce domaine. Mais les progrès surviendront-ils à temps pour rendre immortels les patrons de Google et Co. ?

Plus fondamentalement, on peut se demander ce que signifierait une vie éternelle. Imaginez-vous vivre jusqu’à 150 ans ou plus. Cela changerait complètement les relations interpersonnelles et les relations que nous entretenons avec l’art ou la politique, par exemple.

Par ailleurs, ce combat pour l’immortalité nous imposerait d’être capables de réorganiser complètement les vivants que nous sommes. Cela, bien sûr, n’arrêtera pas les plus motivés, et l’on peut être à peu près sûr que les scientifiques et les entrepreneurs capitalistes s’entendront pour faire fleurir ce champ de recherches.

Le droit au bonheur

Si ce premier défi s’adressait au corps, le deuxième a l’esprit pour cible. Être heureux : voilà bien un impératif que nous entendons et intériorisons tous, déjà, de façon permanente.

Le peuple ne veut plus être de la chair à canon pour les grandes puissances. Il ne veut plus être une simple « fonction » de l’État. C’est, au contraire, à l’État à servir ses intérêts.

Certes, mais comment s’y prendre ? Il ne peut suffire de mettre un terme à la famine, aux épidémies et à la guerre. En fait, nous sommes bien moins vite satisfaits qu’auparavant. Le confort moderne a entraîné des attentes de plus en plus grandes.

Nous voulons jouir de l’existence, c’est-à-dire avoir plus de plaisirs que de souffrances. Et si cela devenait possible sans avoir besoin de réaliser des exploits ? Et si les sensations agréables ressenties à l’occasion d’événements particuliers (toujours trop brefs) pouvaient être reproduites par un simple recâblage de neurones ?

C’est ce que font déjà les psychotropes, ceux qui sont autorisés (les médicaments servant à traiter le déficit de l’attention et hyperactivité ou à lancer les soldats à la guerre, par exemple) comme ceux qui sont prohibés (les drogues).

L’État contrôle, trie le bon grain de l’ivraie. Mais les chercheurs et experts de la biochimie humaine vont d’invention en invention. Ici encore, de vrais progrès nécessiteront de modifier profondément nos organismes d’homo sapiens.

Les dieux de la planète Terre

« En recherchant la béatitude et l’immortalité, les êtres humains essaient en fait de se hisser au rang des dieux : parce que ce sont des qualités divines, mais aussi parce que, pour triompher de la vieillesse et de la misère, ils devront d’abord acquérir la maîtrise divine de leur substrat biologique. » (Homo deus, p. 55)

Trois chemins se dessinent. Trois génies (au sens d’ingénierie) :

  • Biologique : c’est l’idée de modifier l’organisme en le poussant dans ses ultimes potentialités.
  • Cyborg : c’est la fusion de l’organisme avec des composés inorganiques issus, par exemple, de la robotique.
  • Êtres inorganiques : un pas plus loin encore, l’idée de « transférer » notre esprit dans des composés inorganiques.

Il ne faut pas voir la déité comme l’omnipotence, à la façon du Dieu des religions monothéistes. Si Homo sapiens devient un jour Homo deus, ce sera plutôt dans le sens des dieux grecs : des êtres dotés de superpouvoirs, mais qui conservent leur contingence, leurs limites et peut-être même leurs émotions.

Nous ne pouvons pas en dire beaucoup plus, car nous ne pouvons concevoir clairement ce que seront et penseront nos descendants. Mais ce que nous voyons et savons, en revanche, c’est que les chemins vers cette évolution sont dès à présent ouverts, et que beaucoup d’entre nous sont prêts à s’y engager, quel que soit le temps que cela prendra !

S’il vous plaît, y a-t-il quelqu’un pour donner un coup de frein ?

Les progrès des sciences et des techniques sont rapides. Lorsque les projets les plus fous se marient aux sommes astronomiques délivrées par la Bourse, rien ne semble impossible.

Certains d’entre nous pourraient avoir envie de ralentir. Mais est-ce possible ? L’auteur ne le croit pas. Pourquoi ?

  1. Parce que personne ne sait où sont les freins (impossible d’être expert en tout et comprendre suffisamment le système pour savoir comment l’arrêter).
  2. Le capitalisme ne supporterait pas un arrêt, or l’économie capitaliste supporte toute la société.
  3. Car il n’existe pas de différence claire entre guérison et amélioration : lorsqu’une innovation permet de résoudre un problème, elle peut aussi souvent servir pour doper les performances (cela vaut pour les médicaments comme pour le génie génétique et au-delà).

Bien sûr, nous pouvons choisir de limiter certains usages des nouvelles technologies pour des raisons éthiques.

« C’est bien pourquoi il est vital de réfléchir au nouvel ordre du jour de l’humanité. Précisément parce que nous avons le choix concernant l’usage de nouvelles technologies, mieux vaut comprendre ce qui se passe et décider avant qu’elles ne décident pour nous. » (Homo deus, p. 68)

Le paradoxe de la connaissance

Quelques précisions s’imposent au sujet de la thèse défendue ici.

  1. Il s’agit d’une prédiction concernant la collectivité humaine, mais qui n’implique pas que tous y jouent un rôle. De fait, ce sont plutôt les plus nantis qui poussent déjà l’humanité en ce sens.
  2. Il n’est pas question d’un programme politique, mais bien d’une prédiction historique. Autrement dit, l’auteur ne considère pas que la recherche de l’immortalité, du bonheur et de la divinité soit une bonne chose, mais que c’est ce qui sera probablement recherché.
  3. « Chercher ne veut pas dire réussir ». En effet, il est possible que tous ces efforts échouent et ouvrent la voie à d’autres histoires possibles.
  4. Le point le plus important : cette prédiction a pour objectif de faire débattre les humains sur les choix présents. Nous avons le pouvoir de réagir à ce qui nous arrive lorsque nous sommes face à des annonces telles que celle-ci.

Et c’est bien là que se trouve le paradoxe de la connaissance historique : celle-ci est inutile si elle n’a pas d’effet sur les comportements des êtres humains, mais elle devient rapidement obsolète dès lors que les êtres humains changent grâce à elle.

Une brève histoire des pelouses

En fait, les prédictions historiques ne servent pas à répéter un processus à l’identique ou à décider ce qui sera le plus efficace, mais à créer du possible.

Qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien, simplement que l’historien nous aide à prendre conscience de nos conditionnements et à nous en libérer.

Nous pensons spontanément que « tout est ainsi », mais l’histoire nous aide à comprendre que cela n’a pas toujours été le cas, et que l’état présent est le résultat de multiples accidents.

Prenons l’exemple des pelouses. Lorsque vous avez acheté votre maison (si c’est le cas), dans une banlieue de la classe moyenne, vous vous êtes peut-être dit que ce serait bien d’avoir une pelouse devant chez vous, parce que « tout le monde le fait ».

Mais avez-vous pensé que la pratique remonte aux nobles du Moyen-Âge qui entendaient, par là, faire montre de leur puissance ? Ceux-ci ont été suivis par l’Église, puis par le monde du sport et de la bourgeoisie montante.

Maintenant que vous le savez, avez-vous envie de suivre docilement cette injonction sociale, voulez-vous montrer votre « petite puissance » à l’aide d’un gazon bien tondu à côté de votre garage ?

Connaître l’histoire vous aide à prendre des décisions en vous libérant, au moins partiellement, du poids du passé.

Un fusil au premier acte

Les rêves d’immortalité, de bonheur et de pouvoir proviennent en ligne droite du projet humaniste né aux XVIIe et au XVIIIe siècle. Ils en sont la conclusion logique.

Petit rappel : l’humanisme est le culte de l’humanité, l’idéologie (voire, selon l’auteur, la religion) selon laquelle toutes les valeurs et les actions doivent s’articuler par rapport au développement du potentiel humain.

Les deux parties qui suivent interrogeront donc cette « religion de l’homme ».

  • D’abord en analysant la relation homme – animal et en faisant le modèle des relations entre « surhumains » et humains (c’est la première partie).
  • Ensuite en étudiant en détail le « crédo » humaniste et ses conséquences (deuxième partie).

Finalement, s’il y a des raisons de déprimer, nous verrons qu’il y a aussi des raisons d’espérer. Il n’est pas dit, en effet, que la chute à venir de l’humanisme soit une si mauvaise nouvelle (ce sera la troisième partie). Alors, prêt pour la suite du voyage ?

Première partie — Homo sapiens conquiert le monde

Chapitre 2 — L’anthropocène

Les animaux sauvages qui peuplaient notre imaginaire sont en voie de disparition. Par contre, la population des animaux domestiques a explosé, tout comme — bien sûr – la population des humains.

Le terme d’anthropocène a été récemment proposé pour qualifier cette période géologique (les dernières 70 000 années) au cours de laquelle l’être humain est devenu la principale force de transformation de l’écologie mondiale.

Les enfants du serpent

La vision animiste du monde rapproche les différents êtres (animaux, humains, esprits, etc.) dans un même système de communication. Les chasseurs-cueilleurs animistes parlent aux tigres et aux esprits de la forêt et s’arrangent avec eux. Ils considèrent la Terre comme un lieu commun pour tous ces êtres, qui peuvent souffrir et aimer comme nous.

L’Ancien Testament nous invite à nous détacher de l’animisme et à entrer dans l’ère agricole. C’est, tout du moins, la lecture de l’épisode d’Adam et Eve que propose Y. N. Harari.

Et pourtant, si le serpent n’était pas notre ennemi, mais notre ancêtre ? Certains animistes le croient encore. Et nous, Modernes ? Eh bien, ne pensons-nous pas, nous aussi, que nous avons un cerveau reptilien, trace d’une évolution lointaine ?

En revanche, la Bible sépare nettement les hommes des animaux ; les hommes, dit-elle, ont été conçus par Dieu à partir de matière inerte.

Besoins ancestraux

La révolution agricole a modifié les rapports de l’homme aux animaux, notamment en introduisant la domestication. La domestication a engendré bien des modifications — et bien des souffrances aussi — pour les animaux.

En fait, les besoins des animaux, leurs émotions et leurs instincts, ne changent pas rapidement. Cela peut faire des milliers d’années que les sangliers ont été transformés en cochons, et pourtant ces derniers ont toujours besoin de courir, de se socialiser, de prendre soin de leurs petits.

Le fait qu’elle vive dans un box minuscule et qu’elle soit privée de ses porcelets ne signifie pas qu’elle n’éprouve plus ces besoins. Ceux-ci peuvent bien être inutiles à son évolution (après tout, elle vit désormais « en sécurité » et sa descendance est assurée), cela ne veut pas dire qu’ils n’existent pas.

« Tragiquement, la révolution agricole a donné aux hommes le pouvoir d’assurer la survie et la reproduction des animaux domestiqués, tout en ignorant leurs besoins subjectifs. » (Homo deus, p. 97)

Les organismes sont des algorithmes

Un algorithme, c’est comme une recette : une série d’étapes à suivre pour réaliser quelque chose, calculer ou décider. Un homme peut l’accomplir, mais une machine aussi. Pensez par exemple à un distributeur automatique de boissons chaudes qui vous prépare un café en 2 minutes.

Alors que la machine fonctionne à partir de câbles électriques, le corps humain — et plus généralement le corps de tous les mammifères, voire d’autres organismes — fonctionnerait à partir de sensations, d’émotions et de pensées.

Le but de l’organisme (l’objectif de la recette-algorithme) ? Survivre et se reproduire. Les émotions, sensations et pensées qui se bousculent dans le corps en action sont comme une série de calculs qui cherchent à résoudre ce problème.

Vous avez le cœur qui bat la chamade à l’arrivée de ce charmant jeune homme ? C’est votre corps qui fait un calcul de probabilités et vous incite à vous accoupler ! Pas besoin de compter, il vous suffit donc de ressentir.

Il est raisonnable d’affirmer que d’autres mammifères, voire les oiseaux, certains reptiles et même des poissons, ressentent aussi la peur, l’attraction et ce genre de choses.

Le deal agricole

L’agriculture tend pourtant à ne considérer les animaux que d’un point de vue purement matériel, sans prendre en compte les besoins émotionnels. Mais en même temps qu’il exploite, l’être humain prend conscience qu’il a une influence sur les écosystèmes.

Les lecteurs de cet article ont également lu :  Être heureux, ce n’est pas nécessairement confortable

Comment, donc, les premiers agriculteurs justifièrent-ils cette attitude de mépris à l’égard des autres espèces ?

La réponse de l’auteur peut paraître étonnante : par l’élaboration d’une religion théiste, faite de dieux ou d’un Dieu. C’est tout le récit de l’univers qui change et se concentre autour de deux acteurs principaux : l’Homme et Dieu (ou les dieux).

Dans ce scénario, les animaux deviennent des figurants qui peuvent être exploités. L’être humain se sent supérieur à eux, parce qu’il se sait capable de modifier leur (et son) environnement.

Or il est arrivé très souvent aussi, par le passé, que cette dégradation de la valeur des êtres non humains atteigne certains humains. C’est toute l’histoire de l’esclavage et de l’extermination ethnique qui commence alors.

Cinq cents ans de solitude

Depuis le XVIIe siècle, les choses ont encore pris une autre tournure. Désormais, ce n’est plus la religion, mais la science qui explique l’univers. Or, dans cette nouvelle histoire, il n’y a même plus de dieux ni de Dieu. L’homme est seul et ne dialogue qu’avec lui-même.

Ou pour le résumer avec Y. N. Harari :

« Les chasseurs-cueilleurs archaïques n’étaient qu’une espèce d’animaux parmi d’autres. Les paysans se croyaient au sommet de la création. Les hommes de science nous hisseront au rang de dieux. » (Homo deus, p. 113)

Or la science, comme l’agriculture, a elle aussi provoqué ou créé une forme de « religion » : la religion humaniste qui prend l’homme pour Dieu et se divise en différentes idéologies (libéralisme, communisme, nazisme, par exemple).

Dans ce cadre de pensée, l’agriculture devient industrielle et se soucie moins encore du bien-être animal. Ce n’est que très récemment que les critiques se sont faites jour. Désormais, une part de l’humanité s’inquiète des outrages faits aux « espèces inférieures ».

Mais n’est-ce pas, quelque part, parce qu’elle a peur d’en devenir une face à la montée en puissance de l’intelligence artificielle ?

Chapitre 3 — L’étincelle humaine

L’homme a-t-il une âme ? C’est le premier principe des religions monothéistes : Dieu a donné à l’homme — et à lui seul — une âme éternelle. Mais la recherche scientifique explore une autre réalité. De plus en plus, les scientifiques en viennent à penser que l’homme — pas plus que les animaux — n’est doté d’une telle substance immatérielle et éternelle.

Qui a peur de Charles Darwin ?

C’est la raison principale pour laquelle la théorie de l’évolution a beaucoup de mal à être acceptée dans les pays où la religion joue un rôle majeur, et notamment aux États-Unis.

En effet, la théorie darwinienne pose que l’individu humain (comme les êtres des autres espèces) est la résultante d’une histoire et qu’il se compose de petites parties qui ont évolué très lentement au cours du temps.

Or l’âme ne connaît pas l’évolution : elle existe depuis toujours ou n’existe pas. Par ailleurs, elle ne peut être composée, puisque par nature elle est indivisible. Et si elle est apparue un beau jour chez un bébé, quid de ses parents ? Étaient-ils, eux, sans âme ?

Non, décidément, théorie de l’évolution et âme ne font pas bon ménage. C’est pourquoi beaucoup de religieux la rejettent.

Pourquoi la Bourse n’a pas de conscience

Faute d’âme, l’homme aurait-il au moins une conscience (ou un esprit) ? La conscience est le flux de pensées, d’émotions et de sensations qui nous emporte et que nous reconnaissons spontanément comme étant « nous » ou « je ».

Et les animaux, sont-ils conscients ? René Descartes, le célèbre philosophe français du XVIIe siècle, ne le pensait pas. Pour lui, seul l’homme est conscient. Les animaux, eux, ne sont que des machines qui répondent à des stimulus.

Problème : aujourd’hui, la science n’arrive pas vraiment à expliquer la conscience humaine et se perd dans des conjectures hasardeuses.

L’équation de la vie

En fait, les neurosciences nous expliquent les sensations, les émotions et les pensées par de multiples influx nerveux dans les neurones. Ce faisant, ils nous aident certes à comprendre le fonctionnement du cerveau, mais pas vraiment la présence de la conscience.

Pour le dire autrement : tout se passe comme si l’explication mécanique du fonctionnement cérébral rendait superflue l’existence de la conscience.

D’où la question de Y. N. Harari : à quoi bon l’esprit ? Ou plutôt : pourquoi avons-nous des expériences subjectives telles que la faim, la colère ou la joie, si aucun algorithme connu n’en a besoin pour réaliser des actions ou prendre des décisions ?

Et pourtant, impossible de le nier : si vous marchez sur un clou, « vous » avez « mal » – bref, vous le ressentez comme un événement qui vous arrive et vous touche personnellement. Obstinée conscience.

Et si les sciences de la vie, et les neurosciences en particulier, s’y prenaient mal ? Si la métaphore de l’organisme ou du cerveau comme « algorithme » n’était pas pertinente ?

La vie déprimante des rats de laboratoire

Les philosophes, mathématiciens et scientifiques ont créé des tests cherchant à démontrer que tel ou tel être possède une conscience. Le plus connu est sans doute le test de Turing, développé par Alan Turing en 1950.

Nous pouvons élaborer des tests semblables et les faire passer à des animaux. Certains d’entre eux démontrent un certain niveau de conscience. Cette approche contredit celle des biologistes sceptiques pour lesquels ils ne sont que des machines algorithmiques.

C’est pourtant une approche implicitement reconnue par les tests réalisés dans les laboratoires pharmaceutiques, qui font régulièrement l’hypothèse que les animaux éprouvent les mêmes sensations et émotions que les humains.

De fait, le rat, par exemple, est régulièrement employé comme « modèle » dans la conception de médicaments psychotropes, comme ceux qui visent à atténuer la dépression en la remplaçant par un sentiment de joie.

Le chimpanzé conscient de lui-même

Certes, vous pouvez accepter le fait que certains animaux puissent avoir une conscience, mais êtes-vous prêt à admettre qu’ils ont une conscience d’eux-mêmes ? Savent-ils qui ils sont ?

Il pourrait exister différents niveaux de conscience de soi, depuis la simple reconnaissance fugace que « je » suis une entité singulière, différente d’autrui, jusqu’à l’idée d’un soi durable, ayant un passé et un avenir.

Prenons un exemple. Santino est un chimpanzé du zoo de Furuvik, en Suède. Celui-ci commença par lancer des pierres à ses visiteurs. Comme ceux-ci commencèrent à se méfier, le singe choisit de cacher les projectiles qu’il trouvait. Lorsqu’un visiteur arrivait plus tranquille (ne voyant pas de danger alentour), Santino dégainait et frappait.

Certes, les sceptiques peuvent toujours dire que Santino ne sait pas vraiment ce qu’il fait. Il est mû par des algorithmes non conscients. Mais on peut l’interpréter autrement : Santino se souvient et sait tirer des leçons des expériences passées. Il sait jouer et duper son monde.

Et vous, que pensez-vous de ce comportement ? Penchez-vous plutôt pour l’une ou pour l’autre interprétation ?

Le cheval Hans le Malin

Ce cheval célèbre de l’Allemagne des années 1900 éblouit les citoyens par ses connaissances supposées de la langue allemande et des mathématiques. On lui posait des questions (« Combien font quatre fois trois ? », par exemple) et il répondait correctement en tapant du sabot !

Mais qu’en est-il ? En fait, des recherches ont montré que Hans répondait aux émotions et au langage corporel qu’il sollicitait chez les humains qui l’interrogeaient. Lorsqu’il approchait du nombre 12, par exemple, il sentait la tension chez son interlocuteur et s’arrêtait quand il voyait la joie exploser !

Cet animal manifestait donc peu de génie en matière de mathématiques ou d’allemand, mais il possédait bel et bien une intelligence émotionnelle fascinante.

Certes, mais aucun animal n’est capable de construire des outils et des techniques aussi développés que les nôtres. Oui, c’est vrai. Mais en fait, ni l’intelligence ni la construction d’outils n’expliquent de façon satisfaisante la domination d’Homo sapiens.

Pour Y. N. Harari :

« Le facteur crucial de notre conquête du monde a plutôt été notre capacité à relier de nombreux humains les uns aux autres. Si, de nos jours, les humains dominent sans concurrence la planète, ce n’est pas que l’individu humain soit plus malin et agile de ses dix doigts que le chimpanzé ou le loup, mais parce qu’Homo sapiens est la seule espèce sur terre capable de coopérer en masse et en souplesse. » (Homo deus, p. 149)

C’est la thèse principale développée dans Homo sapiens, le premier livre à succès de l’auteur.

Vive la Révolution !

Les révolutions de l’histoire démontrent ce point. À chaque fois, à Rome comme à Moscou, la victoire fut acquise grâce aux capacités de coopération.

Pareil à Bucarest, lorsque Ceausescu fut renversé. Ce ne fut pas véritablement la foule, mais quelques hommes et femmes bien organisés qui récupérèrent les tensions à leur avantage pour proposer une autre forme de régime.

Et cette histoire se répéta en Égypte, en 2011, avec les Frères musulmans.

Par-delà le sexe et la violence

La guerre et l’amour sont des moyens efficaces de collaborer, mais à petite échelle. À grande échelle, les êtres ne coopèrent pas de la même manière. La menace et la promesse y fonctionnent beaucoup mieux. Ou, pour le dire encore avec Y. N. Harari :

« Toute coopération humaine à grande échelle repose en définitive sur la croyance en un ordre imaginaire : un ensemble de règles que nous croyons aussi réelles et inviolables que la gravité, même si elles n’existent que dans notre imagination. » (Homo deus, p. 160-161)

C’est ainsi que fonctionnent les menaces et les promesses. Elles créent un ordre imaginaire, des histoires auxquelles croire et des règles à suivre. À partir du moment où quelqu’un vous croit, vous pouvez prédire son comportement.

Des « marqueurs visuels de reconnaissance » (un turban, un costume-cravate, etc.) aident en général à reconnaître ceux qui croient aux mêmes histoires, ceux qui sont tenus par les mêmes menaces et les mêmes promesses.

La toile du sens

Cet ordre imaginaire forme une réalité intersubjective qui n’est ni :

  • La réalité objective, c’est-à-dire l’existence indépendante de choses et de lois, comme la loi de la gravité ;
  • La réalité subjective, c’est-à-dire l’existence de choses qui dépendent de nos sentiments et de nos ressentis individuels (avoir mal à la tête, par exemple).

Pourtant, il existe des entités intersubjectives qui sont créées par la communication et la coopération des humains. Nous en sommes littéralement entourés :

  • L’argent ;
  • Les États ;
  • Les divinités ;
  • Nos valeurs ;
  • Les lois ;
  • Les entreprises ;
  • Etc.

Toutes ces entités intersubjectives constituent une « toile de sens » dans laquelle nous sommes plongés depuis notre plus tendre enfance. Et nous y croyons « dur comme fer ». Étudier l’histoire, c’est étudier le façonnage et l’effilochage de ces toiles de sens.

Et de fait, certains ordres imaginaires nous paraissent aujourd’hui complètement obsolètes, au point que nous nous demandons comment d’autres humains ont pu « croire » à de telles choses.

Serait-il possible que, d’ici quelques années, nos manières de vivre et de mourir paraissent incompréhensibles ou absurdes aux yeux de nos descendants ?

Âge d’or

L’imagination — qui est intrinsèquement liée, nous venons de le voir, à la coopération — est donc la force qui a séparé les humains des animaux. Grâce aux entités intersubjectives que nous avons créées, nous sommes devenus plus puissants qu’aucun autre être sur terre.

Les sciences de la vie considèrent que les individus et l’histoire peuvent se réduire au jeu des gènes, des neurones et des hormones. Mais cette explication « objective » est insuffisante ou, au minimum, loin d’être acquise.

En revanche, on observe déjà comment les réalités intersubjectives influencent la réalité objective et la transforment. Ou pourraient la transformer :

  • Ingénierie climatique soutenue par des intérêts économiques et politiques ;
  • Modelage de l’ADN en fonction de nos aspirations à la santé et au bonheur ;
  • Fusion du monde numérique et des paysages (la réalité augmentée) ;
  • Etc.

D’où un appel insistant de l’auteur : nous ne devons pas simplement déchiffrer les neurones, les gènes et les hormones, mais aussi « les fictions qui donnent sens au monde ». Autrement dit, nous devons faire de l’histoire !

Deuxième partie Homo sapiens donne sens au monde

Chapitre 4 — Les conteurs

De l’âge de la pierre jusqu’à l’Égypte antique, les réalités intersubjectives sont devenues de plus en plus puissantes.

Par exemple, les esprits vénérés par les chasseurs-cueilleurs étaient faibles, tandis que les pharaons — dieux vivants — et autres dieux du peuple égyptien étaient capables de construire des pyramides, des canaux et des villes.

Cette histoire passe par Sumer. En fait, les paysans sumériens firent deux inventions capitales — deux sœurs : l’argent et l’écriture — qui donnèrent naissance à la bureaucratie. Grâce à cette nouvelle forme de coordination, les dieux égyptiens purent faire agir un nombre bien plus grand d’êtres humains en vue d’un même but.

Il pourrait vous sembler étrange d’entendre les Égyptiens antiques vous dire que « Pharaon » ou le dieu « Sobek » a construit la pyramide ou creusé un lac.

Pourtant, pensez-y : aujourd’hui, nous disons également sans problème que Google a conçu une voiture autonome ou que l’État français a bâti un pont ou une autoroute. C’est exactement la même logique. Ce sont les milliers de gens mus par une croyance (en Pharaon ou en Google) qui ont effectivement construit ces choses extraordinaires.

Vivre sur papier

La croyance en l’écriture — ou en ce qui est écrit sur le papier — est très puissante. L’écrit fige les histoires que nous racontons. Nous en venons parfois à donner plus de poids à un bout de papier qu’à ce que nous observons de visu.

La confiance et le respect que nous inspire le papier peuvent sauver ou détruire.

  • Elle a pu sauver des Juifs de la terreur nazie, comme le montre l’histoire des visas délivrés par le consul Aristides de Sousa Mendes.
  • À l’inverse, elle a tué des dizaines de millions de Chinois, morts de la famine parce que le gouvernement central avait donné foi à des rapports complètement fictifs, truqués par les instances inférieures du Parti.

« Si l’écrit fut sans doute conçu comme un modeste moyen de décrire la réalité, il devint peu à peu un instrument puissant pour la remodeler. Quand les rapports officiels se heurtaient à la réalité objective, c’était souvent la réalité qui devait céder. » (Homo deus, p. 185)

Saintes Écritures

Les frontières sont un cas flagrant de modelage de la réalité par l’écrit. Les frontières — prenons le cas de l’Afrique — y ont été tracées de manière arbitraire, sans prendre en compte l’existence de fleuves ou de groupes ethniques. Ce sont des bureaucrates européens qui, sans avoir été sur le terrain, ont découpé abstraitement le territoire.

Prenons le système éducatif. Les notes qui évaluent les élèves sont de pures conventions sociales. Pourtant, n’affectent-elles pas durablement la réalité objective, ainsi que la réalité subjective des êtres qui les reçoivent ?

Autre exemple : les Écritures (Torah, Bible, Coran, Védas, etc.). Elles prétendent décrire la réalité et devenir la référence pour ceux qui veulent connaître le monde. Bien des savants s’y réfèrent et jouent sans cesse à maintenir le lien entre réalité et fiction.

En fait, les organisations maintiennent leur puissance par leur « capacité d’imposer leurs croyances fictives à une réalité docile » (p. 189).

Mais ça marche !

Souvent, nous avons tendance à croire que le tissu de sens — l’ordre imaginaire — dans lequel nous vivons vaut mieux que celui du voisin ou du passé. Mais est-ce le cas ? En fait, comme nous sommes pris dans cet ordre, nous le jugeons avec ses propres critères (par exemple, la productivité).

Juger des époques passées ou d’autres cultures est donc plus périlleux qu’on ne le croit souvent. Et c’est pareil lorsque nous tentons d’évaluer notre propre société.

Pour se donner une mesure de l’état présent, la proposition de l’auteur consiste à regarder les choses depuis la perspective d’une entité réelle et à se poser la question de sa souffrance. Une entité intersubjective ne souffre pas : Google ou Zeus ne ressentent rien si vous brûlez les locaux où ils résident (temple ou maison-mère). En revanche, les personnes qui sont impliquées dans les réalités intersubjectives, elles, souffrent.

Le danger consiste à se laisser prendre par des buts dictés par ces histoires (servir l’État et partir à la guerre, par exemple) ; nous risquons alors fort bien de souffrir. C’est pourquoi il importe de garder les histoires que nous créons sous contrôle. Les bonnes histoires (les bons ordres imaginaires) sont celles qui nous servent et nous évitent de souffrir.

Chapitre 5 — Le couple dépareillé

La science pourrait apparaître, à première vue, comme un antidote « objectif » au pouvoir des fictions telles que Dieu ou la Nation, du moins lorsque celles-ci deviennent nocives pour les êtres bien réels, souffrants, que nous sommes.

Mais si la science est bel et bien autre chose qu’une fiction, et qu’elle peut parfois aider, cela ne signifie pas pour autant qu’elle change complètement les règles du jeu. En fait, certains mythes se trouvent renforcés par la science, et la frontière entre fiction et réalité se brouille de plus en plus.

Cela implique de poser une question épineuse : « Quel lien la science moderne entretient-elle avec la religion ? »

Germes et démons

La religion n’est pas d’abord affaire de « surnaturel », ni même de croyances puisque chaque croyant pense être dans le « vrai ». Pour Y. N. Harari, la religion, c’est :

« Un récit qui englobe tout, conférant une légitimité surhumaine aux lois, normes et valeurs humaines. Elle légitime les structures sociales humaines en affirmant qu’elles reflètent des lois surhumaines. » (Homo deus, p. 200)

Sous ce rapport, le marxisme et le libéralisme sont des religions, tout comme l’hindouisme ou le judaïsme. Les religions promettent aussi des récompenses (des promesses) et châtiments (des menaces). La catastrophe aura lieu si le fidèle ne suit pas les lois qui lui sont dictées d’ailleurs (de Dieu, de la Nature, etc.).

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Mais la religion, n’est-ce pas plutôt un cheminement spirituel ? Il ne faut pas confondre religion et spiritualité. Contrairement à cette dernière, la religion donne une explication totale du monde et nous « offre un contrat bien défini ». Nous savons ce qu’il y a à faire. Il y a un dogme.

La spiritualité relève plutôt du voyage incertain. Elle est donc une menace pour les religions. Toutefois, les rebelles qui réussissent font souvent de nouvelles religions (pensez à Luther et au protestantisme). Idem pour Jésus et Bouddha.

Contrefaire Dieu

Revenons aux relations entre science et religion. La science a-t-elle mis fin aux religions, en remplaçant les dogmes par les faits ? Pas du tout. Certes, certains dogmes sont tombés en désuétude, mais d’autres ont été renforcés par les faits scientifiques.

Par ailleurs, la science ne peut répondre à toutes les questions, et notamment les questions morales. Ici, la religion et l’idéologie peuvent servir.

Mais alors, la science doit-elle se contenter des faits, et la religion des valeurs ? Pas si sûr. En fait, chaque religion s’appuie non seulement sur des jugements éthiques, mais aussi sur des énoncés factuels et sur une combinaison particulière des deux (formulée sous forme de directive pratique).

Or, si la science n’a pas grand-chose à dire sur les jugements éthiques, elle peut intervenir au sujet des énoncés factuels. Prenons le cas de l’avortement.

  • Le jugement éthique est « la vie humaine est sacrée ».
  • L’énoncé factuel : « la vie humaine commence dès la conception ».
  • De là découle une directive pratique : « Il ne faut jamais autoriser l’avortement, pas même un jour après la conception ».

Les scientifiques peuvent ne pas être d’accord concernant le jugement éthique, mais la partie qu’ils peuvent vraiment réfuter, c’est l’énoncé factuel. En effet, ils peuvent étudier précisément l’embryogenèse et tenter de définir un seuil à partir de critères objectifs.

Dogme sacré

Difficile de séparer religion et science, jugement éthique et énoncés factuels. Les uns cachent souvent les autres. En tout cas, pour Y. N. Harari, une chose semble certaine : il est impossible de se passer des mythes, religions, idéologies pour garantir la stabilité de l’édifice social.

La chasse aux sorcières

Il faut également noter que la science est apparue en Europe au XVIIe siècle, alors que régnait un fanatisme acharné (chrétiens contre musulmans, catholiques contre protestants, inquisition et chasse aux sorcières). Comment se fait-il que l’une n’ait pas vaincu l’autre ?

En fait, si les individus — prêtres et chercheurs — s’intéressent à la vérité, les institutions collectives de la religion et de la science cherchent plutôt à acquérir le pouvoir et à maintenir l’ordre. Elles peuvent donc s’entendre et collaborer.

Et c’est ce qui s’est produit. Les deux organisations ont fait « un deal », une sorte de compromis : celui de l’humanisme, qui triompha à l’époque moderne. Mais ce marché a-t-il encore de longs jours devant lui ?

Chapitre 6 — L’alliance moderne

Avant la naissance de la modernité et de l’humanisme, les hommes pensaient qu’ils faisaient partie d’un grand dessein divin. Tout avait un sens. Après le XVIIe siècle, les choses changent. Le deal change.

Désormais, le monde n’a plus de sens et l’humain n’a plus de place prédéterminée dans le cosmos. Par contre, il a maintenant le pouvoir de tout changer. Dans un univers sans sens, absurde, l’homme a le pouvoir de se créer lui-même.

Problème : cela génère une grande angoisse.

Pourquoi les banquiers sont différents des vampires

Avant la modernité, science et économie stagnaient. Pourquoi ? Parce qu’il était difficile de lever des fonds, bref, d’avoir un crédit. Les gens ne se faisaient pas confiance et n’avaient pas confiance en l’avenir ; en conséquence, ils ne prêtaient pas et la recherche ne pouvait avancer.

Depuis, les choses ont changé. Science et économie vont main dans la main, grâce au crédit notamment. Tout devient « opportunité ». Les modernes regardent l’avenir avec confiance. Et c’est un cercle qui s’autoentretient :

  • Plus de réussites économiques ;
  • Davantage de confiance en l’avenir ;
  • Des crédits qui se développent, avec des taux d’intérêt plus faibles ;
  • Les entrepreneurs peuvent trouver des fonds plus facilement ;
  • L’économie croît ;
  • La science progresse.

C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la croissance. Nous produisons plus, toujours plus. Et cela semble — sur le papier — inarrêtable. Mais qu’en est-il exactement ?

Le gâteau miracle

Alors qu’avant, nous pensions que la production et la consommation étaient à l’équilibre, nous pensons aujourd’hui dur comme fer que la production et la consommation s’entretiennent l’une l’autre dans un cycle de croissance sans fin.

C’est l’un des dogmes fondamentaux de l’époque moderne : la croissance (« produire plus » pour résoudre les problèmes) est vitale. Mais pourquoi donc ? Trois raisons sont invoquées par les économistes et les politiciens.

  1. Parce que l’augmentation de la production augmente la production de la consommation et que cela nous rend « heureux ».
  2. Car l’espèce humaine croît et que nous avons donc besoin de plus pour satisfaire tout le monde.
  3. Parce qu’il faut vaincre la pauvreté en donnant plus à ceux et celles qui ont moins.

La croissance, c’est en quelque sorte le paradis sur terre de bien des idéologues modernes. De la Chine aux États-Unis, en passant par le Japon et la Turquie, tous les États du monde chantent désormais les louanges du progrès scientifique et du développement économique.

Face à ce crédo, tous les autres objectifs, les autres valeurs aussi, deviennent futiles. Et comme le capitalisme apparaît aujourd’hui comme l’instrument privilégié de la croissance (depuis que le communisme a perdu), il faut donc lui faire place nette, quoi qu’il en coûte.

Attention, l’auteur n’en reconnaît pas moins au capitalisme d’avoir joué un rôle important et positif. Il a diminué la violence humaine, accru la coopération. L’idée selon laquelle chacun sert ses intérêts et repart gagnant (le principe du gagnant-gagnant) est plus efficace, dit-il, que le crédo chrétien « aime ton prochain ».

En fait, le capitalisme n’est rien de moins qu’une puissante religion.

Le syndrome de l’arche

Pour tourner indéfiniment, pour croître sans cesse, le capitalisme a besoin de ressources infinies. Au départ, les Européens colonisèrent de nouvelles terres pour s’approprier de nouvelles ressources. Mais le nombre de territoires est limité et les ressources qu’elle génère — énergie et matières premières — aussi.

En revanche, il y a une troisième ressource qui permet de rendre les deux autres inépuisables : c’est la connaissance. Celle-ci est elle-même sans limites, puisque vous pouvez sans cesse avoir de nouvelles idées. Et ces idées, vous pouvez les utiliser pour découvrir de nouvelles matières premières et de nouvelles formes d’énergie.

Une seule ombre au tableau, et de taille : l’effondrement écologique. Le « toujours plus » prend place dans une biosphère fragile avec laquelle nous jouons dangereusement.

Mais la religion de la croissance ne peut entendre ce contre-argument : poussée par le « plus », elle voudra créer « de mondes virtuels et des sanctuaires high-tech » dans un monde en ruine.

Il est difficile de maintenir le crédo de la croissance tout en cherchant à éviter la catastrophe écologiste. Par exemple : doit-on attendre une invention miracle pour éviter les conséquences du changement climatique ?

Et si les riches construisent une arche high-tech pour se sauver eux, et eux seuls ? Pourquoi les pauvres ne se rebellent-ils pas ? Eh bien, parce qu’ils profitent de la croissance économique et que le problème écologique paraît encore loin.

Foire d’empoigne

La croissance : tel est le crédo suprême du deal moderne. Les communistes et les capitalistes la tiennent pour vraie et désirable. Toutefois, les capitalistes s’y sont pris différemment des communistes, qui voulaient ordonner et planifier le changement.

À la différence des communistes, en effet, les capitalistes ont prôné une philosophie du « toujours plus » débridée, où chacun pouvait rechercher son intérêt immédiat de façon avare et totalement libre. De toute façon, dit le capitaliste, la « main invisible » du marché va tout réguler d’elle-même.

Bien sûr, on pourrait critiquer le capitalisme et sa philosophie mesquine. Mais l’auteur rappelle encore une fois ce que le capitalisme nous a apporté (diminution de la faim, des épidémies et des guerres).

Par ailleurs, la philosophie du « chacun pour soi » du capitalisme a elle-même été contrebalancée par un autre élément dont nous avons déjà parlé, mais qu’il faut maintenant continuer d’éclairer : l’humanisme.

Chapitre 7 — La révolution humaniste

« Le deal moderne nous offre le pouvoir à condition que nous renoncions à notre croyance en un grand plan cosmique qui donne sens à la vie. Quand vous examinez ce marché de près, vous découvrez une clause dérogatoire astucieuse : si les hommes parviennent tant bien que mal à trouver un sens sans le fonder sur quelque grand plan cosmique, cela ne vaut pas rupture de contrat. » (Homo deus, p. 243)

C’est cela, l’humanisme : un projet politique et culturel qui ne repose pas sur un grand plan cosmique. Aucun Dieu ne nous dit plus quoi faire, pourtant nos vies conservent un sens, et même mieux, un ordre social (plutôt plus pacifique que celui qui repose sur Dieu) est conservé. Comment cela se fait-il ?

Introspection

Avec l’humanisme, l’homme n’attend plus du cosmos un sens « tout fait », comme c’était le cas chez les stoïciens par exemple. Il veut au contraire que la vie humaine donne du sens à l’univers tout entier. « Créer du sens » : voilà le premier commandement de l’humanisme.

Il a fallu beaucoup de travail de bien des professions — artistes, intellectuels, politiciens notamment — pour changer la position du curseur. Pendant plusieurs décennies, sinon siècles, il a fallu convaincre que le libre arbitre humain était source de sens et d’autorité, et non Dieu (ou le Cosmos) lui-même.

Désormais, l’introspection — savoir ce qui est bien ou mal pour soi et se laisser guider par cela — est devenue l’ultime boussole. Plutôt que de se référer aux Saintes Écritures, les humanistes en appelleront aux sentiments humains.

Il en va ainsi des questions d’ordre privé, mais aussi d’ordre public. C’est dans le silence des isoloirs que se passent les élections démocratiques.

  • Pareil pour l’art : désormais, c’est la sensibilité et l’intelligence de l’artiste qui donne sens à l’œuvre, et non sa conformité à des ordres venus d’en haut.
  • Idem pour l’économie : aujourd’hui, c’est la loi de l’offre et de la demande, autrement dit le choix individuel du client, qui est « roi ».
  • Ainsi que pour l’éducation, bien sûr : enseigner à penser par soi-même est le but de l’enseignement moderne.
  • Enfin, aujourd’hui, croire en Dieu relève d’un choix personnel, preuve, s’il en est, que l’on fait davantage confiance en sa voix intérieure qu’aux témoignages directs de la Divinité extérieure.

Le monde intérieur est ainsi devenu très riche (en témoigne le développement de la littérature) à mesure que le monde extérieur devenait pauvre, simple ressource et sans sens propre, c’est-à-dire absurde. Les êtres et les lieux qui peuplaient le monde extérieur (esprits, enfers, etc.) sont désormais des lieux et des états intérieurs.

Suis la route de brique jaune

Quelle est la méthode à suivre pour être un bon humaniste, c’est-à-dire obtenir un savoir (une sagesse) authentique qui donne sens et autorité ?

Voici la formule :

« Savoir = Expériences x Sensibilité » (Homo deus, p. 260)

Qu’est-ce que cela signifie ? Pensez-y un instant. Pour devenir plus sage (acquérir un savoir sur vous-même), vous devez apprendre à vous ouvrir aux expériences qui vous arrivent et apprendre à voir, grâce à votre sensibilité, ce qu’elles vous font, comment elles vous changent. C’est ainsi que l’on peut développer pleinement son potentiel et devenir plus sage.

Le monde moderne est ainsi : composé de l’alliance entre la science et l’humanisme, la raison et l’émotion, le fait et la valeur.

La vérité sur la guerre

L’humanisme ne met plus en avant les grandes victoires militaires, les justifications divines et les grandes stratégies d’attaque ou de défense.

Ce qui intéresse les artistes et tous ceux qui parlent de la guerre, c’est la souffrance, ce sont les émotions ressenties, les effets profonds sur les psychismes et les corps des personnes.

Le schisme humaniste

Selon Y. N. Harari, l’humanisme a connu le même sort que les autres religions : il s’est scindé en branches très différentes, pour ne pas dire opposées. Lesquelles ? Il en compte 3 :

  1. Branche orthodoxe et première, dite « humanisme libéral » ou simplement « libéralisme » : chaque être humain est unique, singulier, et doit jouir d’une entière liberté pour suivre son cheminement propre.
  2. L’humanisme « socialiste », qui cherche à supprimer l’aliénation et l’exploitation des autres hommes en créant des institutions collectives.
  3. L’humanisme « évolutionniste » qui considère que la loi du plus apte et du plus fort guide proprement la destinée humaine.

Ces différentes formes d’humanisme fusionnèrent aussi avec le nationalisme pour créer des « sentiments nationaux » censés diriger les États.

Les guerres de religion humanistes

Au XXe siècle, les « guerres de religion humanistes » ont explosé. Les libéraux se sont retrouvés pris en tenaille à gauche comme à droite. Les deux guerres mondiales et la guerre froide sont des guerres de religion humanistes.

Le libéralisme était sans concurrent véritable au cours du XVIIIe siècle (siècle de son apparition) et du XIXe siècle. Mais au XXe siècle, les choses changèrent. La droite conservatrice (les humanistes évolutionnistes) donna naissance au nazisme et au fascisme bien sûr, puis à de nombreux régimes autoritaires. Quant à l’humanisme socialiste, il donna lieu au communisme et à l’Empire soviétique.

Ce fut finalement le libéralisme qui gagna et qui imposa partout où c’était possible le « package libéral », qui comprend :

  • Individualisme ;
  • Droits de l’homme ;
  • Démocratie ;
  • Marché libre.

La fin de la guerre froide donna l’impulsion décisive à cette nouvelle progression fulgurante de l’humanisme libéral. Et il faut dire qu’en ce début de XXIe siècle, il est sans opposant sérieux. Mais est-ce si sûr ?

Électricité, génétique et islam radical

Recensons les opposants.

  • Des contestataires occidentaux existent, mais font assez pâle figure encore.
  • La Chine est plus imposante et menaçante, mais elle n’a pas vraiment de solution idéologique de rechange.
  • L’islam radical et autres fanatismes religieux (juif, chrétien, hindou) existent et font parfois trembler les foules, mais n’ont rien à dire de vraiment pertinent sur le monde d’aujourd’hui et les défis technologiques à venir.

Retenez aussi que le nombre ne compte pas. Seuls les protagonistes les mieux organisés changent les choses. Or, il se trouve que les chercheurs, ingénieurs, bailleurs de fonds et autres politiciens qui s’occupent de faire avancer les progrès des biotechnologies et du numérique sont peu nombreux, mais savent très bien se coordonner.

Or ceux-ci, aujourd’hui libéraux, pourraient bien constituer la véritable menace qui pèse sur l’humanisme libéral. En souhaitant maximiser la durée de vie, le bonheur et le pouvoir des êtres humains, ces groupes d’hommes et de femmes bien organisés pourraient bien nous faire passer de l’humanisme au post-humanisme.

Troisième partie Homo sapiens perd le contrôle

Chapitre 8 — La bombe à retardement au laboratoire

Les sciences modernes ont flanqué un sacré coup au libéralisme, et pourtant les conséquences n’en ont pas encore été tirées. En fait, la théorie de l’évolution, les chercheurs en génétique et les spécialistes du cerveau nous expliquent que nos comportements sont le fruit de processus déterministes ou aléatoires, au mieux probabilistes (c’est-à-dire un mélange des deux autres).

Or dans ce cas, un constat s’impose : pas de « libre-arbitre » individuel là-dedans. En d’autres termes, le concept de liberté, qui fonde le libéralisme, est vide. Ou plutôt : il n’existe que dans l’imaginaire de ceux qui l’ont inventé ou qui le prennent pour une vérité.

Cela a des conséquences bien pratiques :

« Si les organismes sont effectivement dépourvus de libre arbitre, cela implique qu’il est possible de manipuler et même de dominer leurs désirs par des drogues, le génie génétique ou une stimulation cérébrale directe. » (Homo deus, p. 308)

Qui suis-je ?

Les sciences ne s’arrêtent pas à la liberté. L’idée d’individu elle-même — c’est-à-dire d’un « soi », unique et indivisible — est remise en question, voire discréditée.

Au minimum, comme le montre Y. N. Harari à partir de recherches en neurosciences et en économie comportementale, le moi est coupé en deux parties relativement indépendantes l’une de l’autre.

Selon Daniel Kahneman, économiste et psychologue, prix Nobel d’économie, notre « moi » serait divisé en :

  1. Un moi expérimentateur, qui vit dans l’instant, mais ne se rappelle pas grand-chose ;
  2. Un moi narrateur, qui (se) raconte des histoires pour donner sens à la vie et se souvenir.
Le sens de la vie

Nous donnons un sens à la vie en faisant appel à la narration. Pour éviter de penser que le monde est absurde, ou que nous faisons les choses en vain, ou encore que nous avons commis une erreur, nous (nous) justifions.

Notre moi narrateur (ou toute autre institution qui veut créer du sens, comme l’État par exemple) va construire un récit au sein duquel la souffrance, l’échec et la peur servent une finalité plus haute et plus glorieuse.

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En d’autres termes, le moi est un ordre imaginaire comme le sont les dieux, les nations et l’argent. Chaque individu ne garde des expériences qu’il a vécues que quelques bribes, qui m’aident à donner un sens et à me donner autorité (savoir qui je dois aimer et haïr, etc.).

Malgré les considérations philosophiques et les recherches scientifiques qui vont à l’encontre des thèses fondatrices de l’individualisme libéral, celui-ci tient encore debout.

Mais qu’en sera-t-il lorsque des technologies concrètes utiliseront ces savoirs pour téléguider nos désirs et nos choix bien plus efficacement ? « La démocratie, le marché et les droits de l’homme y survivront-ils ? »

Chapitre 9 — Le grand découplage

Y. N. Harari fait un rapprochement assez osé : selon lui, l’individualisme libéral (chaque homme compte et est capable de décider par lui-même ce qui est le mieux pour lui) est historiquement indissociable de la circonscription militaire et de l’enrôlement desdits individus dans les nouvelles usines.

Selon lui, l’armée et le travail de l’ère industrielle, tels qu’ils apparaissent au tournant de la Révolution française, ont besoin (ou du moins trouvent plus utile) de considérer que les gens sont uniques et libres. Cela accroît leur motivation et leur esprit d’initiative pour prendre part aux efforts nationaux.

Mais qu’en sera-t-il demain ? La liberté individuelle sera-t-elle encore requise pour faire tourner la machine militaire et économique ?

Il semble qu’il soit progressivement possible de s’en passer :

  • Pour la guerre, des drones, des ordinateurs et quelques élites de guerriers super-entraînés semblent d’ores et déjà suffire plus ou moins ;
  • En ce qui concerne l’économie, les robots et imprimantes 3D remplacent déjà beaucoup de travailleurs, tandis que l’intelligence artificielle réalise elle aussi des tâches complexes sans en avoir conscience et sans avoir besoin de l’aide d’un grand nombre d’humains (seuls quelques experts sont requis).

L’auteur voit large : commerciaux, avocats, enseignants, médecins, etc. Toutes les professions, même celles que nous croyons encore les plus à l’abri, pourraient se voir transformées en profondeur par l’apparition des algorithmes de l’intelligence artificielle.

La classe inutile

Fondamentalement, ce n’est pas un problème nouveau en soi. D’agriculteurs, nous sommes devenus ouvriers, puis employés dans des entreprises de service. Le secteur tertiaire (les services) s’est progressivement étendu, au détriment des secteurs primaire (agriculture) et secondaire (industrie).

Mais l’intelligence artificielle change la donne, puisqu’elle se place non plus sur le terrain de jeu des capacités physiques (comme la mécanisation industrielle « traditionnelle »), mais sur celui des capacités cognitives, que nous pensions réservées à l’humain.

« Tandis que les algorithmes chassent les hommes du marché du travail, la richesse pourrait bien se concentrer entre les mains de la minuscule élite qui possède les algorithmes tout-puissants, ce qui créerait une inégalité sociale et politique sans précédent. » (Homo deus, p. 347)

Il sera de plus en plus difficile de créer des emplois qui peuvent être mieux réalisés par des hommes que par des machines. Et cela impliquera aussi que les êtres humains qui auront perdu leur travail, devront se réinventer plus souvent et, à chaque fois, en suivant des exigences plus fortes.

Une probabilité à 87 %

Jusqu’à la fin du XXe siècle, il était raisonnable de penser, selon le crédo libéral-individualiste, que « personne ne se connaît mieux que soi-même ». Mais aujourd’hui, les algorithmes informatiques commencent à nous connaître fichtrement bien, eux aussi !

Les capteurs de pas (pour les marcheurs) ou de niveau de sucre (pour les diabétiques) dont nous nous munissons, mais aussi nos recherches Google, tout comme — bien sûr — les likes, les posts et les stories que nous laissons sur Facebook, en disent beaucoup de nous.

Imaginez que tous ces dispositifs soient connectés les uns aux autres. L’algorithme qui en résulterait vous connaîtrait bien mieux que vous-même, car il n’aura plus besoin de se baser sur votre moi narrateur, mais simplement sur vos expériences.

De l’oracle au souverain

La prédiction de l’auteur est la suivante : les algorithmes informatiques pourraient bien passer d’oracles (qui devinent ce que nous sentons et pensons et répondent à nos questions) à souverains (qui ont autorité sur nous et nous disent que sentir et penser).

Bien sûr, ce n’est qu’une possibilité. Mais vers laquelle nous semblons bien être en chemin. Pourquoi ? Car les biologistes et les informaticiens font bon ménage : les premiers pensent que tout organisme est un algorithme, et les seconds s’appliquent à les perfectionner.

Surclasser l’inégalité

Serait-il possible que l’inégalité devienne véritablement biologique ? Les théories racistes le prétendaient déjà, mais c’était une illusion, un pur récit.

Qu’en serait-il si certaines personnalités particulièrement riches (par exemple, celles qui sont aux mains de Google et compagnie) se modifiaient génétiquement afin d’être plus forts et plus intelligents ? Ou si seules certaines élites améliorées étaient nécessaires pour diriger un pays ?

Chapitre 10 — L’océan de la conscience

C’est dans la Silicon Valley que se concoctent les nouvelles religions. Celles qui nous promettent l’immortalité, le bonheur et le pouvoir non plus dans l’au-delà, mais ici-bas.

Ouvrir l’esprit

Augmenter l’esprit humain, voilà l’un des objectifs de cette nouvelle religion, que l’auteur qualifie de « techno-humaniste ».

Mais que sait-on de l’esprit ? Peu de choses. Il peut exister des états mentaux que nous n’imaginons même pas chez les humains, mais aussi chez les êtres non humains.

Bref, la recherche sur l’esprit humain est une véritable expédition vers l’inconnu !

L’odeur de la peur

Homo sapiens a perdu certaines de ses capacités ou de ses pratiques psychiques au cours de l’évolution et des dernières décennies. Par exemple :

  • Nous ne sentons plus les odeurs (nous ne sentons plus du tout, par exemple celle de la peur) aussi bien que nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ;
  • Il nous est plus difficile de maintenir notre attention qu’auparavant ;
  • Nous ne considérons plus nos rêves comme des expériences importantes de nos vies ;
  • Il est aussi probable que nous tolérions à l’avenir de moins en moins le doute.
Le clou auquel l’univers est suspendu

Le techno-humaniste demeure, pour l’auteur, une « secte humaniste ». Elle vise à accomplir les idéaux humanistes une bonne fois pour toutes. Pour ce faire, la dernière étape consistera à contrôler nos désirs et notre volonté.

Grâce à des technologies idoines, les êtres humains pourraient peut-être changer à leur gré les désirs qui les dérangent et ainsi avoir une maîtrise totale de leur volonté.

Pourtant, c’est là où le techno-humanisme trouverait aussi sa limite. En « bon » humaniste, il ne pourra se résoudre à considérer que les techniques puissent ainsi modeler ce qui fait le cœur de la singularité humaine, la volonté.

Pour dépasser ce seuil, il faudrait qu’une nouvelle religion émerge, plus radicale encore. Celle-ci ne prendrait plus les désirs et les expériences humaines comme point central du sens et de l’autorité, mais les informations, les data.

Chapitre 11 — La religion des data

« Pour le dataïsme, l’univers consiste en flux de données (data), et sa contribution au traitement des données détermine la valeur de tout phénomène ou entité. » (Homo deus, p. 395)

Le dataïsme est né de la réunion de l’informatique et de la biologie. Qualifié au départ de théorie, il prend aujourd’hui la forme d’une religion, qui prétend donner du sens et avoir autorité sur nous.

Selon cette approche, tous les domaines de l’existence peuvent se comprendre à partir du traitement des données. Par exemple :

  • Les économistes peuvent considérer le capitalisme comme un système de traitement distribué et le communisme comme un système de traitement centralisé.
  • Les politologues peuvent voir dans la démocratie un système de traitement distribué et dans les dictatures un système de traitement centralisé.

Et c’est un des premiers avantages, au moins apparent, du dataïsme : il unifie les domaines de l’existence et les sciences qui en parlent. Désormais, un seul langage les réunit.

Où tout le pouvoir est-il passé ?

Restons un instant au niveau de la politique. Depuis le début du XXIe siècle, le développement technologique a pris une longueur d’avance.

Or la conséquence est fâcheuse. Désormais, tout se passe comme si les politiciens étaient débordés par les données et par les progrès techniques : ils ne savent plus où donner de la tête et se contentent de « gérer » vaille que vaille, sans élaborer de vision à long terme.

Même les élites les plus riches, dont certains complotistes se plaisent à croire qu’ils dirigent le monde, sont incapables de traiter assez efficacement le flux si complexe de toutes les données, et donc de diriger le monde de façon unique et cohérente.

Ce « vide du pouvoir » est provisoire. À coup sûr, de nouvelles institutions émergeront pour prendre la place des anciennes.

Abrégé d’histoire

Même l’histoire peut être interprétée en termes dataïstes. Les différentes époques sont alors perçues à partir de la capacité de leurs membres à traiter les données.

En suivant cette idée jusqu’au bout, nous découvrons que l’humanité est désormais devenue — avec la mondialisation — un seul et unique système de traitement de données qui ne cherche qu’à s’améliorer.

Comment s’appellera ce nouveau système ? L’Internet-de-tous-les-objets.

L’information veut être libre

Le dataïsme a pour crédo : « l’information doit circuler ». Pour ce faire, les dataïstes cherchent à se connecter toujours davantage à un plus grand nombre de médias et à consommer/produire toujours plus d’information.

Ils cherchent aussi à connecter tout ce qui peut l’être, y compris ceux et celles qui préféreraient ne rien avoir affaire avec eux. En somme, le dataïsme se dote d’une mission universaliste.

Toute l’information disponible dans chaque être doit pouvoir communiquer avec tous les autres êtres. L’information doit être libre de circuler d’un agent à l’autre (celui-ci jouant le rôle de relais, puce ou processeur, qu’il soit humain ou non humain).

Pour les dataïstes, laisser circuler librement l’information est nécessairement une bonne chose, tandis que la restreindre est mal.

Précisons par un exemple développé par Y. N. Harari.

Vous utilisez peu votre voiture. C’est cher pour vous et peu efficace pour la société. Pourquoi ne pas concevoir un parc de voitures autonomes qui iraient vous conduire à votre travail et qui viendraient vous rechercher ? Plus d’embouteillages, plus de frais inutiles. La seule condition ? Laisser le système accéder à vos horaires personnels.

Vous livrez votre intimité en échange de la tranquillité.

Enregistrer, télécharger, partager !

En un sens, nous y sommes déjà, ou plutôt, nous sommes déjà toutes et tous des dataïstes en puissance. Nous « processons » des milliers d’informations à la minute et nous voulons le faire encore plus vite. Lire un mail et y répondre efficacement : voilà sans doute l’un de vos objectifs dans la journée.

Le partage devient la règle. Il faut désormais se fondre dans le flux des données en partageant la moindre découverte, la moindre expérience de la journée.

Connais-toi toi-même

« Le dataïsme adopte une approche strictement fonctionnelle de l’humanité, évaluant les expériences humaines selon leur fonction dans les mécanismes de traitement des données. Si nous élaborons un algorithme qui remplit mieux la même fonction, les expériences humaines perdront de leur valeur. » (Homo deus, p. 418)

L’humanisme reposait sur l’idée que le sens et l’autorité viennent de l’intériorité de chaque individu, c’est-à-dire de la manière dont il expérimente le monde et interprète ces expériences. Le dataïsme place le sens et l’autorité dans les data : ce sont à elles de nous donner une direction et une claire distinction entre ce qui est bien et ce qui est mal.

Une fois (probablement dans un siècle ou deux, précise l’auteur) que le sens et l’autorité auront été complètement transférés dans le système globalisé de traitement des données — l’Internet-de-tous-les-objets —, celui-ci pourrait bien devenir sacré, c’est-à-dire intouchable.

En attendant, les dataïstes vous recommanderont de vous « fier aux données », qui connaissent mieux vos sentiments que vous-même.

Une ondulation dans le flux des données

Il faudra apprendre à critiquer le dataïsme. Pour l’auteur, c’est l’enjeu scientifique, politique et socio-économique capital du XXIe siècle.

Bien sûr, les prédictions qui ont été réalisées dans cet ouvrage sont limitées. L’histoire n’est pas déterminée à l’avance et c’est bien pourquoi la critique et la créativité sont absolument nécessaires.

Au quotidien même, vous pouvez agir de telle façon à résister à l’influence de ces idées et des pratiques qu’elles génèrent. Il n’y a pas de scénario unique et définitif pour l’avenir, mais un large spectre d’options.

Pour nous aider à réfléchir aux enjeux à long terme (ceux qui se comptent en plusieurs décennies, voire en siècles), l’auteur nous propose de réfléchir au sujet de trois processus cruciaux :

  1. L’unification de la science autour du paradigme « algorithmique » ;
  2. La séparation entre intelligence et conscience ;
  3. La montée en puissance d’algorithmes non conscients, mais très intelligents.

Voici les questions qu’il pose en guise de conclusion, en espérant que nous y penserons longtemps :

  1. « Les organismes ne sont-ils réellement que des algorithmes, et la vie se réduit-elle au traitement des données ?
  2. De l’intelligence ou de la conscience, laquelle est la plus précieuse ?
  3. Qu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne quand des algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous connaîtront mieux que nous nous connaissons ? » (Homo deus, p. 427)

Conclusion sur « Homo deus. Une brève histoire du futur » de Yuval Noah Harari :

Ce qu’il faut retenir de « Homo deus. Une brève histoire du futur » de Yuval Noah Harari :

Après le succès phénoménal de Sapiens : une brève histoire de l’humanité, Yuval Noah Harari revient avec ce deuxième tome encore plus « décapant » et, par bien des aspects, effrayant.

L’historien israélien regarde l’évolution d’Homo sapiens sur le temps long et tente de repérer les chemins que l’humanité s’apprête à prendre. Cette perspective très large est précieuse, parce que nous avons l’habitude de séquencer et de dissocier les problèmes les uns des autres.

Ici, au contraire, un récit global est proposé. Non pas un récit qui prétend à la vérité, mais plutôt une histoire qui a pour vocation à « ouvrir les possibles » et à faire penser en soulignant les dangers que nous courrons à plus ou moins longue échéance.

Si vous souhaitez lire ce livre, préparez-vous donc à revoir vos conceptions sur l’existence. La question n’est pas d’être d’accord sur tous les points, mais de se laisser imprégner par le message de l’auteur pour prendre position.

Certes, c’est un ouvrage long et complexe. Mais Yuval Noah Harari fait un travail remarquable de vulgarisation. Il rend accessibles non seulement sa propre pensée, mais aussi de nombreux travaux des sciences contemporaines (aussi bien en biologie qu’en informatique, ou encore en économie et en histoire) et concepts philosophiques.

Points forts :

  • Un livre événement par un auteur qui est devenu une référence mondiale ;
  • Une perspective forte et originale, qui nous aide à donner sens à notre situation contemporaine ;
  • Des concepts clairement expliqués ;
  • De nombreux exemples, des images et même beaucoup d’humour !

Point faible :

  • Ou plus exactement un avertissement : ce livre s’adresse à un public motivé, qui veut prendre le temps d’acquérir une vue globale sur l’évolution des sociétés humaines.

Ma note :

Le petit guide pratique du livre Homo deus de Yuval Noah Harari

Les trois grands dangers de l’humanité :

  • La famine ;
  • Les épidémies ;
  • La guerre.

Foire Aux Questions (FAQ) du livre Homo deus de Yuval Noah Harari

1. Comment le public a accueilli le livre Homo deus de Yuval Noah Harari ?

Ce livre a été très bien accueilli par le public. Devenu un best-seller international et plus de 200 000 exemplaires vendus en France, le livre a été traduit dans près de 40 langues.

2. Quel fut l’impact du livre Homo deus de Yuval Noah Harari ?

Ce livre offre un aperçu vertigineux des rêves et des cauchemars qui façonneront le XXIe siècle.

3. À qui s’adresse le livre Homo deus de Yuval Noah Harari ?

Cet ouvrage s’adresse à tout le monde.

4. Que signifie les prédictions historiques ?

C’est simplement que l’historien nous aide à prendre conscience de nos conditionnements et à nous en libérer.

5. D’où proviennent les rêves d’immortalité, de bonheur et de pouvoir ?

Les rêves d’immortalité, de bonheur et de pouvoir proviennent en ligne droite du projet humaniste né aux XVIIe et au XVIIIe siècle. Ils en sont la conclusion logique.

Trois processus cruciaux sur lesquels réfléchir Vs les questions posées en guise de conclusion

Trois processus cruciaux sur lesquels réfléchirLes questions posées en guise de conclusion

L’unification de la science autour du paradigme « algorithmique »
Les organismes ne sont-ils réellement que des algorithmes, et la vie se réduit-elle au traitement des données
La séparation entre intelligence et conscienceDe l’intelligence ou de la conscience, laquelle est la plus précieuse
La montée en puissance d’algorithmes non conscients, mais très intelligentsQu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne quand des algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous connaîtront mieux que nous nous connaissons

Qui est Yuval Noah Harari ?

Yuval Noah Harari : Auteur du livre Homo deus.

Yuval Noah Harari est docteur en histoire, diplômé de l’Université d’Oxford. Aujourd’hui, il enseigne au Département d’histoire de l’Université hébraïque de Jérusalem et a remporté le « Prix Polonsky pour la créativité et l’originalité » en 2009 et 2012. Ses œuvres Sapiens, Homo Deus et 21 Lessons for the 21st century sont des phénomènes internationaux avec des ventes de 25 millions dans 50 pays.

Avez-vous lu le livre de Yuval Noah Harari « Homo deus. Une brève histoire du futur » ? Combien le notez-vous ?

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